Le malaise du clergé français, vu par Odon Vallet

"... Le pape cherche des hommes d'Etat qui redonnent sa place à l'église catholique" (20/8/2008)



Le forum catholique reproduit une dépêche de l'AFP, donnant une fois de plus la parole à l'inévitable "spécialiste des religions", qu'on va probablement beaucoup entendre à l'occasion de la venue du Saint-Père.
Cette visite prochaine, et la visibilité médiatique qui en sera la conséquence inévitable, expliquent sans doute sa prudence. Il n'a pas envie de se décrédibiliser, et après avoir affirmé non sans raison que le Pape "remet en cause cinquante ans d'évolution de l'Eglise en Europe", ses prévisions restent ouvertes à toutes les éventualités, comme cela apparaît très clairement ici:
"... les catholiques ne sont pas unanimes. Il y a quand même une frange traditionnelle importante.
Il y a le respect dû au pape, on voit mal les Français protester contre le pape".
Il ne croit donc pas "à un mouvement d'opposition à Benoît XVI mais à une lente désaffection, notamment des cadres laïcs"
La lenteur est déjà en elle-même une expression de cette prudence! La désaffection pourrait fort bien ne jamais arriver, et d'ici-là, tout le monde aura oublié les prévisions du "spécialiste".

Pour ma part, je verrai plutôt d'un oeil réjoui le malaise des catholiques français (il est par ailleurs question dans l'article des laïcs militants, et des cadres laïcs ce qui lève toute ambiguïté sur la catégorie que recouvrent les termes catholiques français) devant un pape "brillant réactionnaire..." de "culture traditionnelle, germanique" et "pas couscous merguez, pas casher et halal, mais pas non plus boubou-tamtam ou chapeau de cow-boy... à l'aise dans un monde non métissé et [qui] pense que ce monde est menacé par le temps de la modernité et l'espace de la mondialisation" !

Quant à la "dialectique thomiste" de Benoît XVI, mon bagage théologique est peut-être un peu léger pour démolir l'argument, mais j'ai comme l'idée que l'auteur de l'article mélange tout.

Même si certains traits frôlent la caricature - car Benoît XVI n'est pas réactionnaire, et cette étiquette, même accolée au qualificatif brillant, n'a aucun sens s'agissant de lui - le malaise évoqué n'en est pas moins réel: pas devant ses récentes décisions comme il le prétend ici, mais devant le doute que soulève chez les catholiques "adultes" près d'un demi siècle de tatônnement idéologique et d'errements liturgiques qui ont vidé les églises aussi sûrement que la culture séculariste!

A l'opposé de la "lente désaffection" annoncée, il est tout aussi possible de miser sur une reconquête... qui ne ferait certes pas plaisir à tout le monde. Et de ce point de vue, le malaise ressemble bien à de la peur.


Benoît XVI cherche des hommes d'Etat qui redonnent sa place à l'église catholique, selon un historien français
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PARIS, 15 août 2008 (AFP) - Benoît XVI "cherche des hommes d'Etat qui redonnent sa place à l'église catholique", estime Odon Vallet, spécialiste français des religions, qui fait état d'un "malaise" des catholiques français face à un pape "réactionnaire", à quelques semaines de sa visite en France.

"Incontestablement, le pape cherche des hommes d'Etat qui redonnent sa place à l'église catholique", souligne M. Vallet dans un entretien avec l'AFP.

A cet égard, le Vatican n'a pu qu'être sensible aux discours prononcés à Rome et à Ryad par Nicolas Sarkozy: le président français avait exalté les "racines chrétiennes de la France" et l'héritage "civilisateur" des religions, ce qui avait suscité la controverse en France.

L'universitaire Odon Vallet souligne d'ailleurs l'accueil particulier réservé à Nicolas Sarkozy à Rome: "On a été surpris de voir Sarkozy chez le pape avec son portable, ses amuseurs. Il a été bien accueilli par le pape alors que, normalement, toute cette suite un peu carnavalesque aurait dû se faire mettre à la porte par le maître de cérémonie".

M. Vallet avait qualifié le cardinal Ratzinger de "brillant réactionnaire" peu après qu'il eut succédé à Jean Paul II: trois ans après, il persiste et signe.

Avec le retour de la communion dans la bouche et de la messe en latin, le pape "ne veut pas seulement maintenir les traditions mais revenir en arrière. Il estime que l'évolution du dernier demi siècle en Europe a été une catastrophe pour l'Eglise catholique", analyse Odon Vallet.

Pour le pape, "il y a eu des désordres" et "pour y mettre fin, il faut revenir à l'ordre antérieur", poursuit l'historien.
Il souligne qu'ainsi, Benoît XVI énonce une théorie "avec toute sa classe d'intellectuel et toute une dialectique thomiste qui lui permet de donner un élégant habillage à ce qui, fondamentalement, remet en cause un demi siècle d'évolution dans l'Eglise en Europe".

Ainsi ce "Jean Paul II durci" pose "un gros, un énorme problème" au clergé français et le "malaise" est "là depuis trois ans", affirme l'universitaire en observant toutefois que "les plus déconcertés sont les laïcs militants qui jouent un rôle important dans les paroisses".

"Ils se disent: que se passe-t-il ? On a l'air de remettre en cause ce qu'on a vécu depuis un demi siècle, surtout qu'en France, le Concile a commencé avant Vatican II: on lisait déjà des textes en français..."

"En même temps, les catholiques ne sont pas unanimes. Il y a quand même une frange traditionnelle importante.
Il y a le respect dû au pape, on voit mal les Français protester contre le pape", tempère Odon Vallet, qui "ne croit pas à un mouvement d'opposition à Benoît XVI mais à une lente désaffection, notamment des cadres laïcs".


S'agissant du dialogue inter religieux, M. Vallet observe que Benoît XVI est d'une "culture traditionnelle, germanique" et "pas couscous merguez, pas casher et halal, mais pas non plus boubou-tamtam ou chapeau de cow-boy". "Il est à l'aise, dit-il, dans un monde non métissé et il pense que ce monde est menacé par le temps de la modernité et l'espace de la mondialisation".

Quant aux partisans de Monseigneur Lefebvre, ils refusent la main tendue par le pape, notamment à travers la libéralisation de l'ancienne messe en latin, parce qu'ils "sont comme Le Pen, suicidaires". M. Vallet relève cependant que "Benoît XVI récupère une grande partie de la clientèle lefebvriste comme Sarkozy a récupéré une grande partie de la clientèle Le Pen". "Donc, sur ce plan-là, c'est pas mal joué".


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