L'oreille du coeur de Jean-Pierre Denis

directeur de la rédaction de La Vie (18/9/2008)


Superbe article, même avec ses propres réserves, qui sont celles d'un journal militant, notamment pour l'accès des divorcés à la communion, et même si je n'aime pas trop l'allusion à la foule qui, le 19 avril 2005, vibrait d'un innocent enthousiasme (on retrouve cette fracture entre le peuple et les élites que les mêmes passent leur temps à dénoncer).
Il se trouve que j'en étais, de cette foule, et j'ai envie maintenant de me citer.
Evidemment, à cette époque, je ne pensais pas au gouvernement de l'Eglise. Mais j'ai vraiment pensé qu'il était sage de lui confier les clés de la maison - et qu'il en était digne, et plus capable que quiconque!
Et si cette foule simple, par opposition aux élites qui pensent, ne s'était pas trompée?


L'oreille du coeur

Jean-Pierre Denis, La Vie, 18 septembre
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Pourquoi ne pas le dire sans langue de bois ? Le jour où je vis s’élever la fumée blanche sur la place Saint-Pierre, je sentis en moi monter l’inquiétude. Je n’étais pas seul à ressentir cela, même si autour de moi la foule vibrait d’un innocent enthousiasme. Sur quel étroit chemin de peur et de condamnation ce pape Ratzinger allait-il mener l’Église catholique après l’audacieux Wojtyla ? Si l’espérance et la fidélité appelaient à la confiance, une certaine expérience poussait au pessimisme. Soyons pourtant honnêtes. L’homme que j’ai vu passer trois ans et demi plus tard entre les piliers du collège des Bernardins, à Paris, ne portait pas la foudre pour la jeter sur une catholicité apeurée.

En rencontrant son regard, j’y ai vu tout autre chose que ce que j’avais pensé y trouver un jour.
Benoît XVI s’avançait sous les traits d’un maître spirituel plein de joie, malicieux, presque espiègle. Un homme libre parlant à des hommes libres sans tenter de les séduire. Il allait d’ailleurs nous donner une leçon complexe, mais ô combien profonde, sur le sens vrai de la religion, cet acte d’écoute, cet appel à nous élever vers la plus authentique liberté. Leçon intense donc que cet éloge vibrant de l’interprétation. Si condamnation il y eut, ce fut celle des maux que nous dénonçons dans ce journal : le communautarisme et le fondamentalisme. Si défense on entendit, ce fut celle d’une raison qui, enfin, se réconcilie avec Dieu pour donner sens à notre culture. Les intellectuels et les médias non idéologiques ne s’y sont pas trompés. Certains auront peut être même enfin compris ce qu’est le christianisme.

À Paris, Benoît XVI a donc déjoué tous les pièges et détruit nombre de préjugés. La laïcité ? La querelle fait pschit ! malgré quelques efforts politiciens ici ou là pour rallumer le pétard mouillé. Les traditionalistes ? On vit aux Invalides une belle eucharistie concélébrée selon le rite ordinaire de l’Église et tout entière tournée vers le Christ. Une messe pour Dieu et pour tous. Il avait régné depuis la veille sur Paris un air de ferveur et de fête, de joie et de jeunesse, de sens et de sagesse. Une sorte d’état de grâce.

Si enseigner, c’est guérir l’homme, gouverner, c’est parfois blesser. Excellent, émouvant, universel quand il fend l’armure, Benoît XVI laissera bien sûr plus d’un catholique interrogateur quand il brandit le glaive. Ainsi, la question des divorcés remariés a été traitée à Lourdes devant nos évêques d’une manière abrupte. Si l’on doit recevoir les motifs théologiques, il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que l’Église s’enferme dans une impasse pastorale. On peut aussi être choqué par le contraste entre une compassion qui fait dire à propos des traditionalistes que «nul ne doit se sentir exclu» et une rigueur qui ne laisse aux époux abandonnés que l’héroïsme le plus extrême, le mensonge ou la fuite hors de l’Église. Ici s’arrête, à nos yeux malheureusement, le projet pacificateur et mobilisateur de Benoît XVI.

Fermeture institutionnelle contre ouverture spirituelle : chacun sera tenté de retenir ce qui lui convient. Comme d’habitude. Pour ma part, je reviendrai finalement vers l’invitation à la profondeur, l’écho de la si belle phrase que Benoît – le moine du Ve siècle, homme de gouvernement et de prière – mit dans le prologue de sa Règle : «Incline l’oreille de ton coeur.» Du discours aux intellectuels à la prière avec les malades, ce fut cela le vrai fil conducteur : un appel aux vocations.


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