Aux Bernardins

Récit de Jean Mercier, pour La Vie (18/9/2008)


La réception au Collège des Bernardins comme si vous y étiez.
Tous les billets ici: http://www.lavie.fr/rubriques-jaunes/le-blog-de-jean-mercier.html#c1239

On apprend que le pape a reçu une "standing ovation".
Il est vrai que la tonalité générale des articles, aujourd'hui, tourne autour de "l'intellectuel de haute volée". Ce qu'il est, bien sûr.
John Allen n'avait pas tort de dire qu'en France, les intellectuels sont considérés comme des "rock-stars".


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Dans la splendeur des Bernardins


Nous l'attendons de pied ferme depuis au moins une heure, sous les voûtes élégantes de la somptueuse nef du Couvent des Bernardins.
Tous ont pris place : ils sont plus de six cents personnalités du monde culturel : acteurs, écrivains, éditeurs, académiciens.
Je salue Marie Balmary, Sylvie Germain, Robert Badinter, Régis Debray, Alice Ferney, Marie de Hennezel.

Moi, je ne suis qu'un simple journaliste, mais le reste, ce n'est que le gratin… Heureusement que le pape va rencontrer à Lourdes les blessés de la vie, comme on dit, parce que là, c'est plutôt l'élite…

Soudain, on entend à l'extérieur la foule qui chante «Laudate Dominum». Et voilà que le pape pénètre dans le bâtiment, avec sa suite. Il remonte l'allée d'un pas décidé sous un tonnerre d'applaudissements. Il est rayonnant.

Son discours – très long, très dense – est particulièrement brillant, mais pas facile. Pour moi qui suis passionné par la Bible, j'ai apprécié cette longue méditation sur le statut de la parole de Dieu et le rappel des racines culturelles européennes enracinées dans le monachisme.

Comme un archéologue, le pape tente de faire surgir les raisons qui ont poussé tant d'hommes dans la quête monastique. Il parle de la quête des moines du Moyen Age comme d'une recherche passionnée du Verbe divin à travers les Ecritures.

Le pape pousse loin la réflexion sur la Bible comme parole humaine : «Dieu nous parle seulement dans l'humanité des hommes, et à travers leurs paroles et leur histoire.»

Pour le pape, le christianisme n'est pas une religion du livre à proprement parler. «L'Ecriture a besoin de l'interprétation», ce qui «exclut tout ce qu'on appelle aujourd'hui fondamentalisme. La Parole de Dieu, en effet, n'est jamais simplement présente dans la seule littéralité du texte».

Mine de rien, le pape semble critiquer ici aussi bien l'islam radical que le protestantisme fondamentaliste, sans les nommer. Il propose explicitement une voie médiane «entre le subjectivisme arbitraire et le fanatisme fondamentaliste», en insistant sur le fait que la lecture biblique doit se faire en lien avec une instance supérieure à celle de la lettre du texte, cette instance étant «l'intelligence et l'amour».

Ensuite, le pape insiste fortement sur la dimension juive de la Bible.

Il termine sur une sorte d'appel, en affirmant que toute personne possède en elle, même si elle ne croit pas, une tension vers ce qu'elle ne connaît pas encore et qui est Dieu, qu'il appelle «l'inconnu-connu» : «L'actuelle absence de Dieu est aussi tacitement hantée par la question qui le concerne.»

Sa dernière phrase laisse méditatif : «Une culture purement positiviste, qui renverrait dans le domaine subjectif, comme non-scientifique, la question concernant Dieu, serait la capitulation de la raison, le renoncement à ses capacités les plus élevées et donc un échec de l'humanisme, dont les conséquences ne pourraient être que graves. Ce qui a fondé la culture de l'Europe, la recherche de Dieu et la disponibilité à l'écouter, demeure encore aujourd'hui le fondement de toute culture véritable.»

Mais deux ans jour pour jour après Ratisbonne, on comprend que le pape a acquis l'art de faire des discours très forts sans déclencher la polémique. Et c'est bien…


Le pape quitte alors les Bernardins sous une «standing ovation».

L'atmosphère est électrique. Les langues se délient, heureuses.

Marie Balmary est émue : «Je n'ai pas compris tout ce qu'il a dit à cause de la sono, mais ce qui est clair, c'est son affirmation que la Bible doit être interprétée pour être lue.».

Alice Ferney est touchée : «Il dégage quelque chose de très chaleureux».

Le bourru Régis Debray lâche seulement que cela lui a plu.


Le pape s'éloigne en papamobile.

Sur les quais de Seine règne une effervescence extraordinaire, car la foule est au rendez-vous. La lumière d'automne est magnifique, et Benoît XVI avance sous les vivats, vers Notre Dame.
Pas de doute, avec un beau temps comme celui-là, la fête sera une réussite.


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