Au plaisir de Dieu

Dans Valeurs Actuelles, une spirituelle "lettre de Rastignac", sur le ton de la Comédie Humaine de Balzac, qui, tout en faisant honneur à notre langue, raconte avec humour et finesse, sous forme de récit "à clés" les deux étapes du voyage, notamment la parisienne (22/9/2008)

Source:
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Au plaisir de Dieu
Eugène de Rastignac, le 18-09-2008

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Il arrive peut-être que je vous lasse, mon cousin, en levant les rideaux derrière lesquels se cachent des combats de fourmis pour des trônes qui ne s’élèvent pas plus haut que ces vieilles souches à l’écorce rare qui pourrissent jour après jour. Que vous soyez accablé de découvrir les grimaces qui se cachent derrière les sourires, les fils obliques qui tiennent les plus nobles proclamations, les trahisons que recèlent les promesses définitives comme ces magnifiques écrins qui ne protègent que de vieux bijoux prêts à se décomposer.

La cendre aux reflets d’or semble être le plus souvent le lot de la politique et de l’ambition et puis, comme dans ces longues symphonies convenues où apparaissent parfois quelques me­sures venues des anges, la politique peut, par instants, retrouver l’éclat de ce qui fit sa grandeur et prouver à ceux qui en doutent que le gouvernement des hommes reste la dernière de nos grandes aventures. Il planait ainsi sur Paris, à la fin de la semaine passée, un air de dignité et de grandeur que l’on croyait réservé aux grandes orgues de M. de Chateaubriand. Martial Kropoly, venu lui-même accueillir Grégoire XVIII au pied de sa machine volante, n’avait plus ces légers mouvements d’épaules, qui révèlent parfois chez lui une secrète agitation. Son discours (sur lequel, me confiait un conseiller du Château, ils furent nombreux à ferrailler pour ajouter un adjectif, supprimer quelques audaces, souligner un compliment), fut bien dit et confirmait à ceux qui en doutaient encore qu’il ne s’agissait pas pour le trône de mener la guerre à l’autel.

Tout Paris était au Château et beaucoup regardaient le vieil homme en blanc avec la même indifférente curiosité que celle des courtisans quand l’ambassade de Siam fut reçue à Versailles par le roi Louis XIV.

L’après-midi, les mêmes entendaient le génie de l’éloquence française sous les voûtes du couvent des Bernardins, et dans la bouche d’un pape venu de l’autre côté du Rhin.

Je ne vous cache qu’une grande partie de ceux qui depuis des semaines intriguaient pour en être (comme il faut assister à la première de Talma) écoutèrent les propos pontificaux avec le même air interloqué que celui que prennent les voyageurs français devant l’Opéra de Pékin.
L’esprit habitué aux rythmes obsédants et aux propos sommaires de l’étrange lucarne, ils avaient sans doute oublié que la Sorbonne se trouve à Paris et que les plaisirs de l’intelligence sont interdits à ceux qui l’ont trop souvent méprisée.
Un gazetier qui règne sur les grandes ondes dormait du sommeil du juste, un ancien chef de l’État prenait le même air inspiré que s’il regardait un totem pygmée, une dame qui aime à raconter ses innombrables nuits d’amours dans des livres assommants (et qui entre nous n’avait rien à faire là) cherchait un brillant paradoxe pour se tirer de cette ornière.

Le samedi, Paris retrouvait les foules ferventes qui depuis sainte Geneviève réapparaissent quand tous sont certains qu’elles ont disparu. Le gouvernement était presque au grand complet et M. du Falard ne s’est pas interdit de bousculer le protocole à la fin de la cérémonie pour aller saluer le successeur de Pierre.

La croix surplombait la capitale, mais ne croyez pas cependant que mitres, chasubles et soutanes furent exemptes des entrelacs de l’ambition et du pouvoir. Depuis l’arrivée du Saint-Père, beaucoup de nos évêques se réfugiaient derrière la crosse de Mgr de Paris en espérant que le souverain pontife ne leur reprocherait pas de plus souvent se soucier de leur réputation que des âmes qui leur sont confiées.

Il faut que vous sachiez que Grégoire XVIII avait demandé à les rencontrer tous, dans cette bourgade des Pyrénées où se pressent malades et pèlerins. Déjà inquiets, ils pou­vaient se consoler en pensant que le discours se tiendrait portes fermées et qu’il serait très aisé de n’en rapporter que quelques morceaux choisis.

Las, par un mystère qui n’a rien de surnaturel mais qui indique bien la volonté du Saint-Père, grandes ondes, étrange lucarne, folliculaires et pisse-copie purent assister à la leçon de Grégoire XVIII aux successeurs des apôtres, si bien que des centaines de milliers de catholiques en connurent la substance.

Il leur a parlé de leurs devoirs avec ce mélange d’extrême douceur et d’intraitable fermeté qui ajoute à son autorité et certains furent obligés d’avaler leur calotte rose. Nous sommes là bien loin de la politique, me direz-vous ? Détrompez-vous mon cousin, on vous étrangle au Vatican avec un fil de soie quand nos hommes politiques en sont encore à chercher de solides cordes.
Je puis vous assurer que la façon dont le souverain pontife est parvenu à mener son voyage, évitant pièges et chausse­trappes, devrait faire méditer bien des jeunes lions.

Ce fut de la haute politique, mon cousin, peut-être parce que Grégoire XVIII avait choisi de ne pas gouverner pour séduire les hommes, mais plutôt au plaisir de Dieu.


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