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UN DÉCIDEUR AU VATICAN
 

Un décideur au Vatican
Le témoignage d'un collaborateur

Mgr Bernard Jacqueline a été longtemps membre de plusieurs conseils romains, l'équivalent de nos secrétariats d'État, avant de prolonger sa carrière comme diplomate du Vatican au Burundi, puis au Maroc. C'est en exerçant ses fonctions au sein du Conseil pontifical pour les non-croyants qu'il a croisé le cardinal-préfet de la Congrégation de la foi, durant les années 1981 et 1982 qui marquent l'arrivée à Rome de l'ancien archevêque de Munich. Il doit travailler en étroite concertation avec lui, étant entendu que la matière même du catholicisme, de sa doctrine et donc bien sûr ce qu'on doit en transmettre, découlent de ce ministère central de la Curie, pilier de tout l'édifice de l'Église. D'ailleurs, à ce sujet, Mgr Jacqueline estime que la traduction française de l'expression même « doctrine de la foi » est imparfaite. À ses yeux, celle d' « enseignement de la foi » aurait l'avantage d'être aussi précise et fidèle au latin doctrina, tout en ayant une connotation plus neutre. En outre, cela expliquerait mieux pourquoi Rome s'est attiré les services d'un professeur de théologie aussi éminent que l'est Mgr Ratzinger pour diriger ce ministère, et donc, « enseigner la foi » à partir de 1981.
« On ne se voyait pas nécessairement très souvent, car, à Rome, explique-t-il', tout se passe par écrit. Verba volant, scripta manent.
Mais lorsqu'on demandait quelque chose à Ratzinger, ses réponses étaient toujours très claires et nettes. On l'appréciait évidemment beaucoup pour ce style qui tranchait avec le flou ou l'imprécision de certains bureaux plus italiens de la Curie... Je me souviens ainsi d'un point particulier pour lequel on attendait avec impatience sa réponse. Il s'agissait de la possibilité ou de l'impossibilité d'accueillir les francs-maçons. Un rapport des évêques allemands semblaient interpréter la redéfinition du droit canon - qui sera terminée en 1983 - comme un feu vert donné à l'Église pour recommencer à accepter les francs-maçons en son sein, dès lors qu'ils n'étaient plus présentés comme membres d'associations complotant contre Rome. Nous avons interrogé le cardinal Ratzinger à ce sujet, qui a immédiatement tranché : "Non! bien sûr que non, les francs-maçons ne peuvent pas être catholiques en même temps. Les décrets contre la franc-maçonnerie restent applicables, nous a-t-il dit, malgré la redéfinition plus neutre qu'en fait le nouveau code de droit canon."
Cette clarté de vue de Joseph Ratzinger, sa capacité à décider, voilà ce que j'ai toujours constaté chez cet homme. Et puis, ses positions ont toujours reflété la ligne qui est la sienne. On ne peut pas lui reprocher d'être une girouette. Sa présence à la tête de la doctrine de la foi a été d'un grand secours à Jean-Paul II tout au long de son pontificat. Il lui a imprimé sa cohérence, apporté le fondement clair sur lequel l'Église a besoin de se reposer. On était, grâce à cette collaboration efficace mise au point entre Jean-Paul II et le cardinal Ratzinger, loin des errements du pontificat de Paul VI. Celui-ci était en réalité incapable de prendre une décision, il se dérobait systématiquement en disant : "On va voir, avec le temps et l'expérience..." Plus aucun choix n'était fait, ce qui posait bien sûr d'immenses problèmes. La fin de Paul VI a été terrible à cet égard. L'affaire de l'assassinat d'Aldo Moro, qu'il avait connu personnellement puisque celui-ci avait été l'un de ses élèves, et toute la crise de la Démocratie chrétienne - parti qu'il s'est reproché jusqu'à ses derniers jours de ne pas avoir soutenu - avaient fait sombrer le pape Paul VI dans une culpabilité effrayante. Il devenait très difficile de travailler à Rome à cette époque, au contraire de l'organisation qui s'est mise en place dès le début des années quatre-vingt». Cette clarté de Joseph Ratzinger, il ne fait désormais aucun doute, pour Mgr Jacqueline, qu'elle constituera le meilleur atout de ce nouveau pape pour gouverner l'Église.
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Constance Colonna Cesari, "Benoît XVI, les clés d'une vie", éditions Philippe Rey (2005)