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JOHN ALLEN: "UN PAPE DE SURPRISES"
 

Dès les premiers instants du pontificat, on a lu et entendu l'agaçante affirmation que "ce Pape va nous surprendre". Elle émanait en général de gens -quel que soit leur bord- qui essayaient d'instrumentaliser la pensée du pape, afin de le recruter pour leur cause.

Après avoir établi une claire distinction entre ce qui émane du Pape, et ce qui est issu de l'appareil bureaucratique, John Allen revient sur deux décisions personnelles, l'une récente (le document sur les limbes), l'autre à venir mais déjà abondamment commentée (le motu proprio tant annoncé).
Et il émet une autre hypothèse. Ce Pape surprend déjà, car c'est un homme libre. Ce n'est pas un idéologue; n'appartenant à aucune faction, il n'écoute que ce que sa conscience du Bien -et évidemment sa familiarité spirituelle avec Dieu, cette "amitié avec Jésus" dont il parle si souvent, et à laquelle nous n'avons pas accès- lui dicte.


Vatican, papauté: deux univers ditincts!

Benoît XVI se dessine comme un 'pape de surprises'
John Allen Jr, 26 avril 2007
Article original: NCR
Ma traduction

J'aime bien dire que le Vatican et la Papauté sont deux institutions liées, mais souvent entièrement distinctes. Dans l'imaginaire populaire, on a tendance à supposer que chaque décision du Vatican émane du pouvoir personnel du Pape; cela fait partie du "mythe de centralisation" inhérent au Catholicisme Romain, qui évoque des images du Pape assis devant un ordinateur dans les sous-sols du Palais Apostolique, et pressant des boutons pour décider combien de trombonnes tel prêtre pourra utiliser ce mois-ci.

Quiconque connaît l'endoit, cependant, réalise que le Vatican a une culture, et une manière de mener les affaires, totalement indépendantes de la personnalité de celui qui occupe le Trône de Pierre, et que les deux sont rarement sur la même longueur d'ondes.

En voici un petit exemple. Cette semaine à Rome, je me suis rendu auprès d'un prélat en retraite, toujours très recherché pour les voyages internationaux, et les discours. Il avait espéré assister à la prochaine rencontre des évêques d'Amérique Latine et des Caraïbes, au Brésil, où Benoît XVI sera également présent. Le prélat a exposé ses projets auprès bureau concerné, au Vatican, et s'est entendu répondre de rester à la maison. Les latino-américains, lui a-t'on dit, doivent marcher tout seuls, ('need to stand on their own two feet') et de toutes façons, étant à la retraite, il devait rester à l'écart des projecteurs. Plus tard dans la semaine, le prélat a salué le Pape, après l'audience générale. Le Pape lui a dit: "Merci pour vos voyages, qui font beaucoup de bien à l'Eglise. J'espère vous voir au Brésil!". Pris de court, le prélat put juste murmurer "Je serai avec vous dans mes prières". De manière évidente, l'idée qu'il ne ferait pas partie de la liste des invités ne venait pas de Benoît.

Cela signifie qu'en effectuant un tri parmi les actes émanant du Vatican, il faut faire très attention à distinguer ceux qui reflètent l'initiative personnelle du Pape, et donc révèlent quelque chose de sa pensée, et ceux qui ne sont qu'issus de la culture intitutionnelle du Saint-Siège.

En ce moment, nous avons deux exemples propres à susciter la perplexité, qui portent la marque personnelle du Pape.


Le document sur les limbes

Le premier date du 20 avril, avec la publication d'un document sur les limbes, par la Commission Théologique Internationale (CTI). Le document trouve que l'idée de maintenir les bébés non baptisés hors du Paradis reflète "une conception du Salut indûment restrictive". En effet, il implique que les limbes ne font désormais plus partie du magistère catholique.
Le travail sur un document relatif aux limbes commença quand celui qui était alors le Cardinal Joseph Ratzinger était encore préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. La CTI est formée de 30 théologiens du monde entier, et, alors que ses conclusions sont essentiellement consultatives, ce document fut publié avec l'approbation de Benoît XVI. C'est inhabituel, car en général, les textes de la CTI comportent une note stipulant qu'ils sont simplement publiés avec l'autorisation du préfet de la CDF. L'imprimatur papale suggère que ces conclusions portent un poids officiel plus important.
D'une façon générale, les théologiens nommés à la CTI ne sont pas connus pour être à l'avant-garde de la théologie. Donc, d'où est venue l'audace d'annuler un concept qui, même s'il n'avait jamais été formellement défini, a fait partie du fond de commerce de l'enseignement catholique depuis des siècles?

Au moins en partie, il vient de Benoît.
Déjà en 1984, Ratzinger avait dit dans une interview à Vittorio Messori ('Entretien sur la foi'):
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« Les limbes n'ont jamais été une vérité de foi définie. Personnellement -pour m'exprimer avant tout en tant que théologien, non en tant que Préfet de la Congrégation - je laisserais tomber ce qui n'a jamais été qu'une hypothèse théologique. Il s'agissait d'une thèse secondaire, au service d'une vérité qui est absolument première pour la foi: l'importance du baptême... Qu'on laisse tomber le concept de "limbes" si c'est nécessaire (du reste, les mêmes théologiens qui le défendaient affirmaient simultanément que les parents pouvaient les éviter à leur enfant par le désir qu'ils avaient de son baptême et par la prière) ;
mais qu'on ne laisse pas tomber le souci qui sous-tendait ce concept. Le baptême n'a jamais été, il n'est ni ne sera jamais une chose accessoire pour la foi.
»
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Ratzinger répéta cette idée à différentes reprises. Il est peut probable que les conclusions de la CTI auraient été si audacieuses, si ses membres n'avaient pas été conscients des encouragements de Benoît à aller dans cette direction.
En gros, le document sur les limbes a été bien accueilli par beaucoup de catholiques libéraux, qui y voient à la fois une expression de compassion, et un exemple opportun de développement doctrinal. Il a irrité quelques conservateurs, qui se demandent quels autres 'marqueurs' de l'identité catholique tradionnelle vont se retrouver sur le billot.


Le motu proprio

Le second point qui porte la touche personnelle de Benoît XVI, est le motu proprio à venir sur la Messe Tridentine.
Bien que son contenu précis ne soit pas encore connu, on s'attend à ce qu'il élargisse la permission faite aux prêtres de célébrer l'ancienne messe.

Bien sûr, il y a au Vatican des gens qui ont longuement travaillé en faveur de ce document, principalement le Cardinal Dario Castrillon Hoyos, préfet de la Commission Ecclesia Dei, qui s'occupe des problèmes relatifs à l'ancienne messe. Pourtant, le désir de voir préserver l'ancienne liturgie est aussi un souci très personnel de Benoît XVI, et encore une fois, dans lequel on retrouve clairement ses écrits d'avant son élection comme pape.

Dans ses mémoires écrits en 1978, publiées en français sous le titre "Ma vie", Ratzinger décrit avec des mots touchants comment le jeune homme qui avait grandi en Bavière avit été frappé par le théâtre ('drama') de la Messe Catholique.
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"C'était une aventure passionnante de pénétrer lentement dans le monde mystérieux de la liturgie, qui se déroulait là, devant nous et pour nous, à l'autel. Je réalisais de plus en plus clairement que j'abordais une réalité que jamais personne n'avait imaginée, ni autorité ni grande personnalité. Cette trame mystérieuse de textes et d'actions s'était développée au long des siècles à partir de la foi de l'Église; elle portait le poids de toute l'Histoire, tout en étant bien plus que le produit de l'Histoire des hommes."
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De façon compréhensible, Ratzinger était soucieux de protéger le rite qui avait eu un tel impact sur lui. Il avait été critique des changements liturgiques survenus après Vatican II (1962-1965), surtout la décision de Paul VI de supprimer la messe tridentine.

"L'interdiction... introduisit une rupure dans l'histoire de la liturgie dont les conséquences ne pouvaient qu'être tragiques", écrivait Razinger dans 'Ma vie'. "Je suis convaincu que la crise de l'Eglise dont nous faisons aujourd'hui l'expérience est en grande partie dûe à la désintégration de la liturgie".
Comme cardinal, Ratzinger célébra la messe tridentine en plusieurs occasions publiques. En Avril 1998, par exemple, il célébra une messe à Weimar, en Allemagne, pour les 350 membres de l'Association laïque pour le Rite Romain Classique. Avant cela, Ratzinger fut l'intervenant-vedette à une conférence parrainée par Una Voce, un groupe activiste de promotion de l'ancienne messe.

La prédilection de Ratzinger pour les anciennes pratiques liturgiques s'est egalement exprimée en 1993, lorqu'il rédigea la préface d'un livre écrit par le prêtre allemand Klaus Gamber 'Tourné vers le Seigneur', où Gamber soutenait qu'une des innovations liturgiques centrales de Vatican -célébrer la messe en tournant l'autel vers l'assistance - devrait être inversée. Ratzinger disait qu'il trouvait les arguments de Gamber convaincants, mais qu'il ne fallait pas passer tout de suite aux actes, au nom de la "Paix liturgique". Cependant, il disait que l'Eglise avait besoin d'une "réforme de la réforme".

Bien que la question de savoir quel sera l'impact réel du motu proprio au niveau de la pratique liturgique actuelle reste ouverte, au tribunal de l'opinion publique, elle sera certainement ressentie comme une victoire de l'aile traditionnelle de l'Eglise.


La "touche-Benoît"

Ainsi, que peuvent nous enseigner sur le pontificat ces deux 'touches' très personnelles de Benoît XVI?

Au premier coup d'oeil, elles semblent se contredire mutuellement. L'une a été prise comme un signe de modération et d'ouverture au changement, l'autre comme un effort pour inverser l'horloge. Se contentent-elles de s'annuler l'une l'autre? Peut-être illustrent-elles la sagesse pastorale déjà exprimée par Jean XXIII " à la fois pour ceux qui ont les pieds sur le frein, et ceux qui ont le pied sur l'accélérateur".

Il peut aussi y avoir une leçon plus profonde.


Un homme libre

Peut-être que ces deux mouvements apparemment contradictoires suggèrent en fait que Benoît XVI n'est l'homme de personne d'autre que de lui-même ('his own man'), qu'il n'est tenu par aucun parti, aucune faction, et par conséquent capable de prendre des décisions qui alternativement, enchantent et navrent les courants existants du paysage catholique actuel.
Ceci suggère que le Pape n'est pas un idéologue, et par conséquent qu'il est difficile de le figer dans une logique partisane. Il prend des décisions basées sur ce qu'il juge être le mérite d'une question, plutôt qu'en tenant compte du rôle que cette décision va jouer dans un cercle donné.

Si ceci est la lecture correcte -et il semble difficile d'expliquer ces mouvements autrement, particulièrement quand l'un tourne à ce point les talons à l'autre, et particulièrement quand tous deux sont le point culminant d'une réflexion théologique de plusieurs décennies- alors Benoît lui aussi, comme son prédécesseur, quoique de façon moins voyante, commence à se dessiner comme un "Pape de surprises"


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