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LE MONDE N'AIME PAS LE MOTU PROPRIO
 

Le pape libéralise la messe en latin d'avant Vatican II

LE MONDE | 07.07.07
Attendu par les catholiques traditionalistes comme une bénédiction, et par beaucoup d'évêques et de prêtres – en France, en Allemagne, en Suisse, aux Etats-Unis, etc. – comme un cadeau empoisonné, le motu proprio ("décret personnel") de Benoît XVI libéralisant la messe en latin a été publié, samedi 7 juillet, à Rome. Il est accompagné d'une "lettre d'explication" (initiative rare) du pape, qui se sait en terrain miné.

Cette question est en effet au cœur du conflit qui oppose encore, quarante ans après, les catholiques favorables au concile VaticanII et les traditionalistes (très minoritaires) qui font de la messe en latin le symbole de leur hostilité au changement des années 1960 dans l'Eglise catholique : reconnaissance de la liberté de religion, ouverture de dialogues avec les autres confessions chrétiennes, avec les juifs et les musulmans, fonctionnement plus collégial, etc.

"DOUBLE USAGE"

Le pape donne satisfaction aux traditionalistes sur le rite, mais ceux-ci devront se garder de triompher. L'article 1 du motu proprio établit que la messe moderne, dite de Paul VI, promulguée en 1970, est "l'expression ordinaire" de la vie de l'Eglise. Elle est solennellement confirmée. Le rite ancien – celui du concile de Trente (1545-1563), actualisé par JeanXXIII en 1962, qui l'avait expurgé de sa prière du vendredi saint pour les "juifs perfides" – n'est admis qu'à titre d'"expression extraordinaire" de la liturgie. La règle reste la messe moderne : la messe en latin est l'exception.

BenoîtXVI rappelle que le rite ancien n'avait jamais été abrogé, même après le concile (ce que plus personne ne conteste). Et récusant la critique qu'il pressent aujourd'hui d'un "bi-ritualisme", source de confusion et de division – qui serait nouveau dans l'Eglise latine (les Eglises d'Orient, pour des raisons historiques, ont plusieurs rites) –, il insiste : "Il n'y a qu'un rite romain", même s'il peut s'exprimer en deux formes. "Il n'est pas convenable de parler (…) de deux rites. Il s'agit plutôt d'un double usage de l'unique et même rite", écrit-il dans sa lettre d'explication.

La principale nouveauté du décret de Benoît XVI est la levée du verrou qu'avait fixé Jean Paul II pour la célébration de la messe en latin. Le 2 juillet 1988, dans la lettre apostolique Ecclesia Dei, publiée après le schisme de Mgr Lefebvre dans le but, déjà, de se réconcilier avec les traditionalistes, Jean PaulII avait voulu favoriser une application "généreuse" de l'ancien rite, mais l'avait soumise à l'approbation préalable de l'évêque du diocèse. Celle-ci ne sera plus nécessaire.

Ce dispositif n'avait pourtant pas si mal fonctionné puisqu'en France, par exemple, deux diocèses sur trois autorisent déjà des célébrations à l'ancienne. Mais le pape actuel veut aller plus loin dans la "réconciliation" avec son aile conservatrice. L'accès à l'ancienne messe était resté "difficile", admet-il, la raison étant que "les évêques craignaient que l'on mette en doute l'autorité du concile". Il en libère donc la voie et justifie, en outre, ces nouvelles normes –qui rentreront en application le 14 septembre– par des courants nouveaux de sympathie qu'il observe pour la messe traditionnelle dont on croyait, dans les années 1960, qu'elle disparaîtrait d'elle-même.

"À LA LIMITE DU SUPPORTABLE"

Benoît XVI est un pape de rigueur et d'orthodoxie. Avant d'être élu, le cardinal Ratzinger critiquait déjà les "abus" et les fantaisies de la messe moderne. Dans sa lettre du 7 juillet, il dénonce à nouveau "les déformations à la limite du supportable", déformations "arbitraires qui ont profondément blessé des personnes totalement enracinées dans la foi". Ces mots iront droit au cœur des traditionalistes. Mais ils décevront la grande majorité des prêtres et des évêques qui s'efforcent d'animer des liturgies modernes accessibles au plus grand nombre sans porter atteinte au mystère et au sacré.

Faut-il en déduire que les traditionalistes ont gagné la partie? Non, le pape met trois garde-fous. Primo, la messe en latin ne pourra être célébrée qu'à la condition qu'elle soit demandée par un "groupe stable" de fidèles attachés à l'ancien rite qui en fait la demande. Sans doute le mot "groupe stable" reste-t-il très vague. Le pape ne donne ni critère, ni chiffre et cela risque de provoquer des tensions. Mais les prêtres ne seront pas à la merci de pressions et de demandes individuelles.

Secundo, le prêtre en charge d'une communauté, en concertation avec son évêque, garde une marge de manœuvre. Il ne mettra pas en péril sa communauté qui observe la liturgie moderne. Il devra "éviter la discorde et favoriser l'unité de toute l'Eglise", écrit BenoîtXVI. Les prêtres de base connaissent les méthodes musclées de certains groupes traditionalistes pour tenter d'obtenir une église ou des célébrations en latin. Avec ce décret, ils ne sont pas démunis d'arguments.

Tertio, seuls des prêtres "idoines et non empêchés par le droit" pourront célébrer selon ces nouvelles dispositions. Les prêtres qui ne sont plus en communion avec l'Eglise (la Fraternité Saint-PieX fondée par Mgr Lefebvre, excommunié) ne seront pas davantage qu'hier autorisés à célébrer la messe en latin dans le diocèse où ils ont une implantation.

Il s'agit donc d'un texte plutôt équilibré. Le pape n'ignore pas "les exagérations de certains fidèles liés à l'ancienne tradition liturgique". Mais il estime que les craintes de "troubles" ne sont pas "réellement fondées", simplement parce que "l'usage de l'ancien rite présuppose une formation et un accès à la langue latine qui ne sont plus tellement fréquents". Il cherche à rassurer les évêques : "Ces nouvelles normes ne diminuent aucunement [votre] autorité". Ils sont chargés de "veiller à ce que tout se passe dans la paix et la sérénité".

Les catholiques conciliaires s'étonneront toutefois qu'aucune contrepartie ne soit exigée des traditionalistes en termes de ralliement au concile VaticanII, qu'ils vont continuer de poursuivre de leur hargne. La fin du schisme est-elle à ce prix ?

Henri Tincq
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La France et le schisme traditionaliste

LE MONDE | 07.07.07 | 13h43

Que la France soit la terre bénie des catholiques traditionalistes ne cesse d'étonner au-delà des frontières de l'Hexagone. Avec la publication, samedi 7 juillet, du motu proprio (décret) de Benoît XVI restaurant sous conditions l'ancien rite de l'Eglise, les rangs pour ou contre la messe en latin - plus de quarante ans après le concile Vatican II ! - risquent de se reformer en France. On aurait tort de sourire de cette querelle apparemment d'un autre âge. Un rite détermine toujours une vision de la religion et du monde. "De la messe en latin, ils vont faire un drapeau", craignaient déjà les conseillers du pape Paul VI (1963-1978) en parlant des traditionalistes.

C'est en France que les batailles de l'après-concile, dans les années 1960-1970, avaient été les plus rudes, les innovations liturgiques les plus inattendues, les résistances les plus fortes. C'est de France que s'était levé l'évêque dissident, Marcel Lefebvre (1905-1991), cet homme du Nord au caractère trempé, porte-parole de la minorité du concile hostile à toute réforme, combattant, jusqu'à l'excommunication et au schisme (1988), "la Rome de tendance néoprotestante et néomoderniste" et des papes comme Paul VI et Jean Paul II qu'il tenait pour des fossoyeurs de la tradition catholique. C'est en France aussi que la Fraternité Saint-Pie X, qu'il avait fondée pour regrouper les prêtres rebelles, est le mieux implantée.

Pourquoi la France ? Parce qu'elle n'en finit pas de vider des querelles qui remontent loin dans son histoire singulière. Le courant traditionaliste regroupe des nostalgiques du rite à l'ancienne, qu'ils tiennent pour la voie la plus sûre vers le sacré, le mystère, l'émotion, la beauté qu'ils disent ne plus trouver dans les offices modernes. Mais ils sont surtout les héritiers de toutes les résistances des derniers siècles contre la Réforme protestante du XVIe, contre la Révolution, contre le "modernisme" théologique qui a surtout touché la France.

La Contre-Réforme dure depuis quatre siècles pour des traditionalistes qui ne veulent avoir à connaître que ce rite tridentin, celui du concile de Trente (1545-1563), qui avait remis l'Eglise de Rome en ordre de marche après les secousses de Luther et Calvin. Ils n'ont jamais admis l'ouverture d'un dialogue avec les protestants, restés des hérétiques. Pour eux, l'Eglise moderne s'est même "protestantisée", par son rite, sa manière libérale de penser et de se réformer, de laisser la conscience l'emporter sur l'autorité et les droits de l'individu sur les normes imposées par Dieu.

Contre la Révolution française et le modernisme, ils n'ont jamais dévié de l'enseignement des papes "intransigeants" du XIXe, qui condamnaient les "idées de 89", défendaient la Révélation contre la Révolution, les devoirs de l'homme envers Dieu plutôt que ses droits. Leur référence doctrinale reste le Syllabus fulminé par Pie IX, en 1864, contre "le catalogue de toutes les erreurs du monde moderne" : liberté de pensée, de presse, de la raison, de la science et du progrès, droit pour chacun d'embrasser la religion de son choix. C'est aussi l'encyclique Pascendi du pape Pie X qui, en 1907, condamna le "modernisme", ce "rendez-vous de toutes les hérésies", et qui cautionna toutes les entreprises de délation et d'intimidation menées contre les exégètes, biblistes, historiens, influents en France (Alfred Loisy, Marie-Joseph Lagrange), accusés de mettre en doute l'historicité de la Bible et l'autorité de l'Eglise.
Avec les traditionalistes, le rite n'est jamais loin de la politique. On trouve dans leurs rangs, dans leur presse, dans leurs clans des orphelins de la vieille Action française de Charles Maurras (1868-1962), pour qui le catholicisme romain était le seul facteur de défense de la civilisation. Puis les héritiers de ceux qui avaient soutenu Franco, Salazar, Pinochet - qui faisait disparaître ses opposants avant d'aller chaque matin à la messe -, du général argentin Videla - qui faisait censurer dans les églises la prière du Magnificat, amputée de son verset le plus subversif : "Il (Dieu) renversa les puissants de leur trône." Le noyau dur du courant traditionaliste français comprend les éternels revenants de tous les combats de l'extrême droite, de Vichy jusqu'au Front national.

UNE EGLISE AU DIAPASON DE SON TEMPS

Mais c'est de France aussi qu'à l'inverse sont parties beaucoup des initiatives qui, depuis le XIXe, ont tenté de mettre le catholicisme au diapason de son temps. En France que sont nés les catholiques libéraux qui, à l'image d'un Lamennais, étaient effrayés par les dérives despotiques du pouvoir pontifical. En France, qu'après le Ralliement à la République, le Sillon de Marc Sangnier fit se lever des générations de "catholiques sociaux", souvent des aristocrates ou des bourgeois acquis à la doctrine sociale de l'Eglise, qui donnera naissance aux syndicats chrétiens. La condamnation de l'Action française par Pie XI, en 1926, a eu pour effet de libérer les militants et intellectuels vers un christianisme plus ouvert, social et libéral : Jacques Maritain réplique à Maurras dans Humanisme intégral (1936) et Emmanuel Mounier fonde Esprit en 1932.

Puis c'est l'éclosion de l'Action catholique, des mouvements de Jeunesse agricole chrétienne ou de Jeunesse ouvrière qui s'illustreront dans les combats de la Résistance. Citons les noms de Michelet, Bidault, Domenach, les théologiens de Lubac, Congar, de Moncheuil, Sommet, Chaillet, fondateur de Témoignage chrétien, qui ont identifié l'Evangile à la résistance au totalitarisme. Ces personnalités, avec de Gaulle ou contre lui, ont aussi participé aux efforts de la reconstruction de la France et d'une Eglise qui avait collaboré avec Vichy et s'est ouverte à la modernité et à ce qu'on appelait alors la "réévangélisation des masses".

C'est pourquoi l'Eglise de France, dont les prêtres-ouvriers et les théologiens d'avant-garde avaient été soumis au silence par Pie XII, était prête à accueillir le prodigieux renouvellement de Vatican II. Et les mêmes qui avaient été sanctionnés sont devenus les inspirateurs des réformes, ont changé le regard des catholiques sur le monde moderne, permis un fonctionnement plus collégial de l'Eglise, admis le droit de chaque homme à la liberté de religion et de conscience, ouvert une ère de dialogue avec les autres confessions chrétiennes, avec les juifs et les musulmans.

Personne ne reprochera au pape Benoît XVI de vouloir tenter de réintégrer ses "brebis perdues", mais comment ne pas redouter qu'une fraction, même minoritaire, de traditionalistes - la "Résistance catholique" - ne tente de reconquérir des positions de pouvoir à Rome, dans le clergé français et d'infléchir le meilleur des options catholiques des quarante dernières années ?

Henri Tincq