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LE BLOC-NOTE DE RIOUFOL SUR LA "QUESTION TURQUE"
 

Le bloc-notes :
La Turquie dévoilée par le Pape
Ivan Rioufol, le Figaro, 01 décembre 2006
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Non, la Turquie n'est pas l'Europe. Le voyage de Benoît XVI à Ankara, Éphèse et Istanbul, cette semaine, a confirmé l'analyse de celui qui était encore, en 2004, le cardinal Ratzinger : « Historiquement et culturellement, la Turquie a peu à partager avec l'Europe. » Certes, le Pape a assuré, cette fois, ne pas être opposé à l'entrée de la nation musulmane dans l'Union européenne, « sur la base de valeurs et de principes communs ». Mais des incompatibilités ont été fraternellement dévoilées.
Le diplomate Benoît XVI a contredit, mardi, ses propos passés de théologien, quand il assurait : « Ce serait une grande erreur d'englober la Turquie dans l'Europe. » Toutefois les « islamistes modérés », au pouvoir à Ankara depuis 2002, auraient tort d'y voir l'effet d'un recul, après ses remarques controversées sur l'islam, le 12 septembre à Ratisbonne. Engagé dans un « dialogue basé sur la vérité et qui respecte les différences », le Pape n'entend pas brader l'Occident.

Il l'a répété : la laïcité, la séparation entre la religion et l'État, la liberté de conscience caractérisent l'Europe. Comme l'écrit Philippe Nemo (Histoire du libéralisme en Europe, PUF), « deux millénaires de prédication judéo-chrétienne ont conféré aux mentalités et aux moeurs certains traits spécifiques qui, intimement mêlés au legs du civisme gréco­romain, ont abouti aux grandes institutions caractéristiques de la démocratie libérale, la liberté de penser, l'état de droit, le marché et la démocratie ».
Ce sont nombre de ces valeurs, héritées de Jérusalem, d'Athènes et de Rome, que le Pape propose à la Turquie d'adopter, avant d'entrer dans l'Europe. « Aux sources de la Turquie moderne se trouve le dialogue avec la raison européenne, avec sa pensée, son mode de vie, pour être réalisé dans un contexte historique et religieux différent », a déclaré le Saint-Père, en rendant hommage à Mustafa Kemal Atatürk qui, au début du XXe siècle, prit la Constitution française comme modèle.
Cependant, la Turquie kémaliste cède du terrain. Les islamistes, qui ont manifesté, ces jours-ci, contre les propos de Ratisbonne, ont montré combien la libre expression pouvait heurter le monde musulman, y compris dans cette démocratie « laïque » où le pouvoir politique, de plus en plus perméable à la religion, contrôle les imams sunnites par l'intermédiaire du directoire des affaires religieuses (le Diyanet) : rien de commun avec la culture européenne.

Contradictions
En fait, le Pape a mis les autorités turques face à leurs réticences à occidentaliser l'islam. En déclarant, mardi à Ankara : « Les autorités civiles de tout pays démocratique ont l'obligation de garantir la liberté effective de tous les croyants et de leur permettre d'organiser librement la vie de leurs communautés religieuses », il a incité ses hôtes à s'interroger sur le sort de leurs minorités. Les chrétiens, qui ne sont plus qu'une poignée (100 000, dont 15 000 catholiques latins), ne sont toujours pas reconnus, et l'Église orthodoxe souffre de cette discrimination, qui a également conduit jadis au génocide arménien. Même la minorité alévie (le courant chiite de l'islam) voit ses hautes figures, comme la famille Süzer, être l'objet de confiscations de biens par le pouvoir islamiste de Recep Tayyip Erdogan.
Le refus d'envisager un regard critique sur l'islam reste l'autre obstacle, pour un esprit occidental formé au libre débat. Quand le premier ministre assure au Pape que l'islam est « une religion d'amour et de tolérance » alors que, deux jours plus tôt, 20 000 islamistes défilaient à Istanbul contre le « représentant de la haine », la raison reste frustrée. Faudrait-il censurer Montesquieu, au nom d'une islamophobie encore resservie mardi, quand il écrit (De l'esprit des lois, livre XXIV, chapitre IV) : « La religion mahométane, qui ne parle que de glaive, agit encore sur les hommes avec cet esprit destructeur qui l'a fondée » ? Nietzsche, disant du christianisme qu'il est une religion de « malades », n'a jamais été inquiété.

Contre le relativisme
L'insistance de Benoît XVI à faire l'éloge des différences entre les cultures (« Non dans un but de confrontation, mais pour nourrir un respect mutuel ») est une façon de s'opposer au relativisme, au mélangisme, à la haine de soi. Cette idéologie du moment porte le risque d'une dilution de l'identité occidentale. C'est parce que l'Europe est engagée dans une déchristianisation qu'elle devient vulnérable à la loi du plus fort, représenté en l'occurrence par l'islam et ses susceptibilités. Saura-t-elle toujours faire respecter ses valeurs essentielles, comme les droits de l'homme, issus des dix commandements ? En appelant à la vigilance et à la réciprocité, le Pape met en garde contre l'endormissement.
Son discours identitaire rejoint d'ailleurs les préoccupations de Français qui, à droite comme à gauche, doutent désormais de la survie de l'unité nationale. Aux repentances à sens unique, exigées par de nouveaux arrivants et au métissage culturel loué par les dirigeants (« La richesse d'une nation, la richesse d'un peuple est pour une partie importante issue du multiculturalisme », Jacques Chirac, 5 décembre 2003), Benoît XVI suggère une autre méthode pour réussir l'intégration : la valorisation de la culture d'accueil. Seule une nation fière de son histoire, de sa langue, de ses dons saura susciter, chez les nouveaux venus, l'adhésion à un socle commun. Mais la France s'aime-t-elle assez ?

Le résistant

Hier à Istanbul : l'invitation de Benoît XVI aux chrétiens « à renouveler la conscience de l'Europe en ses racines, ses traditions, ses valeurs chrétiennes et à leur redonner une nouvelle vitalité ». Derrière l'intellectuel, le résistant.