Vous vous trouvez ici: Humeurs Janvier 2007  
 HUMEURS
Janvier 2007
Février 2007
Mars 2007
Avril 2007
Mai 2007
Juin 2007
Juillet 2007

AVIS DE TEMPÊTE DANS L'EGLISE CATHOLIQUE
 

Avis de tempête dans l'Eglise catholique, par Henri Tincq
LE MONDE | 16.01.07 | 13h04 • Mis à jour le 16.01.07 | 13h04

Le bateau tangue. Icône d'un catholicisme traditionnel et résistant, l'Eglise de Pologne, rattrapée par son passé, est en pleine crise. Comme celle d'Espagne, qui peine à s'adapter à l'Europe laïque et mène la guerre au gouvernement socialiste. Comme celle d'Italie, active sur tous les fronts - la bioéthique, le pacs, l'euthanasie - pour défendre ses positions jusqu'à l'intransigeance qui l'a conduite à refuser des funérailles religieuses à Piergiorgio Welby, grabataire et condamné, débranché à sa demande. Le pays unanime a condamné ce manque de charité, quelques jours après les obsèques... religieuses d'Augusto Pinochet.

Et que dire des Eglises sinistrées en Belgique, aux Pays-Bas, dans les pays ex-communistes (à l'exception de la Pologne) ou tétanisées comme en Irlande ou aux Etats-Unis par les scandales de prêtres pédophiles ? Dans cet environnement, on en viendrait presque à penser que la France tire son épingle du jeu. Les rapports avec l'Etat de l'Eglise, qui s'est adaptée, de gré ou de force, à la tradition laïque, y sont bons. Mais les Français, qui déjà pratiquaient peu, se déclarent de moins en moins catholiques (Le Monde des religions, numéro de janvier). Et c'est cette Eglise affaiblie qui risque demain d'être frappée de plein fouet par le projet de Rome d'accorder de nouvelles facilités à la messe en latin, considérée comme une régression par la grande majorité des fidèles. Le décret ("motu proprio") du pape a été retardé sur la pression des évêques français, mais après les crises polonaise, espagnole, italienne, on voit mal Benoît XVI prendre le risque de se mettre à dos l'Hexagone.

Le bateau tangue, d'abord, à Rome. La succession des dérapages qui s'attachent depuis quelques semaines à l'action du pape jette le trouble. L'état de grâce du théologien chevronné, qui avait surpris par sa hauteur de vues et son humble style, est terminé. Et le doute s'insinue : si les qualités intellectuelles et spirituelles de Benoît XVI sont appréciées, si sa popularité ne se dément pas - comme on en juge par le nombre des visiteurs place Saint-Pierre -, sa capacité d'homme de gouvernement n'a- t-elle pas été surestimée ? Car les décisions tardent, les desseins manquent, les déceptions s'accumulent.

Sans doute est-il imprudent de faire un amalgame entre des polémiques de nature différente, mais c'est leur succession qui crée l'image d'un pape peu préparé à sa fonction, mal entouré, accumulant les maladresses. Chacune a sa genèse : sous-estimation du caractère diffamatoire pour les musulmans du discours de Ratisbonne (Allemagne) sur la foi et la violence ; volonté de Benoît XVI, respectueux de l'ancienne tradition liturgique, d'en finir avec le schisme lefebvriste par des concessions sur la messe en latin ; fixité d'une morale catholique, dans l'affaire Welby, qui interdit toute atteinte à la vie, du début (avortement) à son terme (euthanasie) ; ignorance, enfin, du détail des archives polonaises mettant en cause des prêtres compromis avec les services de leur pays à l'époque communiste.

A chaque fois, le rétablissement est spectaculaire, mais suivi d'un autre coup de volant. Avec l'islam, une sortie de crise honorable a été trouvée grâce à la visite de Benoît XVI à la Mosquée bleue d'Istanbul, qui a scellé la réconciliation mais indigné des catholiques surpris de voir un pape en prière dans un lieu musulman.

Même confusion après la démission de l'éphémère archevêque de Varsovie : si certains admirent la façon courageuse dont le pape a tranché, une fois convaincu que l'homme n'avait pas dit toute la vérité, beaucoup s'étonnent du manque de vigilance du Vatican, qui l'avait nommé et soutenu. Et en Pologne, des voix s'élèvent pour s'étonner que des comptes ne soient pas aussi demandés en Espagne aux évêques et prêtres ex-franquistes, en Amérique latine à ceux qui ont collaboré avec les dictatures en Argentine ou au Chili.

Bref, ces dérapages traduisent un désarroi inhabituel au sommet de l'Eglise. Et les critiques commencent à fuser. Elles visent l'apparente soumission du pape à une Curie qui n'a pas été renouvelée autant qu'annoncé. Benoît XVI remanie son gouvernement par petites touches, nomme, comme s'il voulait se rassurer, ses anciens collaborateurs à l'ex-Saint-Office : Tarcisio Bertone, nouveau secrétaire d'Etat, Claudio Hummes, nouveau préfet (brésilien) du clergé, Ivan Dias, nouveau préfet (indien) de l'évangélisation. Ces hommes tardent à peser dans la vieille Curie de Jean Paul II, qui reste dominée par les partisans d'une gestion ultraprudente.



UN INTERDIT PLUS TENABLE



Critique aussi face au retard dans le traitement de dossiers brûlants comme celui des divorcés-remariés. Ou du préservatif, pour lequel une atténuation de la position de l'Eglise a été promise, alors même que des cardinaux de poids (Danneels à Bruxelles, Lustiger à Paris, Agrée à Abidjan) répètent, depuis vingt ans, que l'interdit n'est plus tenable face à une tragédie absolue comme le sida. Retard dans le règlement de successions lourdes comme celle du cardinal Ruini, vicaire de Rome, qui bloque toute évolution de l'Eglise italienne, dont il est le chef ; celle du cardinal colombien Lopez Trujillo, conservateur qui dicte les positions romaines sur l'éthique sexuelle et la famille ; celle du cardinal Poupard, chargé du dialogue des cultures et avec l'islam et qui n'avait pas été informé du discours de Ratisbonne.

La critique monte, enfin, contre l'absence apparente d'ambition mondiale d'un pontificat où dominent le poids de l'Europe et la hantise du pape allemand pour la "mort de Dieu" et la "dictature du relativisme". Que sait-on de ses positions sur le rapport entre la foi et les cultures lointaines, la cohabitation avec le prosélytisme des Eglises évangéliques dans les métropoles urbaines, l'émergence de l'Inde et de la Chine, l'intensification des flux migratoires des pays pauvres ?

Contrairement à son prédécesseur, qui, élu à 58 ans seulement, avait su s'extraire de la Curie pour ratisser les pays du Sud, où se joue l'avenir d'un christianisme qui a changé de couleur, Benoît XVI, 79 ans, n'est pas encore sorti de l'Europe. Un voyage est programmé en mai au Brésil. Une nouvelle page pourra s'ouvrir, mais on aura garde d'oublier que la "mondialisation" de l'action, de la pensée et des déplacements de Jean Paul II n'a pas empêché l'extrême centralisation de son Eglise. C'est par la reprise des inspirations du concile Vatican II - plus grande autonomie des Eglises locales, gouvernement plus collégial, réforme de la Curie et de la papauté, ouverture oecuménique -, mises en sourdine sous Jean Paul II, que l'Eglise catholique pourra s'adapter à son temps et retrouver sa dimension d'universalité.

Henri Tincq