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PAS DE CONCERT DE NOËL AU VATICAN

Pas de concert de Noël au Vatican

Mais n’oublions pas celui de juin
(Présent du 5 septembre)

La presse italienne l’annonçait jeudi : pour Noël, cette année, il n’y aura pas de concert de variétés dans la salle Paul VI, et l’on mettra fin ainsi à une habitude qui s’était installée depuis douze ans avec l’approbation de Jean-Paul II. La Stampa croit savoir que l’événement, qui réunit des vedettes italiennes et internationales pour un spectacle de bienfaisance, se repliera sur Monaco. Benoît XVI a-til personnellement pris la décision d’en terminer avec la… zic-mu ? C’est en tout cas son peu d’attrait pour la musique pop qui a motivé le renvoi des artistes vers des cieux plus profanes. En décembre dernier, déjà, le Pape avait omis de se déplacer pour l’événement et il n’avait même pas, à la grande déception des chanteurs, composé un vidéo-message enregistré comme le faisait son prédécesseur lorsqu’il était empêché.
Ce concert annulé rappelle que Benoît XVI, fin connaisseur de musique, amateur de Mozart et pianiste, dit-on, de talent, a des vues très précises sur l’art et l’Eglise, la contemplation de la beauté comme chemin vers Dieu.

Fin juin, le Pape a... orchestré un événement dont on a peu parlé en France, mais qui donne en quelque sorte le la de ses idées en matière de musique sacrée et de liturgie. C’était à la chapelle Sixtine. Tirant de son repos forcé l’ancien maître de chapelle de la salle la plus prestigieuse de la Ville éternelle, il fit donner un concert où des morceaux de grégorien et des polyphonies de Palestrina voisinèrent avec les compositions contemporaines, mais tout aussi classiques de celui-ci : Mgr Domenico Bartolucci.

C’était, en l’occurrence, une sorte de déclaration d’intention, en même temps qu’une étape de la « rééducation » liturgique conduite pas à pas par Benoît XVI. C’est ainsi qu’il commenta le concert, auquel il assista avec un plaisir manifeste : « Toutes les œuvres que nous venons d’écouter (…) concourent à confirmer la conviction que la polyphonie sacrée, en particulier celle de ce qu’on appelle “l’école romaine”, constitue un héritage qui doit être préservé avec soin, gardé vivant, et mieux connu, pour le bénéfice non seulement des savants et des spécialistes, mais de la communauté ecclésiale dans son ensemble. (…) Une mise à jour authentique de la musique sacrée ne pourra avoir lieu que dans le lignage de la grande tradition du passé, celle du chant grégorien et de la polyphonie sacrée. »
Déclaration d’intention… mais aussi, si l’on veut bien excuser la trivialité de l’expression, un pied de nez à d’aucuns. Maître Bartolucci avait été dans les dernières décennies au centre d’une polémique où seul le cardinal Ratzinger, ou quasi, prit son parti contre son élimination de la chapelle Sixtine en même temps que l’on chassait le grégorien et la polyphonie sacrée de la liturgie de l’Eglise. Nommé maître de chapelle en 1959 par Pie XII, Mgr Bartolucci s’était trouvé marginalisé par le cérémoniaire des cérémonies pontificales Mgr Piero Marini, qui finit par obtenir en 1997 de Jean-Paul II le renvoi de cet homme qui ne participait pas à ses innovations musicales. Le maître de chapelle avait certes déjà quatre-vingts ans passés. Mais il était plein de vigueur, comme nous allons le voir.
Le geste de Benoît XVI, rappelant ce nonagénaire à la place qu’il avait dû quitter bien à regret, revêt donc une importance symbolique certaine. D’autant que ce fut un concert réussi…
Quelques semaines plus tard, Mgr Bartolucci donna une interview en ligne sur le site du vaticaniste Sandro Magister pour commenter l’événement. Pour lui, parmi les six papes qui ont assisté à ses concerts, c’est Benoît XVI qui fait preuve de la plus grande « expertise musicale », même si Pie XII était un grand amateur et jouait fréquemment du violon. Jean XXIII ? « La chapelle Sixtine lui doit beaucoup » : c’est avec sa permission que le Maître put restaurer véritablement le chœur. Paul VI ? « Il n’avait pas d’oreille… »
Puis Mgr Bartolucci évoque le goût moderne des chants d’Eglise inspirés du « pop » : « La faute en incombe surtout aux pseudo-intellectuels qui ont manigancé cette dégénérescence de la liturgie, et partant de la musique, en renversant et en méprisant l’héritage du passé avec l’idée d’obtenir on ne sait quel avantage pour le peuple. »
Mgr Bartolucci apprécie l’interprétation « virile » du grégorien, né en des « temps violents », et a des mots très durs pour la réforme de Solesmes qui aboutit « aux adaptations douces et consolantes de nos jours » : quoi que l’on pense de ce jugement, son langage carré est en accord avec son choix musical…
Pour lui, il n’y a pas de place dans la nouvelle liturgie pour le grand répertoire qui nous vient de siècles où l’on ne concevait pas la liturgie sans musique : « Cette nouvelle liturgie est un brouhaha discordant – et il ne sert à rien de prétendre que c’est faux. C’est comme si on avait demandé à Michel-Ange de peindre le Jugement dernier sur un timbre-poste. Dites-moi, s’il vous plaît, comment il est possible aujourd’hui de donner un Credo, ou même un Gloria. Il nous faudrait d’abord, au moins pour les messes solennelles des fêtes, une liturgie qui donne à la musique sa vraie place et s’exprime dans le langage universel de l’Eglise, le latin. A la Sixtine, après la réforme liturgique, je n’ai pu maintenir son répertoire traditionnel que pour des concerts. »
Certes, l’événement de juin ne fut qu’un concert, point une messe. Pour Sandro Magister, le Saint-Père ne peut avancer qu’en « rééduquant » pas à pas. Ainsi l’exprime Mgr Bartolucci : « Je suis optimiste de nature, mais je juge la situation présente avec réalisme, et je pense qu’un Napoléon sans généraux ne peut pas faire beaucoup. Aujourd’hui on obéit à ce slogan : “Allez vers le peuple, regardez-le dans les yeux”, mais ce n’est qu’un tas de paroles creuses. Ce faisant nous finissons par nous célébrer nous-mêmes, et le mystère et la beauté de Dieu nous sont cachés. En réalité, nous sommes témoins du déclin de l’Occident. Un évêque africain me dit un jour : “Nous espérons que le Concile n’enlèvera pas le latin de la liturgie, car sinon, dans mon pays, un Babel de dialectes va s’affirmer.” »
En tant que musicien, Mgr Bartolucci a une reconnaissance profonde à l’égard de l’Eglise : « La musique est l’Art avec un A majuscule. A la sculpture il faut le marbre, à l’architecture l’édifice. On ne voit la musique qu’avec les yeux de l’esprit, elle entre en vous. Et l’Eglise a le mérite de l’avoir cultivée dans ses manécanteries, de lui avoir donné sa grammaire et sa syntaxe. La musique est l’âme de la parole qui devient art. Elle dispose très certainement à découvrir et à accueillir la beauté de Dieu. Pour cela, aujourd’hui plus que jamais l’Eglise doit apprendre à la retrouver. »
Au cours de l’interview, Mgr Bartolucci rappelle qu’il quitta un jour une cérémonie pontificale agrémentée de danses et de tambour, en lançant : « Appelez-moi quand le spectacle sera fini. »
Le « spectacle » serait-il en train de s’achever ? Nous allons peutêtre découvrir ce que peut l’amour du beau…
JEANNE SMITS


 

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