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DES RÉACTIONS INTÉRESSANTES...27 SEPTEMBRE

Une tribune sur un site basque

Tribune libre trouvée par hasard ici (un site dont j'ignore tout, sinon qu'il publie un journal "régionaliste" basque, intitulé "Le journal du pays basque"). Je ne partage pas entièrement les idées du billetiste, dont certaines sont même insupportables (en gras italique), mais c'est souvent pertinent, et plus intéressant que presque tout ce que j'ai pu lire dans la presse francophone ces temps-ci

Benoît XVI et le djihad
Xipri ALBERBIDE / Helette
Il y a huit mois le monde musulman était en effervescence à la suite des caricatures de Mohamed. Le monde des journalistes a fait bloc pour revendiquer le droit de ridiculiser le prophète quelles qu’en soient les conséquences, au nom du droit à la liberté d’expression.

J’ai été de la petite minorité à dire qu’il faut savoir parfois mettre un droit sous le boisseau si le bien commun l’exige. Le monde musulman étant aujourd’hui exacerbé, et non sans raison (Irak, Iran, Palestine, Tchétchénie etc.), ce n’était pas le moment de jeter de l’huile sur le feu.

J’ai toujours la même façon de voir après la leçon magistrale de Benoît XVI à Ratisbonne: ce qu’il a dit est peut-être juste, mais il a mis dans de beaux draps les minorités chrétiennes de Palestine, Liban, Syrie, Irak etc. Ils subissent les réactions, violentes, des musulmans : une religieuse assassinée en Somalie, des églises brûlées en Palestine etc.
Les conseillers de Benoît XVI ne doivent guère connaître le monde au-delà des remparts du Vatican pour n’avoir point senti les conséquences de ces paroles et ne lui avoir pas soufflé que toute vérité n’est pas bonne à dire. Tous les discours du pape sont lus par ces conseillers !

Ceci dit, on ne peut nier le djihad. Voici la définition du dictionnaire encyclopédique Larousse-Bordas: "Guerre sainte que tout musulman se doit d’accomplir pour défendre et éventuellement étendre le domaine musulman". Je ne cache pas que le Larousse a subi un autodafé pour cette définition. Que les journalistes ont crié au scandale.

Commencée par Mohamed lui-même avec la bataille de Badr en 624, cette guerre sainte prit fin à Poitiers en 732 avec Charles Martel, "le domaine musulman" s’étant étendu à l’Egypte, la Lybie, l’Afrique du Nord, l’Espagne et la Navarre, qui a connu un royaume musulman autour de Tudela. Les chrétiens rendirent la monnaie de la pièce avec les croisades qui elles, n’avaient rien d’évangélique. La phrase de l’empereur Manuel Paleologue citée par le pape : "Dieu n’aime pas le sang" s’applique aux chrétiens comme aux musulmans.

C’est un écrivain musulman, Abdelwahab Meddeb qui écrit : "Ce n’est pas Benoît XVI qui a inventé le "verset de l’épée", extrêmement dur pour ceux qui n’adhèrent pas à la "religion vraie".Il est temps de séparer l’islam de l’islamisme. Et il faut admettre que la maladie de l’islamisme a ses germes dans la lettre coranique elle-même."
Ces quelques lignes montrent que le monde musulman n’est pas un monde monolithique sur cette question.

Par ailleurs, je ne puis m’empêcher de remarquer que le monde des médias, si peu favorable aux musulmans il y a quelques mois a complètement viré de bord, alors que les réactions violentes qui ont suivi, confirment ce qu’a dit Benoît XVI. Quelle est la cause de ce changement ? Aurait-on lu mon dernier article du Journal du Pays Basque ? Ou serait-ce que cette fois c’est le pape qui est en cause et non plus les médias ?

Pour terminer je voudrais faire remarquer que 99,99 % des musulmans n’ont pas lu le discours de Benoît XVI. Ils n’en ont connu que ce qu’en ont donné les journalistes, bien peu desquels ont pris la peine de lire ce texte. J’en entendais un annonçant péremptoirement au micro : Benoît XVI a affirmé que les musulmans n’ont fait de conversions "que par les armes" : il s’agit tout simplement d’un mensonge. Non d’une information. Ni même d’un commentaire.


Un site satirique africain

Sur un ton comparable, voici un article trouvé sur le site africain Bakchich Baba!, qui s'intitule lui-même "le journal des dessous de table: site satyrique d'information sur le Maghreb, l'Afrique, le Moyen-Orient et la France métissée". Tout un programme, en effet.
N'en sachant pas plus sur les auteurs (qui se présentent ici avec un certain humour), je reste très réservée, mais ce texte (dont certains passages me restent carrément en travers de la gorge), écrit par un musulman qui ne se contente pas de manier l'invective, et sait faire preuve d'une vraie lucidité auto-critique, prouve quand même que certains parmi eux, se posent les bonnes questions.


Benoît XVI et notre ijtihad atrophié

Chronique du Blédard

vendredi 22 septembre 2006 par Akram Belkaïd

Et voilà que ça recommence ! Six mois à peine après l’affaire des caricatures voici que, de nouveau, une fièvre enflamme le monde musulman, aggrave le fossé qui le sépare de l’Occident et donne des arguments à tous ceux - et ils sont de plus en plus nombreux - qui nous affirment que nous vivons déjà le choc des civilisations tandis que le jour de l’Heure approche. Je n’oublie pas non plus ceux qui en profitent pour moquer (ont-ils totalement tort ?) des populations toujours disponibles pour d’affligeantes scènes d’hystérie collective (il faudra tout de même s’interroger un jour sur le fait que c’est dans le sous-continent indien que ces manifestations sont les plus importantes mais ceci est une autre affaire...).

Quel était l’intérêt pour Benoît XVI de faire appel à un texte du quatorzième siècle pour « démontrer » que le christianisme est plus apte que l’islam à cohabiter avec la Raison ? En oubliant allègrement les Croisades, la colonisation, l’évangélisation de l’Amérique du Sud, l’Inquisition, les positions ambiguës de Rome vis-à-vis de l’esclavage ou, plus tard, du nazisme, le pape a conforté l’impression qu’il défendait, l’idée selon laquelle la violence au nom de la foi est la caractéristique exclusive de l’islam. Cette controverse théologique fera certainement date mais la façon dont elle a été initiée est déplorable. En citant un passage où il est question - de manière très négative - du Prophète Mohammed, le pape ne pouvait ignorer qu’il allait déclencher une polémique.

Il ne pouvait ignorer que, dans un monde musulman où la rumeur et la propagande des régimes dictatoriaux rivalisent en surenchère, il se trouverait des milliers de gens pour lui attribuer la paternité de ces propos insultants avec les conséquences qu’il faut désormais craindre. Ce pape, qui cogne puis feint de se rétracter, aura bien du mal à nous convaincre qu’il estime que musulmans et chrétiens ont foi dans un Dieu commun. Est-ce grave ? Dans un monde apaisé, non. Mais dans celui dans lequel nous vivons, il faudrait être sot pour ne pas imaginer les dégâts futurs de cette provocation.

Je ne crois pas en effet qu’il s’agisse d’une maladresse surtout au lendemain de la commémoration des attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis mais aussi à quelques jours du début du ramadan. Benoît XVI est un brillant théologien et c’est aussi un homme de conviction. Il y a un an déjà, à Cologne, en marge des journées mondiales de la jeunesse, il avait tancé les musulmans, leur enjoignant d’extirper de leurs coeurs le sentiment de rancoeur et de s’opposer à toute forme d’intolérance et à toute manifestation de violence, ceci après avoir appelé juifs et chrétiens à combattre ensemble les « forces du mal » (suivez son regard...)

Le successeur de Jean-Paul II se veut peut-être l’homme de la fermeté face à l’islam voire d’une position plus radicale que la simple fermeté. Est-ce une volonté de confrontation avec laquelle les musulmans devront compter ? Est-ce aussi une stratégie marketing opportuniste - et en concurrence avec les sectes évangélistes - qui consiste à battre le rappel des fidèles en s’en prenant à un islam montré du doigt pour des crimes pourtant commis par une infime minorité ? Pense-t-il que la renaissance de l’Eglise catholique passe par un bras de fer - ne serait-ce que sémantique - avec le Croissant ? Dans ce dernier cas, Benoît XVI risque fort d’apprendre à ses dépens que l’on ne récupère pas ses anciens clients en insultant la maison d’en face...

Un bras de fer croix/croissant ?

On peut aussi se demander si tout cela n’est pas annonciateur d’un bouleversement plus important pour les catholiques avec une remise en cause - discrète pour le moment - de Vatican II. La réconciliation du pape avec les intégristes de la Fraternité Saint-Pie X serait du coup un autre élément à prendre en compte dans cette réflexion.

Mais, à dire vrai, les motivations réelles de Benoît XVI me sont secondaires. Par contre, je pense que son interpellation est une opportunité pour les musulmans. Volontaire ou pas, c’est une incitation à relever un défi. Benoît XVI nous parle de la Raison ? Réfléchissons, faisons le point. Où en sommes-nous sur cette question ? Qu’avons-nous à répondre sur les rapports de notre foi avec la rationalité ? Je crains que nous soyons obligés de constater que nous avons pris, depuis plusieurs siècles, le mauvais chemin.

A ceux qui, répliquant à Benoît XVI, hurlent, à raison, les noms d’Al-Kindi, Ibn Rochd (Averroès), Ibn Sina (Avicenne) ou même Ibn Khaldoun, je dis « et aujourd’hui ? ». Que nous reste-t-il de leur oeuvre ? Quel sort avons-nous fait aux textes qui nous exhortaient à emprunter les chemins de la rationalité et du libre-arbitre ? Pourquoi avons-nous du mal à renouveler les paroles de ceux qui, jadis, ont défendu l’idée que la Raison a la capacité de déterminer la Vérité ? Pourquoi en sommes-nous restés à la glaciation du XIe siècle ? Pourquoi refusons-nous d’en sortir ? Ou plutôt, pourquoi refusons-nous d’en sortir au grand jour ? N’est-il pas temps de relire les textes d’Abdelhamid Ben Badis, d’Allal El-Fassi, de Mohammad Abdouh ou de Jamal-Eddine Al-Afghani sans oublier Mohammed Arkoun ou Mohammed Talbi ? Au lieu de s’égosiller, d’aller jeter des pierres contre les consulats, de brûler des pantins en place publique pour la plus grande joie des télévisions occidentales - et pire encore d’assassiner des religieux -, il serait temps de revenir vers l’ijtihad.

Pourquoi les rares appels à une relecture du Coran sont-ils aussi peu nombreux et autant critiqués quand ils ne débouchent pas sur une mise en accusation et des appels au meurtre ? Les exégèses, anciennes et plus récentes, ne manquent pas, et pourtant elles demeurent méconnues, reléguées au fond d’un sac d’ignorance et d’archaïsme. Nous pouvons bien boycotter les produits « made in Vatican » mais cela ne saurait nous empêcher de regarder en nous-mêmes et de convenir que nous portons, malgré toute la duplicité des puissants de ce monde, une part de responsabilité dans l’image détestable que nous renvoie une bonne partie de la planète.

Il y a urgence. Prenons de la distance. Soyons novateurs. Isolons-nous du bruit, des passions et des faux héritages.
Ceci étant dit, que cela ne nous empêche pas de nous réjouir de l’arrivée d’un ramadan que je vous souhaite bon, serein et baigné de spiritualité.


 

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