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 LE THÉOLOGIEN
De A à Z

EVOLUTION
 



"
Au comencement, Dieu créa le Ciel et la Terre", 3ème sermon de Carêmef prononcés en 1981 à Munich par l'archevêque Joseph Ratzinger (édition Fayard).


 
 

Il insiste bien sûr une nouvelle fois (cf rubrique Genèse) sur la distinction entre la forme et le fond dans le récit de la Création, tel qu'on le lit dans la Bible:

" La Bible n'est pas un manuel de sciences naturelles, elle n'entend pas l'être. C'est un livre religieux et, en conséquence, on ne peut en tirer d'informations concernant les sciences positives, ni y voir comment s'est opérée la genèse du monde du point de vue de l'histoire naturelle, mais seulement y puiser des connaissances de caractère religieux. Tout le reste est image, manière de rendre compréhensible aux hommes les vérités les plus profondes. Il faut distinguer la forme de présentation du contenu présenté."


Et il revient sur le célèbre ouvrage du biologiste Jacques Monod, "
Le hasard et la nécessité", pour argumenter avec la raison de la foi, mais dans un esprit de grande ouverture intellectuelle.


 

Au temps où Yavhé-Dieu fit la terre et le ciel, il n'y avait encore aucun arbuste des champs sur la terre et aucune herbe des champs n'avait encore poussé, car YahvéDieu n'avait pas fait pleuvoir sur la terre et il n'y avait pas d'homme pour cultiver le sol. Toutefois, un flot montait de terre et arrosait toute la surface du sol. Alors Yahvé-Dieu modela l'homme avec la glaise du sol, il insuffla dans ses narines une haleine de vie et l'homme devint un être vivant.
(Genèse, 2,4-9)


 
 

Tout cela est bien beau, peut-on se dire aujourd'hui, mais, en fin de compte, n'est-ce pas déjà réfuté par nos connaissances scientifiques sur l'origine de l'homme dans le règne animal ? Les esprits les plus réfléchis se sont rendu compte depuis très longtemps qu'il ne s'agit pas là d'une alternative absolue.
On ne peut dire : la Création ou l'évolution. La formule correcte doit être : la Création et l'évolution, car ces deux notions répondent à deux questions différentes. L'histoire de la glaise du sol et de l'haleine de Dieu, que nous venons d'entendre, ne révèle pas en effet comment se forme un homme, mais ce qu'il est. Elle décrit son origine profonde, en éclaire le projet sous-jacent. La théorie de l'évolution, au contraire, prétend connaître et décrire des processus biologiques. Mais elle ne peut expliquer de la sorte l'origine du « Projet Homme », son principe interne, sa véritable nature. Nous nous trouvons donc ici devant deux questions qui ne s'excluent pas, mais se complètent.

Mais examinons cela d'un peu plus près, car les progrès de la pensée, tout spécialement ces vingt dernières années, nous aident ici encore à comprendre sous un jour nouveau l'unité interne de la Création et de l'évolution, de la foi et de la raison. Ce fut une découverte caractéristique du XIXe siècle que d'appréhender les choses dans leur histoire, leur développement. On se rendit compte que certaines réalités que nous considérons comme immuables et permanentes sont le résultat d'un long processus en devenir. Cela est vrai non seulement dans le domaine de l'humain, mais également dans celui de la nature.
Il devint évident que l'univers n'est pas une espèce de grosse boîte dans laquelle les choses ont été mises telles quelles, mais est comparable à un arbre vivant, en croissance et en devenir, qui lance peu à peu, toujours plus haut, ses branches vers le ciel. Cette commune découverte a été et est encore expliquée parfois de manière plutôt fantaisiste mais, avec les progrès de la recherche, la façon de la comprendre correctement apparaît de façon de plus en plus claire.

Je souhaiterais faire quelques remarques à ce propos en reprenant les idées de Jacques Monod qui, comme scientifique de haut rang d'une part, comme adversaire acharné de toute croyance en la Création d'autre part, peut certainement être considéré comme un témoin au-dessus de tout soupçon.

Deux constatations fondamentales qu'il a soulignées me paraissent d'une importance toute particulière. [..] Il fait remarquer qu'il existe en particulier deux réalités qui n'étaient pas tenues d'exister : elles pouvaient exister sans que cela fût nécessaire. L'une d'elles est la Vie. D'après les lois physiques, la vie pouvait apparaître mais n'était absolument pas nécessaire. Monod ajoute ici qu'il était extrêmement improbable qu'elle fasse son apparition. La probabilité mathématique en était pratiquement nulle, de sorte que l'on peut supposer que c'est très certainement une fois unique, et sur notre terre, que s'est produit cet événement hautement improbable de l'apparition de la vie.
Selon la seconde constatation, cet être mystérieux qu'est l'homme pouvait exister sans qu'il y en eût aucune nécessité. Lui aussi est si improbable que Monod, en tant que scientifique, observe que son apparition n'a probablement pu se produire qu'une seule et unique fois. Nous sommes le fruit du hasard, dit-il
. Nous avons tiré le bon numéro à la loterie et devons nous comparer à quelqu'un qui, tout à coup, sans l'avoir prévu, aurait gagné un milliard au jeu de hasards. Dans son langage d'athée, il exprime à nouveau ce que la foi de tous les siècles avait appelé la « contingence » de l'homme, et qui était devenue, pour le croyant, prière : je ne devais pas être, mais je suis, et Toi, Seigneur, Tu m'as voulu.
Monod met simplement à la place de la volonté divine le hasard, la loterie censés nous avoir produits. Si tel était le cas, le fait d'affirmer qu'il s'agit bien d'un numéro gagnant apparaîtrait comme de plus en plus sujet à discussion. [..] Et en effet, si c'est un hasard aveugle qui nous a jetés dans les profondeurs du néant, il y a suffisamment de raisons pour considérer que nous avons tiré le mauvais numéro. Si nous savons par contre qu'il existe quelqu'un qui n'a pas tiré aveuglément au sort, que nous ne sommes pas les fruits du hasard mais sommes issus de la liberté et de l'amour, alors, nous qui ne sommes pas nécessaires pouvons rendre grâce pour cette liberté et, par là même, nous convaincre que c'est bien un don d'être homme.

Abordons maintenant directement le problème de l'évolution et de ses mécanismes. La microbiologie et la biochimie nous ont apporté des connaissances qui ont tout bouleversé. Elles pénètrent de plus en plus le mystère central de la vie, elles s'évertuent à déchiffrer son langage secret et à découvrir ainsi ce qu'est réellement la vie. Elles ont abouti effectivement à l'idée que par maints aspects, on peut comparer un organisme vivant à une machine. En effet, ceux-ci ont en commun d'être la réalisation d'un projet réfléchi et rationnel, harmonieux et logique en lui-même. Leur fonctionnement est basé sur une construction élaborée de manière précise, donc intelligible.
Mais, à côté de ces similitudes, il y a également des différences.
La première, relativement peu importante, est que le projet « Organisme » est incomparablement mieux conçu et plus audacieux que les machines les plus sophistiquées. Celles-ci, par comparaison, sont bâclées, gauchement conçues. Une seconde différence, plus importante, est que le projet « Organisme » se suffit à lui-même, alors que la machine doit être mise en mouvement par un agent extérieur. Enfin, la troisième différence est que ce projet a la capacité de se reproduire lui-même. Il peut renouveler et propager ce qui le constitue. En d'autres termes, il a cette capacité de reproduction par laquelle un complexe semblable à luimême, vivant et harmonieux, accède à l'existence6.
Et voici qu'apparaît quelque chose de totalement inattendu et de capital, ce que Monod appelle l'élément « platonique » de l'univers. Il entend par là que n'existe pas seulement le devenir, par lequel tout change continuellement, mais aussi le durable, les Idées immuables qui rayonnent à travers la réalité dont elles sont les principes permanents et fondamentaux. La stabilité existe et se manifeste de telle manière que chaque organisme transmet strictement son modèle, le projet qu'il constitue. Comme le dit le fameux biologiste, tout organisme est, par constitution, conservateur. Il se reproduit exactement lui-même. En conséquence, Monod affirme qu'aux yeux de la biologie moderne, l'évolution n'est pas une propriété des êtres vivants. Au contraire, ce qui les caractérise, c'est d'être invariables. Ils se transmettent, et leur modèle perdure.
Monod trouve cependant une voie pour l'évolution dans le constat qu'il peut y avoir erreur de transmission dans la propagation du modèle. Comme la nature est conservatrice, cette erreur, une fois qu'elle s'est produite, se propage. De telles erreurs peuvent s'ajouter, et de leur somme peut surgir quelque chose de nouveau. Monod en tire alors une conclusion stupéfiante : c'est de cette manière que s'est fait l'univers du vivant, c'est de cette manière que s'est fait l'homme. Nous sommes le produit d'erreurs dûes au hasard.

Que pouvons-nous dire d'une telle réponse ? Cela reste l'une des tâches de la science d'expliquer dans le détail quels sont les facteurs au gré desquels l'arbre de vie continue de croître, et de nouvelles branches d'en jaillir. Ce n'est pas l'une des interrogations de la foi. Mais nous devons et pouvons avoir le courage de dire : les grands projets du vivant ne sont pas des produits du hasard et de l'erreur. Ils ne sont pas davantage les produits d'une sélection à laquelle on attribue des propriétés divines qui, dans ce contexte, illogiques et non scientifiques, ne sont qu'un mythe moderne.
Les grands projets du vivant révèlent une raison créatrice. Ils nous montrent l'Esprit Créateur d'une manière aujourd'hui plus lumineuse et resplendissante que jamais.
Aussi pouvons-nous dire aujourd'hui, avec une certitude et une joie nouvelles : oui, l'homme est un projet de Dieu. Seul l'Esprit Créateur était suffisamment grand, puissant et audacieux pour concevoir un tel projet. L'homme n'est pas une erreur, il est voulu, il est le fruit d'un amour. Il peut découvrir en lui-même, dans cet audacieux projet qu'il est, le langage de l'Esprit Créateur qui lui parle et l'encourage à dire : Oui, Père, Tu m'as voulu.


 

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