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 LE THÉOLOGIEN
De A à Z

ISLAM
 

"Le sel de la terre", Peter Seewald, page 54


 

...Je crois qu'il faut tout d'abord savoir que l'islam n'est pas un tout homogène. Il n'a pas non plus d'instance unique, aussi le dialogue avec l'islam est-il toujours un dialogue avec certains groupes. Personne ne peut parler au nom de l'islam tout entier, il n'a pas pour ainsi dire de règles d'orthodoxie communes. Sans même parler des ruptures proprement dites entre sunnites et chiites, il se présente aussi sous diverses variantes.
Il y a un islam « noble », incarné par exemple par le roi du Maroc, et il y a aussi l'islam extrémiste, terroriste, mais que l'on ne doit pas non plus identifier avec l'islam dans son ensemble, ce qui serait injuste.
Le point important, c'est que dans l'ensemble l'islam organise les rapports entre société, politique et religion selon un tout autre modèle.
Si l'on discute aujourd'hui à l'Ouest de la possibilité de créer des facultés théologiques musulmanes, ou si l'on se représente l'islam comme une personne morale de droit public, cela revient à supposer que toutes les religions sont structurées de la même manière ; qu'elles entrent toutes dans un système démocratique, avec leurs réglementations juridique et leurs espaces de liberté assurés par cet ordre juridique.
Mais cela en soi contredit forcément l'essence de l'islam. L'islam ne connaît absolument pas la séparation des domaines politique et religieux, inhérente au christianisme dès le début.
Le Coran est une loi religieuse totalisante, qui règle la totalité de la vie politique et sociale et exige que toute l'organisation de la vie soit dictée par l'islam. La charia impose sa marque à la société du commencement à la fin. L'islam peut certes user de libertés partielles, comme notre Constitution en accorde, mais son but final ne peut pas être de dire : Oui, maintenant nous sommes aussi une personne morale de droit public, maintenant nous sommes présents comme les catholiques et les protestants. Il n'en est pas encore arrivé vraiment à ce point-là, c'est toujours un point de divergence.
L'islam a une toute autre conception des règles de vie, il en englobe tout simplement la totalité, et ses lois sont différentes des nôtres.
Il y a une très nette subordination de la femme à l'homme, le droit pénal, tous les rapports de la vie, sont fixés avec rigidité et opposés à nos conceptions modernes de la société. Il faut bien comprendre que ce n'est pas seulement une confession que l'on adopte dans l'espace libéral d'une communauté pluraliste.
Ainsi entendu, comme cela arrive parfois aujourd'hui, l'islam est décliné selon un modèle chrétien et n'est pas vu tel qu'il est vraiment. Dans cette mesure, la question du dialogue avec l'islam est naturellement beaucoup plus compliquée que, par exemple, un dialogue interne à la chrétienté.


L'expansion de l'islam

Cette expansion est un phénomène qui a plusieurs visages. D'une part, des points de vue financiers entrent en jeu. La puissance financière que les pays arabes ont atteinte leur permet de construire partout de grandes mosquées, d'assurer la présence d'instituts culturels musulmans et autres choses semblables. Mais cela n'est sûrement qu'un facteur. L'autre, c'est une identité qui a retrouvé sa force, une nouvelle conscience de soi.
Dans la situation culturelle du xixe siècle et du début du xxe, donc jusque dans les années soixante, la supériorité des pays chrétiens était si grande dans les domaines industriel, culturel, politique, militaire, que l'islam était véritablement refoulé au second plan, et que le christianisme - en tout cas les civilisations fondées sur le christianisme - pouvait se considérer comme la puissance victorieuse de l'histoire du monde.
Mais ensuite a éclaté la grande crise morale du monde occidental, qui incarne le monde chrétien. En face des profondes contradictions morales de l'Occident et de son désarroi intérieur - coïncidant avec la nouvelle puissance économique des pays arabes -, l'âme islamique s'est de nouveau réveillée: nous sommes aussi quelqu'un, notre identité est mieux définie que la vôtre, notre religion tient bon et vous, vous n'en avez plus.
Tel est aujourd'hui le sentiment du monde musulman les pays occidentaux ne peuvent plus proclamer de message moral, ils n'ont à offrir au monde qu'un know how ; la religion chrétienne a abdiqué, elle n'existe plus en tant que religion ; les chrétiens n'ont plus de morale ni de foi, il n'y a plus chez eux que quelques restes d'idées modernes inspirées des Lumières ; mais nous, nous avons une religion qui tient bon.
Les musulmans ont maintenant conscience que l'islam est finalement resté la religion la plus riche en forces de vie, qu'ils ont quelque chose à dire au monde, et qu'ils sont même la force religieuse essentielle de l'avenir. Auparavant, la charia et tout le reste avaient en quelque sorte largement quitté la scène, aujourd'hui surgit un nouvel orgueil. Ainsi s'est éveillé un nouvel élan, une nouvelle intensité, la volonté de vivre l'islam. C'est là sa grande force : nous avons un message moral, intact depuis les prophètes, et nous dirons au monde comment on doit vivre,
les chrétiens ne le peuvent pas
.
Nous devons naturellement nous confronter avec cette force intérieure de l'islam, qui fascine aussi des milieux universitaires.


 

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