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UNE INTERVIEW "MUSICALE" ET BIOGRAPHIQUE
 

Georg Ratzinger: une interview musicale et biographique

- Bienvenue! Dans l'émission d'aujourd'hui, je suis heureux d'accueillir notre invité, qui fut longtemps Maître de Choeur du Dôme de Ratisbonne, organiste, et chef, Georg Ratzinger.Je suis très heureux, Herr Ratzinger, de vous avoir ici aujourd'hui avec votre musique.
- Bonjour! Gruss Gott!

- Herr Ratzinger, vous êtes un mélomane passionné. ...
- ...Je suis à présent en retraite, j'ai très peu d'activités, et à cause de ma pauvre vue, je ne peux pas lire, donc, écouter de la musique est pour moi quelque chose de beau, et une grande aide dans la solitude que l'on ressent lorsqu'on ne peut plus lire.

- Depuis 18h43, tôt dans la soirée du 19 avril 2005, le nom de Ratzinger devint célèbre dans le monde entier, quand votre frère fut élu Pape. Cela a-t'il changé votre vie, Herr Ratzinger?
- Ma vie elle-même a changé, parce que les visites régulières que mon frère faisait à Ratisbonne ne sont plus possibles maintenant qu'il est Pape. Le voyage apostolique qu'il va effectuer en Bavière ne peut être considéré comme une visite, au sens où je l'entends. Ses visites, avant, étaient très plaisantes. Maintenant, c'est fini, c'est le passé. Je me rendrai plus souvent à Rome, mais même là, évidemment, nos contacts ne sont pas aussi nombreux. L'autre façon dont cela a changé ma vie, c'est que, tout à coup, beaucoup de gens, et les medias, me découvrent de l'intérêt.

- Il y avait trois enfants dans votre famille -Joseph, Maria, et vous. Quel rôle jouait la musique pour vous, lorsque vous étiez enfants? Etiez-vous tous les trois aussi férus de musique que vous-même?
- Depuis le débuit, j'étais celui que la musique fascinait le plus, mais nous aimions tous les trois la musique. Le principal "moment musical" de notre enfance, c'était quand notre père jouait de la cythare, et toute la famille faisait cercle autour de lui. Il jouait des marches, mais surtout, des chants que l'on jugerait aujourd'hui trop sentimentaux, mais qui nous fascinaient. C'était toujours une expérience familiale, quand notre père jouait de la cythare, le soir, et que nous l'écoutions.

- Ainsi, vous faisiez donc votre propre musique, à la maison?
- Cela se limitait aux exécutions de notre père, nous ne faisions qu'écouter.

- Quels autres instrument vos frère et soeur jouaient-ils -en dehors du piano pour votre frère, et de l'harmonium pour vous? Et votre soeur?
- Nous jouions tous les trois du piano, nous avions commencé avec l'harmonium. Mes parents pensaient que l'harmonium était la meilleure préparation, avant de passer à l'orgue, dans lequel ils voyaient le pire (le plus complexe?) des instrument! Cela venait de l'orientation religieuse de mes parents. Ils pensaient donc que jouer de l'harmonium nous préparerait mieux à l'orgue. Plus tard, bien sûr, nous avons découvert que c'était le piano, plutôt que l'harmonium, qui était la meilleure préparation.
...
- Considérez-vous votre frère d'abord comme votre frère, ou comme le Pape?
- Il est avant tout mon frère. Mais, comme prêtre, je le regarde comme le Pape, celui qui fixe les règles. Mais notre relation directe, c'est que nous sommes frères -il en est ainsi aussi loin que remontent mes souvenirs. Il y a un adage latin qui dit "La Grâce ne change pas la Nature, elle la reconstruit, et elle l'élève". C'est comme cela entre nous. Notre relation naturelle prévaudra toujours, mais elle a une qualité encore plus spéciale, parce que nous partageons la vie religieuse.

- Cela signifie que vous continuez à l'appeler Joseph, et pas Votre Sainteté?
- Evidemment. Toute autre attitude irait contre la nature.

- Vous aviez assisté à un concert de Karl Richter, lorsque vous étiez étudiant à Munich. A l'Académie de musique, vous avez choisi de vous consacrer à la musique d'Eglise. C'était en 1951. Depuis, vous avez été tous deux été ordonnés prêtres, vous et votre frère avez choisi le même chemin. Comment se passait votre vie au séminaire?
- Même au séminaire, nous allions chacun de notre côté. Chacun avait ses propres amis. Pour moi, c'était la musique, pour mon frère, la théologie. Ce n'est pas parce que nous étions tous deux au même endroit que nous étions toujours ensemble. Ceci n'arrivait que pendant les grandes vacances.

- Cela signifie-t'il que vous ne passiez pas toutes vos soirées ensemble, à discuter musique ou théologie?
- Non. Le soir, au Séminaire, il y avait quelque chose de spécial. Il y avait une Lecture Spirituelle, puis la Prière du Soir en commun, et puis le silence. Je trouvais que c'était une bonne chose. Parce que cela vous menait à une concentration, et une vie intérieure, qui sont, je crois, très importantes pour qui a une vocation de prêtre.

- Monseigneur, quand un jeune homme décide de devenir prêtre, il prend aussi la décision de renoncer à avoir sa propre famille. N'avez-vous jamais eu de doutes, sur ce sujet?
- Je dois dire que je n'ai jamais eu de doutes, parce que j'ai vu, aussi, qu'un prêtre, dans sa paroisse, est si intensément impliqué, que cela peut lui apporter vraiment un accomplissemnt dans sa vie. Nous avions aussi notre propre vie de famille, que nous cultivions, et vers laquelle nous nous sommes toujours retrouvés. Aujourd'hui, je connais des jeunes qui ne retournent pas à la maison, même quand ils le pourraient. Ce n'était pas comme cela, pour nous. A chaque fois que nous avions des congés, nous rentrions à la maison. Nous avions une expérience familiale que je ne peux comparer à rien d'autre!

- Votre frère appécie beaucoup Mozart. Est-ce que cette vénération pour Mozart est un autre lien entre vous?
- Oui. Je dois dire qu'à Traunstein, où nous avons passé la plus grande partie de notre enfance, la musique de Mozart était adorée partout. On chantait souvent des messes de Mozart. Je pense que l'on y respire vraiment l'amour de Mozart. Je trouve que la musique de Mozart est très directe. Avec la musique moderne, par exemple, on a en général besoin d'entendre plein de commentaires, et de faire des tas de "manipulations intellectuelles", avant de comprendre de quoi il s'agit. Mais la musique de Mozart vous parle directement, sans pourtant être banale. Elle est profonde, et elle s'adresse à notre sentiment d'être humain.

- Vous avez trois ans de plus que votre frère - une différence qui compte, lorsqu'on est enfant. Quand Joseph a-t'il cessé d'être votre jeune frère?
- Je ne peux pas vraiment dire. Cependant, je pense que quand nous sommes tous deux rentrés à la maison après la guerre, nous étions dans la même situation. Nous n'avions pas passé nore Abitur, nous avions juste une dispense qui nous permettait de commencer nos études supérieures. Nous avions tous les deux la guerre derrière nous, nous avions tous deux été des prisonniers de guerre, et nous étions des adultes. Je pense qu'à partir de ce moment, nous nous sentions à égalité.

- Vous maintenez un contact étroit avec votre frère, mais si c'est le plus souvent par téléphone. Avez-vous des discussions, au téléphone, ou bien parlez-vous uniquement de la routine?
- Non, nous n'avons jamais de discussions au téléphone, cela coûterait trop cher. Beaucoup de gens ne pensent pas aux frais de téléphone. Dans notre famille, nous devions compter avant de dépenser, et je pense que nous continuons à le faire. Nous parlons de choses ordinaires, mais qui sont importantes pour nous, des choses qui doivent être faites, des impressions qui nous ont touchés, etc., mais je dois dire que je n'ai jamais beaucoup aimé les longues conversations téléphoniques.

- Mais se parler -c'est souvent très agréable..
- Bien sûr, c'est très agréable. Nous nous parlons toujours avec beaucoup de chaleur -je suis toujours très heureux d'avoir mon frère au téléphone!

- Et à présent, vous saisissez chaque opportunité pour rendre visite à votre frère. Où logez-vous, quand vous-êtes à Rome? Combien de fois le voyez-vous, quand vous êtes là-bas?
- Quand mon frère est au Vatican, alors je loge au Vatican. Les pièces du Pape sont au 4ème étage, les miennes sont au 5ème, juste en-dessous du jardin qui est sur le toit. Nous nous voyons d'abord le matin, quand nous célébrons la messe ensemble. Ensuite il me lit le bréviaire, il aime faire cela. Nos mangeons toujours ensemble, -et nous avons toujours le plaisir de bavarder avant et après le repas. Ensuite, dans le milieu de l'après-midi, nous faisons une petite promenade dans le jardin sur le toit, ou dans les jardins du Vatican. Ou bien dans le parc, si nous sommes à Castel Gandolfo.

- Quand deux frères deviennent prêtre, on présume que, comme enfants, vous deviez être exceptionnels. C'était le cas?
- Non, nous étions des enfants tout à fait normaux, je pense. Bien sûr, il nous est arrivé de nous disputer, et de nous bagarrer. Je ne dirais pas que nous étions des garçons spécialement sages. Nous étions simplement des enfants, et nous nous comportions comme des enfants.

- Vous vous jouiez des tours?
- Bien sûr!

- Cela fut difficile, pour vous, d'arrêter votre travail?
- Oui, je dois le dire. C'était déjà difficile pour moi, quand je voyais des garçons, ou des adultes, formés par moi, commencer à chanter pour d'autres maîtres de chorales. Mais j'ai de très bonnes relations avec mon successeur au Dôme, dont j'apprécie le travail. Toutefois, pendant un certain temps, ce fut dur, pour moi, après la retraite. Ayant vécu si longtemps du matin au soir dans la compagnie de jeunes, les ayant toujours autour de moi, - et tout à coup, plus rien - cela a demandé un temps d'ajustement. Mais c'était bien que cela arrive à ce moment, quand les gens pouvaient encore dire "Quel dommage qu'il s'en aille!", plutôt que "Dieu merci, il est parti!".

- Nous sommes à présent presque à la fin de cette émission. Avez-vous une maxime qui vous a guidé dans votre vie, Herr Ratzinger?
- Une maxime particulière, non. Mais j'ai des principes fondamentaux. Et j'ai tant de ressources spirituelles -des Saintes Ecritures, de mes études théologiques, que je n'ai pas ressenti le besoin de formuler ces principes, encore que ce serait bien de le faire.
- Cela signifie que tout est dans votre tête et dans votre coeur.
D-ans ma tête, je ne sais pas! Il y a tellement de choses qui ne sont plus dans ma tête!

- Comme vous êtes modeste!...
Herr Domkapellmeister Georg Ratzinger, nous vous souhaitons toutes sortes de bonnes choses. Je vous souhaite une bonne santé, et que vous vous pourrez vous rendre à Rome autant qu'il est possible, pour être avec votre frère.
- Merci beaucoup pour ces souhaits. Tous mes voeux à vous aussi...


 

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