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ARTICLE DU PÈRE DE ROSA (I)
 

Article du Père Giuseppe de Rosa, dans la revue des Jésuites italiens "La Civiltà Cattolica"

Première partie:
Les arguments du livre
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En septembre dernier a été publié un livre (et il y a eu une seconde édition en octobre) intitulé "Enquête sur Jésus", dans lequel le journaliste Corrado Augias, et le professeur Mauro Pesce, titulaire d'une chaire d'Histoire du Christianisme à l'Université de Bologne, discutent -le premier posant les questions, et le second, y répondant - sur Jésus "l'homme qui a changé le monde". Augias se déclare "non catholique", et écarte l'idée de Jésus "fils de Dieu", mais il voudrait "connaître mieux Jésus, dit le Christ, qui a profondément influencé l'histoire du monde": en fait, connaître Jésus tel qu'il était réellement, avant que "la liturgie, la doctrine, le mythe, ne transforment sa mémoire en un culte, le culte d'une foi, la foi en l'une des grandes religions de l'humanité".
Le professeur Pesce s'en est tenu au plan de la recherche historique, exprimant "des convictions auxquelles il est arrivé après une longue recherche qui lui paraît honnête". Ainsi - affirme-t'il - "dans le dialogue condensé dans ce livre, j'ai toujours cherché à en rester au plan historique, en évitant de présenter mes convictions personnelles sur la foi". Il est convaincu que la recherche historique rigoureuse n'éloigne pas les fidèles de la foi, mais ne les y pousse pas non plus". En substance, le Jésus que la foi professe doit être distinct du Jésus qui émerge de la recherche historique.

De façon synthétique, Pesce résume ainsi sa pensée: "Jésus était un juif qui ne voulait pas fonder une religion nouvelle. [..]. Il était convaincu que le Dieu des Saintes Ecritures Juives elles-mêmes avait commencé à transformer le monde pour instaurer son règne sur la terre. Il se concentrait sur Dieu, et il priait pour comprendre sa volonté, et obtenir ses révélations, mais il se concentrait aussi sur les besoins des hommes, les malades, les plus pauvres, ceux qui étaient traités de manière injuste. Son message mystique était inséparable de son message social. Le règne de Dieu ne vint point, et même, il fut mis à mort par les romains pour des raisons politiques. Ses disciples, qui étaient issus des milieux les plus variés, donnèrent de son message, dès le début, des interprétations différentes. Ils s'interrogèrent sur sa mort, en fournissant des interprétations variées, et beaucoup d'entre eux se convaiquirent qu'il était ressuscité. Un certain nombre de ceux qui l'avaient suivi restèrent dans des communautés juives, tandis que d'autres donnèrent vie à une nouvelle religion, parcourue de courants différents, le christianisme".

Jesus n'est pas chrétien, mais juif.
Ainsi, l'idée centrale du livre est que Jésus n'a rien à voir avec le christianisme, qu'il n'en a pas été le fondateur, ni n'a voulu l'être: idée qui s'exprime dans cette formule "Jesus n'est pas chrétien, mais juif".
Le dialogue entre Augias et Pesce commence par cette question: "Que pouvons-nous connaître de Jésus"? Et Pesce répond: "Une reconstruction historique est possible pour Jésus comme pour n'importe quel personnage du passé. Les sources, cependant, sont particulières, et la recherche se base sur des textes fragmentaires, contradictoires, manipulés". Ces sources sont les évangiles canoniques et non canoniques. Parmi ceux-ci, l'Eglise en a retenu quatre, rejetant les autres comme "apocryphes", et donc les condamnant à l'oubli. Les raisons de ces choix sont "complexes, incertaines dans leurs motivations, elles sont en relation avec le tumulte d'ordre à la fois pratique et doctrinal qui accompagne toujours la naissance et la croissance d'un mouvement, en particulier lorsque celui-ci se dit directement inspiré de Dieu". Quoiqu'il en soit, "elles ne sont pas claires. On peut dire qu'en ont été exclus ceux qui contenaient une image trop judaïque de Jésus, ou qui semblaient en donner une vision gnostique ou spiritualiste, comme l'Evangile de Thomas". De toutes façons, "le principal intérêt du chrétien qui fréquente une église n'est pas la connaissance du Jésus historique". L'Eglise non plus, n'y a pas d'intérêt, car "la recherche historique exhume et met en lumière la diversité des évangiles, les variantes introduites après la mort de Jésus, et cela n'est pas facile à accepter par les fidèles". Du reste, "les Evangiles, en principe considérés comme les sources primitives pour connaître Jésus, sont en fait une des premières formes de "christianisation" de sa personne".
En réalité, Jésus aurait été juif, et l'aurait été totalement: "La nouveauté, une nouveauté importante, qui s'est vérifiée par les études bibliques de la seconde moitié du siècle dernier, a été la récupération, la redécouverte de la judaïté de Jésus, là où l'anti-sémitisme chrétien tendait à en faire vraiment un critique de la religion juive". A vrai dire "il n'y a pas une seule idée, pas une seule habitude, une seules des initiatives de Jésus, qui ne soit intégralement juive[..] Tous les concepts fondamentaux énoncés par Jésus sont juifs: le règne de Dieu, la rédemption, le jugement dernier, l'amour pour le prochain. Il croit, comme un juif pharisien, à la résurrection des corps, et non pas, comme un grec, seulement à l'immortalité de l'âme.[..] Il pense avoir été invité par Dieu à prêcher seulement pour les juifs, et pas pour les autres". Jésus respectait à la lettre les prescriptions de la Torah, y compris celles concernant la nourriture. "Ce sont les chrétiens, après lui, qui les ont négligées". Comme tout juif religieux, Jésus priait. Pour cette raison "Jésus est un homme juif, qui ne s'identifie pas à Dieu. On ne prie pas Dieu, si on croit être Dieu".
Jésus a enseigné le Notre Père: mais cette prière "n'a rien de chrétien. N'importe quel juif religieux pourrait la réciter sans pour autant se convertir au christianisme. Dans cette prière, Jésus n'est pas nommé. Il n'a aucun rôle dans le salut de l'humanité". A l'inverse, les chrétiens ont vu en Jésus un être surnaturel, avec lequel ils doivent se mettre en rapport pour obtenir le salut. '"Les historiens contemporains, au contraire, voient en Jésus un homme, et sont donc en mesure de redécouvrir aussi sa judaïté"
En conclusion, il y a une différence radicale entre le Jésus juif, et le Jésus chrétien: "le Jésus Chrétien est celui dont Saint-Paul dit 'le Christ est mort pour nos péchés, selon les écritures'. Le Jésus juif dit 'c'est Dieu qui remet nos péchés'. Quand il a enseigné le Notre Père, Jésus ne pensait pas devoir mourir pour les péchés des hommes". Ainsi, "son message est essentiellement différent de celui du christianisme qui a suivi". "Jésus est en même temps un mystique, et un grand penseur religieux, qui cherche à placer la justice au centre du monde". "Il y a donc une différence fondamentale, je dirais même une discontinuité: ou, si l'on veut, une trahison du christianisme par rapport à Jésus".

"Jésus n'est pas le fils de dieu".
Mais qui était "le juif" Jésus, historiquement, c'est-à-dire libéré des scories dogmatiques dont le christianisme l'avait recouvert? Pesce pense que Jésus est né, non à Béthléem, mais "en Galilée, vraisemblablement à Nazareth", et que "son père est Joseph, et sa mère Marie". Les évangiles de Matthieu et de Luc affirment la conception virginale de Jésus, c'est-à-dire que Marie aurait conçu Jésus miraculeusement, donc selon l'oeuvre de Dieu, sans l'intervention de Joseph. Luc ajoute que celui qui est conçu en Marie, "par l'opération du Saint-Esprit", sera appelé "fils de Dieu". Matthieu voit dans la conception virginale de Jésus , l'accomplissement d'une prophétie d'Isaïe, selon laquelle "la vierge concevra, et accouchera d'un fils qui sera nommé Emanuele", ce qui signifie 'Dieu avec vous'.
Le professeur Pesce voit dans cette insistance sur la naissance virginale de Jésus "la nécessité de montrer que la vie de Jésus portait à leur accomplissement quelques-unes des prophéties de la bible juive.", et aussi l'influence de la culture hellénistique sur la jeune religion gréco-chrétienne, puique "la mythologie classique est remplie de figures divines, ou semi-divines, dont la naissance revêt un caractère surnaturel, du fait des dieux (en particulier Zeus) qui s'unissaient à des femmes.
Quant au terme "Fils de Dieu" -observe encore pesce - du temps de Jésus, il était assez courant. Fis de Dieu était un titre que l'on pouvait donner aux empereurs romains, comme Auguste, aux rois d'Israël, aux philosophes, comme Platon et Pythagore. "En somme, le terme en tant que tel, n'exprime pas la nature divine de Jésus". Une telle expression n'est en aucune façon "ni reliée de façon privilégiée, ni exclusive du messie, ni lui attribuant un rôle messianique". C'est l'Evangile de Marc qui insiste le plus sur cette appellation de Jésus. Dieu lui-même le proclame tel à au moins deux reprises. "Attention, cependant: pour Marc, Jésus était un homme. Le terme 'Fils de Dieu' n'a été interprété comme si Marc voulait faire allusion à Dieu, seulement après que son évangile, inséré dans le Nouveau Testament, ne soit relu à la lumière de l'évangile de Jean, pour qui Jésus est la parole de Dieu faite chair".

Rapports "homosexuels" entre les disciples de Jésus
Suit un chapitre où Augias, avec une insistance un peu morbide, revient sur les insinations et les hypothèses faites par certains, selon lesquelles les disciples de Jésus auraient cultivé entre eux "des rapports homosexuels"; qu'entre Jésus et le disciple que "Jésus aimait", il y eût "une vraie et réelle amitié amoureuse (en français dans le texte) [..] même si elle ne fut pas toujours complétée par une relation explicitement érotique"; que Jésus eût un rapport particulier avec Marie-Madeleine, jusqu'à l'embrasser sur la bouche, comme il est dit dans l'évangile apocryphe de Philippe, et enfin qu'avant son arrestation, il avait passé la nuit avec le garçon qui s'enfuit au momment de l'arrestation, , laissant aux mains de qui voulait le prendre, le drap dont il était recouvert(?): hypothèses et insinuations que Pesce pense "sans fondement", "absurdes", "interprétations erronées du texte", mais sur lesquelles Augias insiste encore à la fin du livre.
Sur Jésus thaumaturge -que l'on voit ici qualifié de "Jésus-mage" (titre que "l'illustre spécialiste Morton Smith" a donné à son livre sur Jésus", Pesce est plutôt réticent: il reconnaît que "quelques phénomènes de guérison, ou même de résurrection, opérés par lui restent inexplicables à la lumière de la science"., mais il retient que "Jésus avait besoin, pour ses miracles, d'une grande foi envers ceux qu'il écoutait" (? Gesù aveva bisogno per i suoi miracoli di una grande fede in chi lo ascoltava). En outre, quand Jésus réalise ce qu'il peut accomplir, il cherche à comprendre d'où cela lui vient, et jusqu'à quel point il peut le contôler: ce qui, chez autrui, suscite l'admiration, crèe en lui un trouble profond: nous le voyons recourir à la prière pour être éclairé sur ce point."On pourrait dire que Jésus a été un mystère, non seulement pour les autres, mais pour lui.[..] Lui-même a probablement tenter d'éclaicir le mystère de l'intervention divine dans sa vie. Il le faisait en recourant souvent à la prière, priant Dieu de l'éclairer. C'est une hypothèse personnelle", suggérée par le fait que dans l'épisode de la Transfiguration, "il ait invoqué Elie et Moïse pour qu'ils dévoilent son destin futur". De toutes façons, Pesce se dit "convaincu que les épisodes miraculeux comme la Résurrection de Lazare et la multiplication des pains, ne sont pas des faits inventés, mais que l'assistance était réellement convaincue d'avoir assisté à des faits extrordinaires".

"Jésus n'est pas réellement ressuscité"
Les jours cruciaux, dans la vie de Jésus, sont les derniers: il est arrêté dans la nuit du jeudi, il est jugé, il est crucifié, et il meurt le vendredi. Pesce pense que la cause de l'arrestation de Jésus est le péril qu'il représente pour le sort de la nation juive. Il note ensuite que ce n'est pas Jésus qui a institué l'Eucharistie, dont ne parlent ni l'Evangile de jean, ni l'Evangile de Thommas. D'où ceci "plusieurs exégètes de la bible en ont déduit qu'après la mort de Jésus, des groupes chrétiens ont inventé le rituel du dernier repas". Il ne s'agit donc pas "d'un évènement historique, ni d'une institution formelle établie par Jésus". Il affirme pourtant ensuite "Je crois impossible de nier que Jésus ait participé à un repas particulier avant son arrestation, y célébrant un rite autour du pain et du vin".
De toutes façons, le fait que l'évangile de Jean ne parle pas de l'Eucharistie, mais du lavement des pieds , alors que les synoptiques (i.e. ceux de Marc, Matthieu et Luc) concentrent leur attention sur l'institution de l'Eucharistie "n'autorise pas à supposer cette dernière version plus crédible que celle de Jean.
Parlant des récits de la Passion, Pesce observe qu'ils ne rapportent pas les faits qui se sont réellement passés, mais "ce sont seulement des interprétatons de la foi sur la base d'un noyau historique". En réalité "les rédacteurs des évangiles ont créé, ou transformé une série d''évènements qui, dans les faits, ne se vérifieront pas. Parmi les faits historiquement inventés, il y a "l'épisode de Barabas".
A propos de la résurrection de Jésus, Pesce relève que "ses 'preuves' consistent dans les apparitions survenues après la mort sur la croix" qui -comme pour l'apparition de Jésus à Marie de Magdala- pourraient être définies comme des "visions hytériques", ou des hallucinations: en d'autre termes, un effet du désir, une puissante projection de l'inconscient". du reste, "aujourd'hui, quelques chercheurs catholiques interprètent les apparitions de Jésus ressuscité comme des "états altérés de la conscience". En conclusion, "les apparitions du ressuscité ne sont que des visions". Par suite, Jésus ne serait pas ressuscité "réellement", mais ce sont ses disciples qui ont cru l'avoir "vu": en réalité, il s'agit d'hallucinations.

Qui est alors Jésus, pour le professeur Pesce? Certainement pas le Fils de Dieu fait homme, que l'Eglise professe sur la base du témoignage des disciples qui on vécu avec lui: témoignage qui est contenu dans les quatre évangiles canoniques, lesquelles sont par conséquent la source essentielle de notre connaissance de Jésus. Pour Pesce, "Jésus est obsédé par le mal qui domine le monde[..]. Pour lui, Dieu est le Père qui peut sauver, et qui lui a donné le pouvoir extraordinaire de guérir. Dieu, pourtant, lui semble incompréhensible. Pendant toute sa vie, Jésus cherche à savoir ce que Dieu veut; à la fin, il se sent abandonné, et il ne comprend pas pourquoi Dieu le destine à une fin injuste, à une défaite humiliante, et à un châtiment atroce. C'est à lui qu'il attribue son échec, et c'est pour cela qu'il l'accepte, sans pour autant le comprendre". Ainsi, selon le professeur Pesce, Jésus est un pauvre homme, qui sent peser sur lui un destin tragique sans le comprendre: "il continue à croire que Dieu est fort, puissant, et bienveillant, même s'il permet qu'il soit tué, et abandonné à la force du mal".
Ainsi, selon Pesce, Jésus n'est pas le Sauveur des hommes, qui va en toute conscience vers la souffrance et la mort "afin de donner sa vie pour racheter la multitude". Selon lui, il se soumet à une mort atroce, parce que c'est la volonté de Dieu, mais il ne sait pas pourquoi. Jésus est "un homme seul" (seulement un homme?) qui prie Dieu afin qu'il lui révèle ce qu'il doit faire.


 

Deuxième partie
Les réponses du Père Giuseppe de Rosa

Notes critiques
La première remarque générale est que le volume "Enquête sur Jésus" nie en totalité le Christianisme. Y sont niées, en fait toutes les vérités chrétiennes essentielles, la divinité de Jésus, son incarnation, sa conception virginale, le caractère rédempteur de sa mort, sa résurrection de la mort.



A suivre...