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ARTICLE DU PÈRE DE ROSA (II)
 

Deuxième partie
Les réponses du Père Giuseppe de Rosa
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Notes critiques
La première remarque générale est que le volume "Enquête sur Jésus" nie en totalité le Christianisme. Y sont niées, en fait toutes les vérités chrétiennes essentielles, la divinité de Jésus, son incarnation, sa conception virginale, le caractère rédempteur de sa mort, sa résurrection de la mort.
Ces réalités de la foi -nous dit en substance Pesce - seraient des "incrustations" avec lesquelles l'Eglise a recouvert la figure historique de Jésus, en faisant de lui un être divin, le verbe (Logos) fait chair dont parle l'Evangile de Jean. Le devoir de l'exégèse est de libérer des incrustations qui la faussent, la figure historique de Jésus. D'où l'insistance de Pesce sur l'absolue jadaïté de Jésus, et sa conviction que Jésus a été "christianisé" et donc faussé, jusqu'à le faire devenir le fondateur du christianisme;
Ce qui nous semble à nous absolument inacceptable justement sur le plan historique, c'est la fracture que le professeur Pesce pose entre "le Jésus historique" (cad le "Jésus juif") et le "Jésus de la foi" ( le "Jésus chrétien"), disparu "sous la couche serrée de la théologie". En réalité, cette fracture n'existe pas.
Indubitablement, Jésus était juif: il a été circoncis le huitième jour suivant sa naissance, selon la Loi.; il a reçu un nom juif, (Jehoshua, qui signifie "Dieu sauve"); enfant, il a fréquenté chaque samedi la synagogue de son village (Nazareth) où il a appris les Saintes écritures; à 12 ans, il est allé en pélerinage au Temple de Jérusalem; comme tous les juifs adultes (y compris les "docteurs de la loi") il a exercé un métier manuel. L'unique aspect qui l'a distingué, a été le fait qu'il ne s'est pas marié. Quand il a ensuite quitté son village pour commencer son ministère de prédicateur itinérant, la première chose qu'il a faite a été de se rendre auprès de Jean-Baptiste, et, comme les autres juifs, il s'est fait baptiser. Il a voulu limiter sa prédication au peuple d'Israël.

Jésus, donc, a été "juif". Mais nous devons contredire le professeur Pesce quand il affirme que Jésus n'a pas critiqué la religion juive; qu'il n'y a aucune de ses idées, ou de ses habitudes, aucune de ses initiatives, qui ne soient intégralement juives; que tous les concepts exprimés par lui sont juifs; que Jésus respectait à la lettre toutes les prescriptions de la Torah, y compris celles concernant les aliments.
En ce qui concerne la religion juive, ou, mieux, la Torah, certes Jésus y a reconnu la volonté de Dieu, mais d'un côté, il en a corrigé certaines interprétations qu'en donnaient les "docteurs", comme dans le cas du 'korban' ( sacrifice pascal ): "En négligeant la volonté de Dieu, vous observez la tradition des hommes" (Marc 7,8); d'autre part, il a rapporté le divorce, autorisé par le Deutoronome, au projet naturel du mariage, affirmant que l'homme ne devait pas séparer ce que Dieu a uni dans l'acte de création de l'homme et la femme. Mais le plus important et le plus significatif, c'est que Jésus n'entend pas "abolir la loi", mais "l'achever", l'accomplir, cad en mettre en lumière les exigences profondes, qui vont bien au delà de qui fut "dit par les anciens" (Mat 5, 17-31). En ce qui concerne les aliments, que le Lévitique divisait en "purs" et "impurs", Jésus, nous dit Marc, "déclarait comestibles tous les aliments", notant que "il n'y a rien d'extérieur à l'homme qui, en entrant en lui, puisse le contaminer; ce sont à l'inverse les choses qui sortent de lui, qui le contaminent" (Marc, 7,15)
En conclusion, Jésus, dans le sillage de l'ancienne Loi, proclame une Loi nouvelle, qui ne cotredit pas la première, mais qui l'accomplit, demandant par exemple de "ne pas s'opposer au méchant", d'"aimer ses ennemis", et de "prier pour ses persécurteurs" (Matt 5, 39.44): choses qu'assurément la Torah ne prescrivait pas. Quant au respect du Sabat, Jésus se démarque profodément des docteurs (scribi) et des pharisiens, proclamant que "le sabat a été fait pour l'homme, et non l'homme pour le Sabat" (Marc 2.27). Par conséquent, il est permis d'accomplir des guérisons, et de cueillir des épis pour se nourrir, le jour du sabat.
Tout aussi scandaleuse apparaît la conduite de Jésus envers les publicains, les pécheurs et les femmes de mauvaise vie. Toutes ces choses montrent que Jésus est bien un "juif", mais qu'il sort des cadres du judaïsme de son temps. On ne peut donc pas comprendre l'affirmation selon laquelle il n'y aurait rien en Jésus qui ne soit "intégralement juif".

Jésus et le Père.

Etonnante, aussi, l'affirmation que Jésus priait parce qu'il ne se sentait pas identique à Dieu: "On ne prie pas Dieu - affirme Pesce - si on pense que l'on est Dieu". La prière de Jésus, faite souvent la nuit, est un entretien "filial" avec le père, à qui Jésus s'adresse avec le terme affectueux 'abbà' (un terme qu'on ne retrouve pas -à moins que cela ne nous ait échappé- dans le livre dont nous parlons ici). Et pourtant, c'est un mot d'une très grande importance, qui nous fait pénétrer dans la vie intérieure de Jésus, ou, mieux encore, dans le "mystère" de sa conscience filiale. En réalité, Dieu est "son père", d'une manière qui n'est pas celle d'être le Père de tous les hommes, c'est pourquoi, en parlant aux disciples, il dit "Mon Père" (Mat 7,21) et "Votre Père" (Mat 6,26), et il ne dit jamais "Notre Père", ce qui le placerait sur le même plan que les disciples.
Etonnante, aussi, l'affirmation que la prière enseignée aux disciples de Jésus -le Notre Père- n'ait rien de chrétien, mais soit totalement juive. On sait que le mot Père est très peu utilisé dans l'Ancien Testament, où il apparaît seulement une quinzaine de fois, et il est appliqué à tout le peuple, non aux individus, à l'exception du roi qui est le seul à pouvoir dire à Yaveh "Tu es mon père, mon Dieu, et le roc de mon salut". Pour Jésus, le mot "Père" est vraiment le nom de Dieu, et tous les hommes -et pas seulement les juifs- sont ses enfants. A propos du caractère totalement hébraïque du Notre Père, voici ce qu'écrit H. Schürmann: "Ils ont raison, ceux qui disent que dans le Notre Père, Jésus prie en tant que juif, et chaque juif peut s'unir à cette prière; chaque phrase peut se référer à des textes juifs semblables[..]. Mais l'aspect vraiment propre à Jésus de la prière de Jésus dépasse le judaïsme. Seuls ceux qui, dans la complexité du Notre Père ont perçu le "caractère propre à Jésus" comme christologie implicite, ont compris la prière de Jésus dans sa profondeur". Autrement dit, seul celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu peut réciter le Notre Père dans sa vérité et sa profondeur.

Jésus et le Christianisme.

Etrange, aussi, nous paraît l'affirmation que Jésus ne soit pas chrétien, et qu'il n'ait pas fondé, ni voulu le faire, une nouvelle religion, le Christianisme. En réalité, Il a adressé sa prédication "aux brebis perdues de la maison d'Israël" (Mat 10,6); dans ce but, il a appelé à le suivre douze disciples, afin "qu'ils restent avec lui, et aussi pour les envoyer prêcher" (Marc 3, 14-15). Mais son message n'est pas accueilli par le peuple d'Israël, et par ses chefs. C'est alors qu'il se consacre à l'instruction de ses disciples, et des gens -hommes et femmes- qui croient en lui: il leur enseigne à prier, à voir en Dieu le Père qui les aime, qui prend soin d'eux; il leur enseigne le juste usage des richesses, le pardon des offenses; lors de son dernier repas, à la veille de sa mort, il institue un nouveau tite pascal, et demande aux disciples de le répéter en mémoire de lui. Après sa mort et sa résurrection, ses disciples, tout en restant à l'intérieur du judaïsme, forment un groupe à part, qui a ses chefs (les Douze), un rite qui lui est propre (la répétition des gestes accomplis par Jésus lors de la dernière Cène), et les enseignements de Jésus. C'est vraiment ce petit groupe de ceux qui l'ont suivi, qui forme "son" Eglise, laquelle, en grandissant par de nouvelles adhésions, tant païennes que juives, croyant au Christ, forme le christianisme primitif.
Il n'y a donc aucune "fracture" entre le Jésus "juif" et le christianisme, qui vit des enseignements de Jésus, qui professe qu'il s'agit de son Dieu et Seigneur. En réalité, le christianisme est né et s'est développé à l'intérieur du judaïsme, et ce n'est que progressivement que les communautés chrétiennes se sont détachées de la communauté juive dont elles faisaient initialement partie, à l'exception de la communauté chrétienne fondée par saint-Paul, dès le début extérieure à la communauté juive.

Valeur historique des Evangiles

Tout ceci est ce qui apparaît avec une extrême clarté à partir des quatre Evangiles de Marc, Matthieu, Luc et Jean. Mais quelle est la valeur historique de ces évangiles? Pour le professeur Pesce, il s'agit de textes "fragmentaires, contradictoires, manipulés", que l'Eglise a choisis pour des raisons "peu claires", rejetant les autres Evangiles comme "apocryphes", et de cette façon condamnés à l'oubli. En réalité, le chois des quatre Evangiles s'est fait de façon très claire. La première raison est que c'est seulement dans les quatre Evangiles "canoniques" que la première communauté chrétienne a reconnu la "tradition apostolique", c'est à dire l'enseignement des Douze, les disciples qui ont été aux côtés de Jésus durant le temps de sa prédication, du Baptême à la Résurrection, qui ont écouté sa prédication, et ont assisté à ses miracles et ses activités d'exorcisme, jusqu'à ses disputes (débats) avec les docteurs (scribi). La seconde raison est que, alors que les quatre Evangiles ont tous été écrits durant le premier siècle (pour Marc, approximativement entre 65 et 70 après JC, pour Matthieu et Luc, entre 80 et 90, , pour Jean, entre 90 et 100), les Evangiles "apocryphes" sont postérieurs, ils dépendent en grande partie des Evangiles canoniques, c'est-à-dire qu'ils n'apportent pas d'éléments nouveaux pour la connaissance de Jésus, à l'exception de l'Evangile de Thomas. Le troisième motif est que beaucoup de ces Evangiles dits "apocryphes" expriment des tendances gnostiques, comme cela apparaît dans l'Evangile de Thomas. Par exemple, dans le n° 114, il est écrit: "Simon Pierre dit à Jésus: 'Marie doit s'en aller loin de nous! Parce que les femmes ne sont pas dignes de la vie'. jJésus dit: 'Moi, je la guiderai jusqu'à en faire un homme, afin qu'elle devienne un esprit vivant égale à vous autres les hommes. Puisque toute femme qui se fera homme rentrera dans le Royaume des Cieux'". Le côté "gnostique" de ce texte est évident. On pourrait dire la même chose de beaucoup d'autres versets de ces Evangiles". En fait, même quand ils sont en accord littéralement avec les Evangiles canoniques, l'esprit en est généralement gnostique.
Indubitablement, les Evangiles canoniques posent de nombreux problèmes, dans la mesure où ils sont écrits par des auteurs différents, dont chacun a une manière qui lui est propre de présenter Jésus, et a écrit en tenant compte de la communauté à laquelle il s'adresse; mais on ne peut en aucun cas dire que, dans les choses essentielles, les quatre Evangiles soient "fragmentaires, contradictoires, manipulés". Ils donnent de Jésus quatre portraits qui se complètent à tour de rôle. En particulier, l'Evangile de Jean est très différent des autres, et quelquefois, il s'en démarque, mais il n'offre pas de contradiction substantielle avec les trois autres, et il n'y a aucune raison objective de le préférer à eux.
En conclusion, le scepticisme avec lequel, dans l'enquête sur Jésus, les quatre Evangiles sont traités, n'est pas justifié.

Le plus déplaisant est le fait -à la fois du point de vue historique et de l'exégèse - que ce livre contient objectivement , quelles que soient les intentions des deux auteurs, une attaque frontale contre la foi chrétienne.


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