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JOHN ALLEN APRÈS LA TOURMENTE DE RATISBONNE
 

John Allen explique qu’il n’a pas pu venir à la semaine de voyage du pape car il s’était engagé, il y a des mois, à faire une série de conférences en Californie. John Allen est un bon vivant, il raconte à son auditoire qu’il a du se passer pour eux des meilleures saucisses et bière du monde, et qu’ils n’auraient jamais de preuves supplémentaires de la pleine mesure de sa dévotion à leur cause. Il donne ensuite ce qu’il retient du voyage.

« J’ai déjà écrit que Benoit XVI n’est pas un pape politiquement correct. Par là, je ne veux pas dire qu’il ait l’intention d’être offensant. Au contraire, c’est une des personnalités les plus aimables qui ait jamais foulé la scène mondiale. Seulement, il ne laisse pas sa pensée être emprisonnée par les tabous et les modes de la communication publique. Par exemple, n’importe quel conseiller en communication aurait pu dire au pape que s’il voulait parler de la relation entre la foi et la raison, il n’aurait pas du commencer par une comparaison entre l’islam et le christianisme qui serait largement compris comme une critique de l’islam, supposant qu’il est irrationnel et enclin à la violence. Mais c’est précisément ce que Benoit a fait dans son adresse à 1500 étudiants et enseignants de l'Université de Ratisbonne mercredi, citant un dialogue du 14ème siècle entre l'empereur Byzantin Manuel II Paléologue et un érudit persan. »

John Allen prend alors le temps d’expliquer à ses lecteurs l’objet du discours de Ratisbonne, qui n’est pas d’abord une critique de l’islam, mais une critique des intellectuels occidentaux qui veulent bannir la notion de Dieu des débats public au nom de la raison, ce qui rend difficile le dialogue avec les autres cultures. Il fait correctement son travail de journaliste en supposant à juste titre que ses auditeurs ne prendront pas le temps de le lire. Je passe, ce discours a aujourd’hui été expliqué en long, en large et en travers dans toute la presse. Il conclue :

« Indépendamment des mérites de l'argumentation de Benoît, c'est une analyse subtile et soigneusement articulée de l’histoire intellectuelle Occidentale qui plane à des kilomètres au dessus de ce que les dirigeants du monde ont l’habitude de produire ». […]

« En dehors de ce fracas sur l’islam, Benoit s’est montré à nouveau comme quelqu’un de singulièrement désintéressé de faire la une des journaux. Face à la communauté indocile d’Allemagne, Benoit aurait pu saisir l’occasion pour lancer un sévère rappel à l’ordre. Il ne s’est pas battu la poitrine en public sur le déclin de la foi et de la pratique religieuse en Europe. Il n’a pas non plus suivi le modèle de Jean Paul en parlant de lui-même, utilisant des détails de sa biographie pour souligner certains points ou laisser aller ses émotions. Au lieu de cela, dans ses interventions publiques, Benoit s’est concentré sur des messages pastoraux. Considérez ces mots, adressés à des parents allemands ».

- « S’il vous plait, allez avec vos enfants à l’église et prenez part à la célébration eucharistique du dimanche. Le dimanche devient plus beau, toute la semaine devient plus belle, quand vous allez à la messe ensemble le dimanche. Et s’il vous plait, priez ensemble à la maison aussi : aux repas et avant d’aller au lit. La prière non seulement nous rend plus proches de Dieu mais nous rend plus proches les uns des autres ».

« Comme nous l’avons vu durant ses autres voyages, voilà le Benoit le pasteur à l’œuvre. La plupart du temps, il évite les spéculations théologiques ou les commentaires politiques percutants, et il s’efforce au contraire de répondre aux besoins spirituels immédiats des gens ordinaires. […] Sa stratégie consiste à parler de façon positive du message chrétien, en évitant de donner aux journalistes l’occasion de faire les gros titres sur « le pape condamne X ». Il propose un retour au message essentiel, se concentrant sur les écritures, les pères de l’Eglise et les sacrements, sachant qu’ils offrent le meilleur moyen de satisfaire le besoin de sens de notre époque post-moderne ».

John Allen propose ensuite le début de sa conférence qu’il a donné sur les 18 premiers mois du pape dans une université de Cleverland. Il commence par une comparaison entre deux écrivains : George Bernard Shaw and G.K. Chesterton. Chesterton était un converti ardent au catholicisme alors que Shaw était un socialiste et un libre penseur. Tous deux avaient un esprit acéré et un sens de l’humour dévastateur. On ne pouvait imaginer personnes plus dissemblables : en plus de leur vues philosophiques, Chesterton était un bon vivant et Shaw un strict végétarien.

« On rapporte que Chesterton dit un jour à Shaw : A te voir, les gens pourraient penser qu’il y a une famine en Angleterre, ce à quoi Shaw répondit : A te voir, ils pourraient penser que tu l’as causée ». […] « Pourtant, les deux hommes s’estimaient beaucoup, l’orthodoxe gourmand et le socialiste anémique. […] Comment Chesterton était-il capable de garder son amitié à des personnes qui vivaient dans des univers si différents du sien ? En partie, parce que Chesterton personnifiait l’assurance qui animait la vie intellectuelle catholique au début du 20ème siècle. Il y avait un sentiment d’avoir survécu aux pires coups que la sécularisation avait à offrir. La révolution française, Darwin, la lecture historico-critique de la bible, et l’effondrement des états pontificaux. Tout cela aurait du anéantir le catholicisme, cependant l’orthodoxie était toujours debout, avec des géants comme Chesterton, Belloc, Paul Claudel et tant d’autres. Chesterton et sa génération ne craignaient pas la contamination des idées étrangères. Au contraire, ils étaient convaincus que les fausses promesses de la sécularisation avaient beaucoup à craindre de l’évangile chrétien. Chesterton à coup sûr n’avait que du mépris pour l’hérésie, mais son plaisir était non pas de bruler les hérétiques, mais de les réfuter. »

Il explique qu’aujourd’hui les choses sont plus tranchées et que la polarité idéologique et le souci de l’identité catholique rendent de tels dialogues impossibles.
Et il ajoute :

« Imaginez un instant ce que les gens diraient si le pape Benoit XVI était ami avec Hans Küng ! Et c’est là qu’est le hic, parce que bien sûr le pape Benoit XVI est ami avec Hans Küng, qui a été depuis trois décennies ‘l’enfant terrible’ (en français dans le texte) de la théologie catholique. Leur réunion chaleureuse il y a un an en est la preuve. Ma thèse est celle-ci : après dix-huit mois de pontificat de Benoit, une caractéristique propre est ce que j’appellerais son assurance Chestertonienne, une tranquillité face aux différents courants de pensée, et le respect qu’une âme profondément cultivée ressent pour une autre. En passant, je ne suis pas en train de comparer Benoit et Chesterton sur un plan personnel. Chesterton était irascible et avare. Benoit, d’un autre coté, est invariablement aimable, poli et gentil. Cependant Benoit respire le même air de lumière chrétienne que Chesterton. Son approche à la modernité n’est ni l’assimilation lâche que J. Maritain décrit comme ‘se mettre à genou devant le monde’, ni la défensive d’un ‘catholicisme taliban’, qui ne sait que critiquer et condamner.

Face au désaccord et à la différence de visions culturelles, Benoit n’a pas peur, et parce qu’il n’a pas peur, il n’est pas sur la défensive et il n’est pas pressé.

Un tel état d’esprit est largement étranger à notre époque manichéenne, et Benoit est quelque chose comme un paradoxe : cet avatar de traditionalisme catholique qui soutient un message positif, qui est disposé à s’engager dans une réflexion raisonnée avec ceux qui ne pensent pas comme lui. Pendant dix-huit mois, les gens se sont demandés quand le ‘vrai pape’ allait apparaître sous cette façade sereine et gracieuse. Mesdames et messieurs, je vous suggère ce soir que cette façade est le vrai pape. »
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Ceci a été publié le 15 septembre, dans la tourmente de Ratisbonne.

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