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LES RISQUES DU MOTU PROPRIO

Hold your breathe...

John Allen Jr, National Catholic Reporter, 20 avril 2007
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Retenez votre souffle à propos de la nouvelle frénésie médiatique: Le document sur la messe en latin arrive.

A la liste grandissante des indices que quelque chose est imminent, concernant le document longtemps attendu du Pape Benoît XVI autorisant un usage plus large de la messe d'avant Vatican II, je peux ajouter cette semaine une nouvelle rubrique.

Une lettre du 3 avril émanant du Cardinal Walter Kasper, qui, entre autres choses, dirige la Comission Pontificale du Vatican pour les relations entre chrétiens et juifs, répond aux inquiètudes du Conseil international judeo-chrétien à propos de la messe d'avant Vatican II, à la lumière de certains de ses passages controversés concernant le judaïsme. La dernière phrase de la lettre de Kasper, que j'ai sous les yeux, en est le passage-clé: "Bien que je ne connaisse pas les intentions du pape dans le texte final, il est clair que la décision qui a été prise ne peut plus être changée".

Les termes utilisés par Kasper indiquent clairement qu'il s'est passé quelque chose de définitif. Cela s'ajoute à la confirmition par le cardinal secrétaire d'état Tarcisio Bertone, le 31 mars, que le motu-proprio de Benoît XVI, c'est-à-dire un document émanant de son autorité propre, au sujet de la messe d'avant Vatican II est sur le point de sortir.

Les éditeurs catholiques romains, anticipant sur la décision du Pape, ont déjà commencé à préparer de nouvelles éditions du missel pre-Vatican II, appelé "Missel de 1962", parce que c'était la dernière année avant le second Concil Vatican (1962-1965), où était encore sorti un missel adapté à l'ancien rite.

Quiconque s'est aventuré récemment dans la blogosphère catholique est au courant que les spéculations sur le motu proprio atteignent des pics de fièvre depuis des mois
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La frénésie a été en partie entretenue par une série de rapports anxieux faisant allusion à la date de sortie. Une liste partielle évoque octobre 2006, mars 2007 (en même temps que l'exhortation apostolique post-synodale), le jeudi Saint, et ce dernier 16 avril (pour l'anniversaire du Pape). Les derniers pronostics sont à présent le 30 avril, fête de Saint-Pie V selon le calendrier romain, ou le 5 mai, sa fête dans l'ancien calendrier.


Un impact limité

Au risque de refroidir cette revue de "motu-mania", il convient cependant de noter ce que beaucoup d'experts croient, cette anticipation anxieuse risque à long terme de sembler excessive en regard de l'impact réel du document.

D'une part, plus de 40 ans après le Concile, beaucoup de prêtres sont peu familiarisés avec le rite d'avant le Concile, et pourraient ne pas pas se précipiter pour le célébrer, même s'ils sont autorisés à le faire --non pas pour des raisons théologiques, simplement parce qu'ils déjà surmenés. D'autre part, on ne sait pas exactement combien de demandes refoulées pour la messe d'avant Vatican II existent vraiment. Beaucoup de Catholiques enthousiastes pour cette messe y ont déjà accès, dans des paroisses et des congrégations religieuses qui célèbrent la messe dans l'ancien rite, selon les termes d'un "indult" datant de 1984.

Beaucoup d'évêques, pasteurs, et experts liturgiques que j'ai interrogés croient qu'avec ou sans le motu proprio, l'expérience liturgique ordinaire pour la grande majorité des Catholiques continuera à être la messe post Vatican II, en langue vernaculaire. Les estimations varient, mais beaucoup disent qu'ils n'attendent pas plus d'1 ou 2% de par le monde de fidèles qui assiteront régulièrement à l'ancien rite, en comptant ceux qui y avaient déjà accès.

Comme un évêque américain me le fait remarquer "Nous n'aurion pas passé la dernier décennie à suer sang et eau sur une nouvelle traduction en anglais de la messe, si nous ne pensions pas qu'elle continuerait à être la norme liturgique pour la majorité des gens".

De plus, il est peu probable que le motu proprio fera beaucoup, au moins à court terme, pour mettre fin à la fracture entre Rome et les adepts de feu Mgr Lefèbvre. La Fraternité traditionaliste Saint-Pie X , fondé par Lefèvbre, se réclame d'environ un million d'adhérents dans le monde, et tenter de mettre fin à cette rupture a été une priorité majeure à la fois de Jean-Paul II, et de Benoit XVI.

Quiconque connaît les dirigeants de la Fraternité Saint-Pie X, sait que l'ancienne messe n'est pas ce qui suscite le plus de réserve envers le Concile. Par dessus-tout, les traditionalistes ont des objections sur l'enseignement religieux du Concile à propos de la liberté religieuse, l'oecuménisme, et les relations inter-religieuses. Mgr Fellay, à la tête de la Fraternité Saint-Pie X , a proclamé qu'il voulait que le Pape reconnaisse formellement un "droit au désaccord" avec les enseignements de Vatican II, sur ces points. En lui-même, le motu proprio ne réglera pas ces problèmes.

En d'autres termes, le motu proprio peut se révéler être un exemple de ces documents émanant du Vatican, qui libèrent un torrent de débats et de commentaires, mais changent peu de choses sur le terrain.


Vatican II et les relations avec les juifs

Mais tel qu'il est, il n'y a pas de doute que le motu proprio sera un évènement médiatique, parce que l'ancienne Messe est devenue le plus fort symbole des tensions relatives aux directions prises par l'Eglise Catholique dans la période depuis le second Concile Vatican. Auprès du tribunal de la large opinion publique, un accès étendu au rite pré-concilaire sera interprétée comme une victoire de l'aile traditionaliste de l'Eglise, quelle que soit la façon dont le Vatican l'explique.

Parmi les débats certains d'émerger, il y a toutes les inquiétudes concernant les relations judeo-chrétiennes.
L'échange entre Kasper et le Conseil International des Chrétiens et des Juifs, basé en Allemagne, illusre ce qui est en jeu.
Le frère John Pawlikowski, un américain, a écrit à Kasper le 29 mars, au nom des instances exécutives du Conseil Chrétiens-Juifs. Pawlikowski, un expert des relations juifs/chrétiens de l'Union théologique Catholique de Chicago, dit à Kasper que, bien que les mots "juifs perfides" aient disparu de la messe d'avant concile depuis Jean XXIII, l'ancienne messe contient encore d'autres prières pour les juifs, les musulmans et les autres chrétiens, que Pawlikowski juge "profondément dégradantes".

"L'usage étendu de ces prières remettra en question la sincérité de l'Eglise Catholique dans les proclamations des 4 décennies écoulées, en ce qui concerne les avancées oecuméniques, et les relations inter-religieuses, particulièrement avec les juifs", argumente Pawlikowski.

Pawlikowski ne précise à quelles prières du missel de 1962 son groupe oppose des objections.
Un site internet sponsorisé par le Centre pour la compréhension entre juifs et chrétiens du Boston College cependant, offre un document de fond sur l'ancienne messe. Il y a aussi une étude critique d'un groupe "Juifs et Chrétiens", du Comité Central des Catholiques allemands.
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Les textes cités suscitent des inquiètudes parmi les spécialistes des relations judeo-chrétiennes.
Par exemple, la prière du Vendredi Saint contient une passage "Pour la conversion des juifs", qui dit "Prions aussi pour les Juifs, afin que le Seigneur notre Dieu enlève le voile qui recouvre leur coeur, et qu'ils puissent aussi reconnaître notre Seigneur Jésus-Christ. ... Dieu éternel et tout-puissant, ne refusez pas votre pitié, même aux Juifs; écoutez la prière que nous vous adressons pour l'aveuglement de ce peuple, afin qu'ils puissent reconnaître la lumière de Votre vérité, qui est le Christ, et soient délivrés de leurs ténèbres".

Le document de fond du Boston College, affirme que cette prière pose problème.
"Les références à 'même les juifs', 'leurs ténèbres', et 'aveuglement', et à leur conversion vont à l'encontre du respect pour la continuité des traditions juives au long de l'histoire, tel qu'il était exprimé dans la déclaration Nostra Aetate" , dit-il, en se référant au document sur les relations entre le Catholicisme et les religions non chrétiennes. "D'autres problèmes similaires peuvent être trouvés à d'autres endroits du missel, tout simplement parce que'il ne pouvait prendre en compte les développements ultérieurs dans la compréhension de la foi des Catholiques".

Le document du groupe allemand met en lumière d'autres objections.
"Le missel romain pré-conciliaire est inséparable de l'ancien lectionnaire. Dans une séquence d'environ 60 formules différentes pour la célébration de la messe, et des jours de fête, il n'y a pas de lecture de l'Ancien Testament pour le Dimanche, à trois exceptions près: cela dévalue de façon flagrante la première partie de la Bible Chrétienne en deux parties - nommément la Bible d'Israël, réduite à l'insignifiance".

Le groupe allemand pose aussi des questions à propos de la vision du monde sous-jacente à l'ancienne messe.
"Sa théologie, sa spiritualité ... contredit beaucoup de ce qui est au coeur du Concile Vatican II", dit-il. "Notamment, la relation unique entre l'Eglise et le Judaïsme (cf Lumen Gentium, et Nostra Aetate).

Ces points illustrent les réserves au sujet du missel de 1962, auxquelles Pawlikowski fait allusion.

Dans sa brève réponse, Kasper dit à Pawlikowski qu'il a déjà évoqué ces inquiètudes avec le Cardinal Dario Castrillon Hoyos, à la tête de la Commission Ecclesia Dei, qui supervise le retour de l'ancienne messe. Castrillo est un élément moteur, derrière le motu proprio.

Kasper écrit qu'il a exprimé au Cardinal Castrillon ces inquiètudes "de beaucoup de ceux qui sont impliqués dans le dialogue judeo-chrétien".
"Après une longue conversation, il a été répété que l'utilisation du Missel ne représente pas vraiment une situation nouvelle, dans la mesure où son usage était déjà autorisé dans des cas particuliers"

Kasper dit qu'il ne sait pas exactement ce qui sera fait, au sujet des passages "sensibles" concernant les Juifs.
"Le missel de 1962 ne contient plus les termes 'juifs perfides'. Je n'ai pas pu obtenir de réponse claire, en ce qui concerne les prières pour les juifs", écrit Kasper.
Puis Kasper termine par la phrase citée au début de cet article, sur la décision du Pape désormais verrouillée.

Quelle que soit la forme que prendra la décision finale de Benoît, le type de controverses évoquées dans cet échange perdurera -- même si la plupart des catholiques, la plupart des dimanches, et dans la plupart des paroisses, resteront parfaitement à l'écart de ses effets.


 

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