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BENOÎT XVI ET SAINT-AUGUSTIN
 

Un article extrêmement dense et riche (non signé) pour comprendre la théologie de Saint-Augustin, et, à travers elle, celle de Benoît XVI.
L'auteur relit en particulier avec nous un discours prononcé en 2004 par le Cardinal Ratzinger, où il développe certains thèmes abordés dans l'homélie d'hier à Pavie, et actualise la parabole du fils prodigue en se référant à la situation de l'Europe d'aujourd'hui.

(ASCA, ma traduction)


 
 

Benoît XVI: Saint-Augustin, un modèle pour surmonter les crises de la modernité.

Dans le pélerinage auprès des reliques de Saint-Augustin, accompli à la fois comme théologien et comme pasteur de l'Eglise, Benoît XVI a de nouveau mis en lumière ses choix pour un service à l'Eglise et à la société, sur le modèle de Saint-Augustin en son temps, au milieu d'une crise profonde de l'empire romain d'occident.
Dans da visite à Pavie, Papa Ratzinger a dit beaucoup de choses importantes pour éclairer ses ressemblances avec Augustin d'Hippone, un des plus grands Pères de l'Eglise pour la doctrine et la Sainteté.
Mais il n'a pas tout dit. Ce n'est qu'en complétant le puzzle de ses plus récentes pensées sur Augustin que l'on peut comprendre la sensibilité existentielle, culturelle et pastorale qui prévalent chez Benoît XVI, quand il veut proposer à l'Occident tout entier, et en particulier à l'Europe, un retour à Dieu. Sa proposition n'est pourtant pas motivée par l'orgueil, par l'impatience des néophytes ou des fondamentalistes, mais elle se fonde sur un témoignage chrétien offert "dans un style humble, respectueux et cordial". C'est ainsi que se trouve relancée l'encyclique sur l'amour. Devant les restes du Saint évêque d'Hippone, exposées dans la basilique Saint-Pierre au Ciel d'or, à Pavie, Benoît XVI a relancé l'actualité stratégique de son encyclique-programme "Deus caritas est". Parlant de l'amour de Dieu, , le Pape l'a décrit comme le coeur de l'Evangile, le noyau central du christianisme, sans lequel tout devient superflu, sinon inutile.
"Devant la tombe de Saint-Augustin, a-t'il dit, je voudrais livrer à nouveau à l'Eglise et au monde mon encyclique, qui contient ce message central de l'Evangile 'Dieu est amour'. Cette encyclique, surtout dans sa première partie, est largement débitrice de la pensée de saint-Augustin, qui était amoureux ('innamorato') de l'Amour de Dieu, et qui l'a chanté, médité, prêché, dans tous ses écrits, et surtout en a témoigné dans son ministère pastoral".
Le Pape a dit ensuite que dans la continuation du Concile, et selon ses prédécesseurs immédiats, il est lui-même convaincu que "l'humanité d'aujoud'hui a besoin de ce message essentiel, incarné en Jésus-Christ: 'Dieu est amour'; tout doit partir de cela, tout doit y arriver, tout acte pastoral, toute considération théologique".
Le message actuel d'Augustin à l'Eglise est celui-ci: "L'amour est l'âme vive de l'Eglise, et de son action pastorale". Et "seulement celui qui vit l'expérience personnelle de l'amour du Seigneur, est en mesure d'exercer le devoir d'accompagner les autres à la suite du Christ."
Le Pape propose toute une palette de méthode, d'identité chrétienne, à l'écart de tout intégrisme et de tout "temporalisme". Il explique: "Servir le Christ est avant tout une question d'amour. Chers frères et soeurs, que votre appartenance à l'Eglise, vostre apostolat, resplendissent toujours dans la liberté de chacun, et l'adhésion sans réserve à l'amour du Christ".
Pour mieux encore éclaicir cette caractéristique écclésiale, Benoît XVI en vient à formuler une définition nouvelle, une mise à jour de l'Eglise, y compris par rapport au Cathécisme de l'Eglise Catholique: "L'Eglise n'est pas la simple organisation de manifestations collectives, ni -à l'opposé- la somme d'individus qui vivent une religion privée. L'Eglise est une communauté de personnes qui croient en Dieu Jésus-Christ, et qui s'engagent à vivre dans le monde le commandement de la charité qu'il nous a laissé".
S'agissant d'une communauté où l'on est "éduqués à l'amour" à travers les vicissitudes de la vie, on comprend mieux la sollicitude du Pontife à s'adresser avant tout aux jeunes, qui sont en chemin vers la maturation personnelle. Aux jeunes, en effet, revient le devoir d'annoncer la joyeuse nouvelle de l'Evangile, son message de réconciliation et de pardon. Dans son message pastoral, le pape encourage tout le monde à poursuivre "le but le plus élevé" de la vie chrétienne, qui trouve dans la charité la voie étroite de la perfection, et qui doit se traduire aussi par un mode de vie inspiré de l'Evangile, inévitablement en opposition avec les moeurs courantes, mais à témoigner toujours dans un style humble, respectueux, et cordial.
Voici donc l'invitation, à partir de la tombe de Saint-Augustin: "porter dans son coeur la joie d'être disciple de l'amour".

L'Europe, telle le fils prodigue
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C'est ce style qui est privilégié par Ratzinger, parce qu'il s'enracine dans une conviction très augustinienne: seul, Jésus a réussi à incarner dans sa plénitude le modèle de la perfection contenu dans le Sermon sur la Montagne, là où nous est proposée la Loi de la Nouvelle Alliance. Tous les autres chrétiens, y compris les apôtres, ont eu, et ont encore besoin de recourir à la miséricorde divine. Et c'est pour cela qu'à l'exemple de Saint-Augustin, ils sont fortement invités à être des personnes de miséricorde, même si c'est au prix de luttes et de contradictions.

La conversion à la miséricorde - la plus significative dans le chemin des conversions qui ont marqué la vie d'Augustin - Benoît en avait parlé au cours de l'homélie de la messe du matin, considérée par lui comme le point culminant de sa visite à Pavie.

La miséricorde est aussi l'aspect central de la parabole du fils prodigue. Cette parabole était déjà au coeur de la prédication de Ratzinger en d'autres circonstances, pour rappeler l'efficacité et l'actualité de Saint-Augustin.
Le 14 novembre 2004, dans la basilique de Sainte Aurea d'Ostie, présidant les célébrations en présence des reliques de Saint-Augustin, venues de Pavie, à l'occasion de la proclamation du Saint comme saint-patron d'Ostie, le Cardinal Ratzinger compare l'histoire d'Augustin à celle du fils prodigue, la présentant comme le paradigme du retour attendu vers la maison du Père de toute la culture du monde occidental, et de l'Europe en particulier.
Il s'agit d'une homélie peu connue, mais qui vaut la peine d'être relue aujourd'hui, avec le recul, pour saisir aussi un aspect de sa méthode: Papa Benedetto ne laisse rien au hasard, mais ses grands choix sont le fruit d'une longue maturation intérieure.
C'est comme si, à présent qu'il est Pape, il avait libéré toutes les énergies positives "congelées" lors du long service à l'Eglise accompli dans le poste peu commode de préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi:
"Les deux mots-clés pour comprendre la vie d'Augustin, avait dit alors Ratzinger, sont 'amour éternel' et 'sagesse'. Certainement, ce ne sont pas des mots à la mode: le mot 'amour' si beau, est sali par tant d'abus, et surtout, on ne cherche pas l'amour éternel, on cherche l'amour facile et rapide. Le mot 'sagesse', ce même Augustin, qui a vécu dans des temps très semblables aux nôtres, a dit que c'est un mot vétranger au vocabulaire de son (et de notre) temps" .
"Initialement, lui-même ne cherchait pas l'amour éternel et la sagesse, mais plutôt le plaisir, être aimé, avoir du prestige, faire carrière. Ce qui le motivait, c'était la liberté, l'autonomie, l'indépendance. Il adhéra au manichéisme , qui lui promettait une religion scientifique, où tout serait rationnel et scientifique. Mais par la suite, il en alla autrement, et il se retrouva comme le fils prodigue. 'Avec tout ce libertinisme, raconte Augustin, je me retrouvai non pas libre, mais esclave, le serviteur qui doit s'occuper des cochons'".
"Et si nous sommes sincères avec nous-mêmes, commentait Ratzinger, nous devons admettre que cette parabole qu'il interprétait pour lui, pour sa propre vie, on peut aussi l'interpréter pour notre propre situation. C'est la situation de notre Europe, qui est devenu un pays éloigné de Dieu, si loin que le nom de Dieu ne doit plus apparaître dans notre constitution, et paraîtrait une offense, à ne pas risquer dans un pays aussi lointain. Dans ce pays lointain, avec toutes les libertés qu'on nous permet, nous sommes nous aussi des serviteurs, des esclaves du mode de vie imposé, que les modes nous imposent, nous ne sommes plus vraiment libres. Et la vie, au lieu d'être riche, est pleine de désillusions. Et quand nous voyons ce marché des mots, ce marché des divertissements, des idéologies, n'est-il pas vrai que nous mangeons les restes des cochons?"
"Augustin revient à son coeur car il sentait "le grand vide qui tuait son temps, ces mensonges de la réthorique où il était enfermé, étant titulaire d'une chaire (cattedratico) à la Maison impériale de Milan";
Son orgueil intellectuel lui interdisait toutefois d'entrer dans la foi des simples, jusqu'à ce qu'il fît cette grande découverte, que le Verbe était Fils de Dieu. Non pas n'importe quel Dieu, mais un Dieu d'amour, comme symbolisé par le Père du fils prodigue. "LUI nous fait monter là où nous ne pouvons pas arriver, parce qu'en Jésus, c'est Dieu qui est descendu jusqu'à nous".
"Il s'est fait chair -insiste Ratzinger- il s'est fait matière, la sagesse s'est faite amie, et ainsi nous pouvons toucher Dieu, dans la chair et dans l'humilité de Dieu, nous pouvons nous élever de nouveau, entrer dans la chair du Fils; nous sommes dans la communion avec Dieu lui-même. Ce n'est pas nous qui nous sauvons, mais Dieu qui nous sauve".
Et il terminait par une prière: "Prions le Seigneur qui est amour, pour l'Europe: qu'il nous accorde de revenir au coeur, de revenir de ce pays loin de Dieu et du coeur, et de retourner à nos coeurs, de retrouver la maison, de retrouver les racines chrétiennes qui nous donnent la vie"

Fasciné par l'humanité de Saint-Augustin
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Le 17 février dernier, Benoît XVI parlait de Saint-Augustin aux séminaristes romains. "Dès le début, dit-il, je fus fasciné par la figure de Saint-Augustin, puis par le courant augustinien, au Moyen-Age. Le plus fascinant, pour moi, était la grande humanité de Saint-Augustin, qui dès le début dut lutter spirituellement pour trouver peu à peu l'accès à la parole de Dieu, à la vie de Dieu, jusqu'au grand 'oui' dit à Son Eglise. Ce chemin si humain, où, aujourd'hui encore, nous pouvons voir comment commencer à entrer en contact avec Dieu, comment toutes les résistances de notre nature doivent être prises en compte, puis canalisées, avant d'arriver au grand 'oui' au Seigneur. Ainsi, j'ai été conquis par sa théologie très personnelle, qui s'est surtout développéee dans la prédication"

Selon toute probabilité, nous devrons attendre la prochaine visite du pape au Mont-Cassin, pour compléter ce portrait: d'Augustin à Benoît. Ou, mieux: Augustin et Benoît.


Une "Enquête sur Jésus" contre l'Eglise