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LE COURAGE D'ÊTRE IMPARFAIT
 

Préface de l'ouvrage: Pope Benedict XVI: The Conscience of Our Age, par Vincent Twomey, qui fut un étudiant du professeur Ratzinger.

Voir ici : http://www.ignatius.com/

Version originale en anglais (communiquée par une lectrice), ma traduction.




The Courage To Be Imperfect

En marchant dans les rues de Rome la veille de la messe d'inauguration du pontificat de Benoît XVI, j'ai été confronté à une vision étrange et plutôt perturbante : le visage familier de mon ancien professeur sur des centaines d'affiches, partout. Elles étaient sur des panneaux-réclame et dans les éventaires parmi les statues miniatures de la Pietà et du David de Michel-Ange, ou elles se trouvaient de manière incongrue coincées entre les bouteilles de grappa dans un café.

J'étais arrivé à Rome le samedi matin, et me retrouvais parmi la foule immense, marchant vers la place magnifique devant la Basilique Saint-Pierre, toujours légèrement engourdi par le choc que l'homme que j'avais longtemps vénéré comme 'Doktorvater' venait d'être élu pape, le nouveau successeur de Saint-Pierre.
Joseph Ratzinger lui-même a beaucoup écrit sur la mission du pape, et au moins trois parmi ses doctorants ont consacré leurs recherches aux origines et à la nature de la primauté de l'évêque de Rome dans l'église universelle, qui est l'un des points d'achopement pour les chrétiens séparés, en fait le seul obstacle vraiment substantiel à l'union avec les églises orthodoxes.

Ce ne fut qu'au cours des diverses célébrations marquant son inauguration comme successeur de Saint-Pierre que j'en suis venu petit à petit à mesurer la transformation de mon ancien professeur, un professeur allemand éminent mais surtout humble, devenu le pasteur universel de l'église, à présent la cible de l'attention du monde entier, et cela, en un sens, grâce aux mass media modernes.
L'universitaire légèrement en retrait que j'avais autrefois connu était devenu un pasteur exubérant, répondant avec des gestes que nous, ses anciens étudiants n'avions jamais vu auparavant, comme les grands gestes de la main et les baisers aux bébés.

Pendant mon séjour à Rome, le principal sujet de conversation portait sur la personnalité du nouveau pape. Tout le monde voulait savoir: quel genre d'homme est-il?
Ceux qui ne l'avaient connu que comme Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi en avait une image décidément négative, en grande partie créée non seulement par des médias majoritairement hostiles, mais également par la nature de son travail en tant que cardinal responsable de l'intégrité de la foi. Cette image n'était pas conforme à la réalité qu'ils voyaient à présent sur leurs écrans de TV, et ils ont été amenés à se poser cette question: "à quoi ressemble-il vraiment?"

Cette ancienne image rébarbative contredisait de façon flagrante l'image souriante du nouveau pape, qui avait de manière évidente conquis les coeurs du Romains et amenait déjà les journalistes du monde entier à remettre en question leur propre création.
Quand nous, ses anciens étudiants, quelques-uns parmi ceux qui le connaissent depuis 45 ans, nous sommes réunis en privé, nous nous sommes accordé le luxe de souvenirs affectueux -- et d'autres, qui l'étaient moins moins. A la fin d'un repas qui s'est prolongé tard dans l'après-midi, nous nous sommes rappelé les jours paisibles où nous étions ses étudiants ou ses doctorants. L'atmosphère à Rome était comparable à celle d'un banquet de mariage : nous essayions de nous accoutumer -- non sans une larme furtive et beaucoup de rires -- au changement soudain de notre professeur bien-aimé devenu le Saint-Père, qui à présent inspirait le monde entier comme il avait par le passé inspiré ses étudiants à Ratisbonne. En vérité, nous pouvions à peine contenir notre joie ou exprimer comme il convenait notre surprise du fait que notre ancien professeur était devenu le successeur de Saint-Pierre comme évêque de Rome, celui dont la tâche principale serait de nourrir la foi et de donner de la force à ses frères, aux évêques, et à tous les chrétiens, dans notre mission et responsabilité communes d'apporter le Christ à l'humanité et de mener l'humanité au Christ.

Nous avons pensé qu'enfin, le monde aurait l'occasion de découvrir cette personnalité rayonnante de charme ; le brillant intellectuel, et le coeur pastoral de l'homme que ses anciens étudiants connaissent si bien. Cette rencontre a été rendue possible par des journalistes, ceux-là même qui, paradoxalement, avaient été en grande partie responsables de son image négative de "grand inquisiteur", de Panzerkardinal (le cardinal blindé), et de "gardien de la foi" (enforcer of the faith) (John L. Allen, Jr.). Par ailleurs, lors d'une audience accordée à environ cinq mille journalistes et leurs familles peu après son élection, Benedict XVI les a remerciés d'avoir permis au monde entier de prendre part à la mort du pape et à l'élection de son successeur, souvent au prix de sacrifices personnels et familiaux. C'était la première fois qu'un pape les remerciait, un journaliste endurci m'a dit qu'ils en ont été profondément touchés.

Nous, ses anciens étudiants, avons évoqué le temps où il était professeur à Bonn, à Münster, à Tübingen, et, plus particulièrement, à Ratisbonne.
Nous avons été contrariés par la tentative de noircir son image en déformant la vérité sur sa jeunesse à un moment où l'Allemagne était totalement sous la coupe d'Hitler(lui et sa famille étaient intensément anti-nazis.)
Et nous avons spéculé sur l'avenir, sur ce qu'il pourrait faire, à la lumière de ce que nous connaissions de sa personnalité et, avant tout, de son grand esprit et de son extraordinaire mémoire .
Le Pape Benoît XVI dispensera son enseignement au monde non seulement par ses propos mais également par son exemple. La dignité pleine de simplicité des obsèques du pape Jean Paul II et la beauté de sa propre messe d'inauguration ont donné aux participants un aperçu du ciel sur terre -- et ont enchanté ceux qui les ont suivies à la télévision. Comme je l'ai fait remarquer à un prêtre de Dublin, étudiant actuellement la liturgie à Rome, et qui était près de moi lors de la messe: Benoît XVI donnait au monde sa première leçon de liturgie. Il avait beaucoup écrit sur la liturgie, mais ses écrits avaient été généralement ignorés -- et même retirés des étagères d'au moins un institut spécialisé dans l'étude de la liturgie, comme j'ai eu l'occasion de m'en apercevoir. Maintenant, on peut espérer que les gens le liront.

Je soupçonne que telle sera sa méthode d'enseignement -- d'abord gagner les coeurs des gens, qui liront ensuite d'eux-mêmes ce qu'il a écrit sur un sujet particulier. Il a écrit sur presque tous les sujets théologiques touchant la foi, la moralité, l'Eglise et l'Etat. La dernière bibliographie de ses publications (jusqu'à 2002) couvre environ soixante-dix-neuf pages. Beaucoup de publications sont apparues dans les semaines suivant son élection comme pape car il a continué à publier autant comme théologien "privé" que comme Préfet dde la Congrégation pour la doctrine de la foi.

Quel est le secret de la sérénité de Ratzinger, telle qu'on l'a vue lors des secousses de la mort de Jean-Paul II et lors du conclave qui l'a élu pour son successeur ? Comment peut-il être aussi détendu et souriant précisément au moment où il a accepté son élection à des responsabilités qui accableraient la plupart des mortels ?

Laissez-moi répondre en rappelant deux anecdotes.
A Tubingen, un étudiant demandait à d'autres de trouver la différence entre le professeur Ratzinger et un autre théologien également célèbre. La réponse fut: Ratzinger trouve aussi le temps de jouer du piano. Il est ouvert à la beauté autant qu'à la vérité. Il a une vie hors de lui-même. Il n'est pas préoccupé que de son 'ego'. En termes simples, il ne se prend pas trop au sérieux.
L'autre anecdote est personnelle. Un jour, il me questionnait gentiment sur les progrès de ma thèse. Cela faisait sept ans que j'y travaillais. Je lui ai dit que je pensais qu'il restait un certain travail à faire. Il a tourné vers moi ces deux yeux scrutateurs et pleins de gentillesse, énonçant avec un sourire : "zur Lücke de Nur Mut" (ayez le courage de laisser quelques lacunes). En d'autres termes, soyez assez courageux pour être imparfait.
À la réflexion, c'est l'une des clefs du caractère de Ratzinger (et également de sa théologie ; en particulier sa théologie politique) : son acceptation que tout ce que nous faisons est imparfait, toute connaissance est limitée, aussi brillante qu'elle paraisse. Cela ne l'a jamais contrarié de ne pouvoir aller au bout de la teneur réelle d'un de ses cours. Son livre le plus célèbre, "Introduction au christianisme", est inachevé.
Ratzinger sait dans son coeur et dans son âme que seul Dieu est parfait et que toute tentative humaine vers la perfection (telle que les utopies politiques) se termine par un désastre.
La seule perfection à laquelle nous pouvons aspirer est celle préconisée par Jésus dans l'Evangile : "Vous devez, donc, être parfaits, car votre Père au Ciel est parfait" (Mat 5:48)..
Amour de Dieu et amour du prochain : c'est le secret de pape Benoît XVI, et ce sera le coeur de son enseignement universel.


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