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LE DEVOIR (CANADA)
 

Pontificat de Benoît XVI - Ce pape de transition axe le discours de l'Église sur la paix

Réginald Harvey
http://www.ledevoir.com/
Élu par le conclave à titre de 265e pape de l'Église catholique le 19 avril 2005, l'Allemand Joseph Alois Ratzinger a dirigé la barque de Saint-Pierre sous le signe de la prudence d'une Pâques à l'autre, au cours de la dernière année, évitant tant bien que mal les tempêtes à l'horizon. Il a d'abord été le pape de la non-violence.

Benoît XVI a gouverné l'Église sans faire de vagues réellement et il s'est avéré, comme prévu, un pape de transition, comme le confirme Jean-Guy Vaillancourt, professeur de sociologie de l'environnement et des religions à l'Université de Montréal, de même que spécialiste de la papauté. Il apporte une réserve: «C'est vrai à quelques exceptions près. Il s'est mis les pieds dans les plats avec sa déclaration sur l'islam. Pour le reste, il a été très prudent durant toute l'année; il a fait une erreur et s'est rattrapé lors de sa visite en Turquie.»

Il élabore relativement à une vision d'ensemble de son action: «Il n'a pas changé de dogmes. Il a nommé quelques saints et cardinaux, mais cela n'a pas été très marquant. C'est un peu comme s'il s'était dit: "il me faut faire attention parce qu'ils m'attendent au détour et il vaut mieux que je ne commette pas trop d'erreurs". Il s'est finalement comporté comme un théologien, car il est mieux formé dans cette matière que son prédécesseur Jean-Paul II, qui était davantage un philosophe charismatique.»

À ce titre, malgré un glissement vers la droite dans les années 1960, le cardinal Ratzinger gravit rapidement les échelons politiques dans l'Église: «Il est alors devenu très proche de Paul VI et il est monté très vite dans la hiérarchie parce que c'était quelqu'un de solide et parce qu'il avait une bonne tête.» Il était considéré comme un remarquable professeur de théologie.

Un appel à la paix et à l'Europe
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Invité à retracer les faits marquants de la dernière année, le professeur pose le constat que le pape a nettement choisi de se faire le défenseur d'une thèse en particulier pendant cette période: «On doit d'abord parler de sa première encyclique, "Dieu est amour", ce qui est très important, mais il faut aussi souligner l'insistance qu'il met sur la paix, sur la non-violence; c'est assez marquant et personne ne va lui reprocher de s'être engagé dans cette voie. Il est très fort sur ce point, quoiqu'il le soit moins sur la question de l'environnement et du développement durable, dont il ne parle pas trop. Sur cette question de la paix, il s'inscrit dans la même lignée que Pie XII et Jean XXIII.» Il enchaîne sur un autre point: «Il a également pris position sur l'Europe. Il a été assez surprenant de l'entendre affirmer que ce continent doit reconnaître ses racines chrétiennes; je ne vois pas cela comme quelque chose de réellement conservateur que de faire valoir l'origine chrétienne de l'Europe et tout ce qui s'ensuit.»

Toutefois, il avait été quelque peu dur envers l'islam et la Turquie, tout en se rachetant lors de son voyage dans ce pays: «Il a dit que l'islam était une religion violente en citant quelqu'un, sans l'approuver ni le désapprouver. Le plus étrange, c'est qu'il a peut-être en partie raison, mais tu ne peux pas tenir de tels propos sans reconnaître du même souffle que les catholiques du temps ont pour leur part fait les croisades, l'Inquisition, etc. Il s'est rattrapé quand il a fait son voyage en Turquie, au moment où il a donné le signal qu'il n'avait rien à dire contre le fait que ce pays se joigne à l'Union européenne.»

Il dégage un autre aspect de ce périple périlleux: «C'est un voyage qui s'est déroulé les yeux fixés non pas sur l'islam, mais sur l'orthodoxie et le respect des orthodoxes par les Turcs. C'était délicat et il s'en est bien tiré sans offusquer les orthodoxes, ni les Turcs musulmans, ni les Turcs laïques.» À l'égard de l'Europe, son passé l'a rejoint d'une certaine façon: «Le fait qu'on lui reproche d'avoir fait partie de la jeunesse nazie quand il était jeune le rend très attentif au fait de ne pas trop glorifier l'Allemagne; il se montre très prudent à ce propos», précise M. Vaillancourt

L'aspect jeunesse et l'Amérique latine
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En parlant des jeunes, il pose ce regard sur la position papale: «Il a vu toute l'importance accordée à ceux-ci sous le pontificat de Jean-Paul II; il était alors dans le "inner circle" ou le cercle des intimes, comme on dit, même s'il jouait un rôle plus conservateur que ce qu'il aurait aimé.»

Il a poursuivi dans cette direction d'ouverture envers la jeunesse en utilisant les attributs qui sont les siens: «Il sent qu'il n'est pas doté du charisme du précédent pape qui était un "showman". Par exemple, il possède une espèce d'absence de charisme qui le rend en quelque sorte charismatique. Il dégage une sorte d'humilité, d'intériorité qui attire les gens.»

Par rapport aux glissements vers la gauche qu'a connus l'Amérique latine au cours des dernières années, là encore Benoît XVI marche sur la pointe des pieds: «Il n'avait pas été très prudent quand il remplissait sa "job" de gardien de la foi auprès du pape, parce qu'il a été très dur envers la théologie et les théologiens de la libération; il a influencé pas mal Jean-Paul II sur ce sujet et les deux était plutôt d'accord là-dessus.»

Jean-Guy Vaillancourt, fait valoir son point de vue de spécialiste de la papauté sur cette épineuse question: «Il fallait faire attention avec cette théologie-là. Il y a eu certains théologiens de la libération qui n'ont pas été prudents et qui se sont embarqués dans une sorte de marxisme un peu cucul dans le style: "le prolétariat et la classe ouvrière vont nous sauver". D'aucuns ont manqué de clairvoyance. D'autre part, Jean-Paul II avait peur du communisme en raison de ce qui en était résulté et il n'avait pas envie que l'Amérique latine embarque dans un mouvement pareil.»

Benoît XVI s'inscrit dans la même position de réserve: «Mais depuis qu'il est pape, il fait quand même attention. Il n'y a pas eu de condamnation, il n'a pas adressé de blâme; il est assez ouvert au fait que l'Amérique latine fasse en quelque sorte contrepoids aux évangélistes américains protestants et à la présence de ce même phénomène dans ces pays latins.» Sans vouloir entrer dans les stratégies du Vatican, il croit que cette conjoncture existe bel et bien.

Paix et ouverture
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Jean-Guy Vaillancourt se penche sur une autre thématique qui ponctue l'actuel discours papal: «Il a livré un message très important à Noël sur le réveil spirituel contre la technologie matérialiste. C'est un thème vraiment majeur pour lui, comme celui contenu dans les paroles du 1er janvier qu'il a prononcées sur la paix. C'est un des points forts de ce pape que d'insister beaucoup sur le désarmement et la paix. Il en allait de même dans son message du 12 septembre sur la non-violence en général. C'est très marquant: d'après lui, le christianisme n'a rien à voir avec l'amour chrétien, qui ne peut légitimer quelque forme de violence que ce soit.»

Il souligne un autre point: «Il paraît qu'il fait actuellement des efforts pour récupérer en partie les intégristes -- les disciples de Mgr Lefebvre -- en leur donnant la permission d'utiliser le latin. Ce geste est également important, parce que cela montre qu'il n'est pas complètement progressiste et qu'il a toujours son petit côté conservateur. C'est quand même une position qui n'est pas bête non plus parce que, en matière de fondements théologiques, la langue, c'est plutôt secondaire. Il se montre assez souple à cet égard.»

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