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L'ARTICLE DU PÉLERIN

Comment gouverne Benoît XVI

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Benoît XVI fête ses deux ans de pontificat. Comment le pape dirige-t-il l'Eglise ? Comment prend-t-il ses décisions ?
Enquête au cœur du gouvernement de l'Eglise : la curie romaine.


"le Souverain pontife ne doit pas se perdre dans les détails"

Le Vatican du Saint-Siège représente 44 hectares de palaiset de jardins entourés de hauts murs. Passé le poste de garde, les étages mènent aux bureaux de la Secrétairerie d'Etat, le « supercabinet » du Souverain pontife. Dedans, tous services confondus, les 200 collaborateurs ont la charge de rédiger, ou du moins d'élaborer la trame, de tous les textes signés ou prononcés par le pape : encycliques, exhortations, homélies et autres actes apostoliques. A eux également de s'acquitter de sa correspondance, d'établir les dossiers de nominations qu'il devra valider, d'organiser les audiences et les voyages pontificaux. Cette liste des tâches, non exhaustive, suffit à montrer qu'un poste à la Secrétairerie d'Etat - ou dans tout autre organe de la curie romaine - est loin d'être une sinécure. « Pour bien décider, le Souverain pontife ne doit pas se perdre dans les détails, souligne un des collaborateurs. Nous lui permettons de rester en haut de la montagne. »

Un pape aux multiples qualités
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Professeur en dogmatique et en théologie fondamentale, Benoît XVI a enseigné dans les plus prestigieuses universités d'Allemagne, pays dont il est originaire.

En 1981, Jean-Paul II le nomme préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi. Tous ceux qui l'ont côtoyé, durant les 23 ans où il occupa cette charge, témoignent d'une ouverture d'esprit et d'un sens de l'écoute à l'opposé de l'image raide que certains médias ont voulu donner de lui. « Benoît XVI n'est pas seulement un grand théologien, c'est un homme d'une intense spiritualité. Il sait faire preuve d'une immense délicatesse, en même temps que d'une profondeur de pensée et d'une limpidité dans l'expression étonnantes », nous confie le cardinal Paul Poupard, 77 ans, responsable à la curie depuis 1991 et qui assure la présidence de deux conseils pontificaux : celui de la culture et celui du dialogue interreligieux.

...avec quelques zones d'ombres
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Tous ces superlatifs sont plus que mérités. « Mais il manque à Benoît XVI au moins deux 'qualités' qui font les grands papes », remarque un observateur tenu à garder l'anonymat. La première est le sens de la pastorale, du contact avec les réalités d'une communauté. « Benoît XVI a été archevêque de Munich et Freising, de mai 1977 à novembre 1981, observe-t-il, mais il n'a guère démontré son talent d'organisateur. » La seconde qualité est l'expérience de l'international qui permet de confronter ses convictions aux dures contraintes du monde. « Prenez les papes de l'histoire récente : tous ont été formés à l'école de la diplomatie vaticane, comme Paul VI, ou forgés par l'histoire, comme Jean-Paul II. Benoît XVI, lui, aura passé sa vie à étudier puis à enseigner. C'est un penseur. Cela en fait-il un bon décideur ? On peut en douter », souligne mon interlocuteur.

Ce dernier en veut pour preuve le peu d'empressement que Benoît XVI a mis à s'attaquer au problème de la curie. « Benoît XVI a parfaitement conscience de la nécessité d'un grand nettoyage. Mais en ce domaine, tout reste à faire », soupire-t-il.

Au Vatican, on croit un peu trop que l'Esprit-Saint peut remplacer un bon CV
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Réformer la curie : tous les papes ont été confrontés à ce défi. Elu à 78 ans, Benoît XVI a choisi de prendre son temps. Après la désignation, dès le 13 mai 2005, de son successeur au poste de préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi - l'archevêque de San Francisco, William Joseph Levada - il faut attendre septembre 2006 pour que le cardinal Angelo Sodano cède sa place de secrétaire d'Etat au cardinal Tarcisio Bertone, un fidèle du cardinal Joseph Ratzinger, dont il fut l'un des collaborateurs, de 1995 à 2002. D'autres nominations suivront. Pour autant, ces changements laissent insatisfaits les plus soucieux d'efficacité. « Le pape a choisi des hommes de confiance, mais seront-ils à la hauteur des défis à relever ? Au Vatican, on croit un peu trop que l'Esprit-Saint peut remplacer un bon CV. Et le poids de la tradition fait que lorsqu'on veut se débarrasser d'un incompétent - et il y en a ici comme partout - il faut lui trouver une porte de sortie honorable », soupire un prélat sur le mode du regret.

Des changements en douceur
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Benoît XVI aura su faire bouger les lignes sur des dossiers importants.La rénovation liturgique qu'il appelle de ses vœux dans son exhortation apostolique, Le sacrement de l'Amour, publiée en mars 2007, en fournit un excellent exemple. Sur un sujet aussi « sensible », il aura su satisfaire ceux qui, dans l'Eglise, prônent un « retour au sacré », sans déplaire aux tenants d'une vision moins « traditionnelle » de la messe.

Ces changements, il les instille en prenant son temps, sans brusquer les choses, on pourrait presque dire avec discrétion. « Il faut reconnaître qu'en deux années, peu de choses ont vraiment changé. Il travaille », dit l' entourage du pape. Certes, mais s'il agit, c'est par petites touches et avance à son rythme, celui des petits pas. A ce titre, le changement de style comparé à Jean-Paul II est frappant. Cela s'explique par sa personnalité, plutôt réservée, mais aussi par sa conception de la papauté qu'il souhaite moins mettre au centre de tout. Il a ainsi réduit ses apparitions publiques au strict minimum et montre une volonté de gouverner de manière plus collégiale. « Collaborateurs de vérité » est sa devise : un pluriel qui en dit long.

Ce sens du collectif, il l'a manifesté lors du synode sur l'Eucharistie, à l'automne 2005, garantissant une totale liberté de débat. « Lors des visites ad limina des évêques, ceux-ci apprécient son écoute bienveillante et n'hésitent pas à dire leurs difficultés », ajoute un témoin de ces rencontres. « Et il a rétabli les réunions des responsables de dicastères. Même s'il n'y en a eu que deux en deux ans, c'est encourageant », note un membre de la Secrétairerie d'Etat.

Des audaces pas toujours suivies d'effets
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Benoît XVI sait aussi être surprenant lorsqu'il se lance dans une de ses discussions libres pour évoquer l'ordination d'hommes mariés ou la trop modeste place faite aux femmes dans l'Eglise. « Mais ses audaces sont rarement suivies de propositions concrètes », souligne en chœur les observateurs avertis. Les mêmes lui font la critique d'avoir encore mal intégré la dimension géopolitique de son rôle. Le discours, prononcé en septembre 2006 à l'université de Ratisbonne, a montré que le pape pouvait être maladroit sans l'avoir voulu. « Encore que, dans ce domaine, il a su très vite renouer les fils du dialogue avec l'islam sans renoncer à dire des choses exigeantes », note un spécialiste du dossier à la curie.

Il n'empêche : comment Benoît XVI relèvera-t-il les défis planétaires auxquels l'Eglise universelle est confrontée aujourd'hui ? Pour le moment, il s'est surtout adressé à l'Europe déchristianisée pour la mettre en garde contre le refus de Dieu. Mais sur la montée du consumérisme en Asie ou sur la concurrence des Eglises protestantes en Amérique du Sud, le pape s'est encore peu exprimé.
« Comme l'a dit Claudel : 'Dieu écrit droit avec des lignes courbes', conclut le cardinal Poupard. Ma conviction est que c'est une grâce qu'il nous ait donné ce pape-là, qui nous appelle à reformuler notre foi dans un monde en quête de sens. »

Lucide sur ses limites, Benoît XVI est le premier à l'être. Lors de sa première apparition publique en tant que pape, n'avait-il pas déclaré : « Messieurs les cardinaux m'ont élu moi, un simple et humble travailleur dans la vigne du Seigneur. Le fait que le Seigneur sache travailler et agir également avec des instruments insuffisants me console et surtout, je me remets à vos prières. »

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