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LIBÉ ET L'ABBÉ PIERRE

L'homme d'Eglise

[..] Pour l'Eglise catholique, l'abbé Pierre est certes une incarnation idéale du prêtre catholique [..]
En même temps, Henri Grouès, de son vrai nom, a causé à deux reprises au moins quelques soucis à l'Eglise. D'abord, en soutenant son ami, le révisionniste Roger Garaudy. Ensuite, en contestant l'institution. Dans son dernier ouvrage, Mon Dieu... pourquoi ? (Plon), l'abbé Pierre se dit ainsi convaincu «qu'il est nécessaire qu'existent dans l'Eglise des prêtres mariés et des prêtres célibataires», ajoutant que l'hypothèse d'un Jésus marié avec Marie-Madeleine «ne trouble nullement [sa] foi». Il relève même que les opposants à l'ordination des femmes n'ont «jamais avancé aucun argument théologique décisif qui démontre que l'accès des femmes au sacerdoce serait contraire à la foi».
....


La tache antisémite

«Pour nous, cela reste une zone d'ombre, un élément douloureux...» Dix ans après, Richard Prasquier, chargé des relations judéo-chrétiennes au sein du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), n'a pas oublié. Le soutien d'abord inconditionnel de l'abbé Pierre aux thèses négationnistes de l'écrivain Roger Garaudy, puis ses excuses embarrassées. Fin 1995, Garaudy publie, aux éditions de la Vieille Taupe, un ouvrage intitulé les Mythes fondateurs de la politique israélienne, dans lequel il conteste «le mythe des six millions de juifs exterminés» et la qualification de «génocide» qui en a été faite. Stupéfaction, l'abbé Pierre apporte son soutien à Garaudy, dont il est l'ami. [..]
Pour le chercheur Philippe Portier, le catholicisme social, courant dont est issu l'abbé Pierre, comporte une composante «antijudaïque», les Juifs, peuple déicide, étant assimilés de surcroît aux puissances de l'argent. Cette prise de position de l'abbé Pierre pourrait contrarier une éventuelle future béatification et, a fortiori, une canonisation. Depuis Vatican II, l'Eglise catholique s'est fixée en effet pour objectif la réconciliation avec le peuple juif.


L'homme

L'abbé avait couché. Il l'a confié dans son dernier livre: «J'ai donc connu l'expérience du désir sexuel et de sa très rare satisfaction.» Lui qui avait fait voeu de chasteté expliquait : «Cela n'enlève rien à la force du désir, il m'est arrivé d'y céder de manière passagère. Mais je n'ai jamais eu de liaison régulière.» Dans le même livre, il s'exprimait de façon assez ouverte sur le mariage homo : «Je comprends le désir sincère de nombreux couples homosexuels, qui ont souvent vécu leur amour dans l'exclusion et la clandestinité, de faire reconnaître celui-ci par la société.» Il proposait d' «utiliser le mot d'"alliance"» à la place de «mariage» . Avec quelques réserves, il n'excluait pas l'adoption par deux hommes ou deux femmes : «On sait tous qu'un modèle parental classique n'est pas nécessairement gage de bonheur et d'équilibre pour l'enfant.» Sur les moeurs, l'abbé Pierre, qui refusait de condamner le recours à l'avortement ou l'usage de la pilule, a souvent été opposé au pape en exercice. Le 1er décembre 1992, lors de la journée de lutte contre le sida par exemple, il avait demandé de ne pas «ajouter à la faute le crime de dédaigner les moyens préservatifs» .


L'homme médiatique

En se rendant dans les locaux parisiens de Radio Luxembourg, en cette journée glaciale de février 1954, l'abbé Pierre savait-il qu'il allait réussir un des premiers «coups» médiatiques ? Il n'avait pas choisi au hasard la station de la rue Bayard : en France, Radio Luxembourg est alors le «poste» le plus écouté (lire le témoignage de Roger Kreicher en page 21). Et, à cette époque, la radio émerge comme un média puissant. En matière de «coups», il y a eu quelques précédents : Orson Welles et sa Guerre des mondes en 1938 sur CBS, le général de Gaulle et son appel du 18 juin 1940 sur les ondes de la BBC. Mais le cri d'alarme de l'abbé sur Radio Luxembourg ­ «Mes amis, au secours...» ­ est le véritable ancêtre d'un genre audiovisuel nouveau : l'émission caritative. Ce «coup» rapportera 500 millions de francs de l'époque. Le Téléthon, les Enfoirés, l'opération Pièces jaunes en sont les rejetons modernes et télévisuels. Mais les héritiers les plus directs de l'abbé sont certainement les Enfants de Don Quichotte : même engagement en faveur des sans-abri jouant des mêmes ressorts médiatiques.


 

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