|
|
|
|
|
|
COMMENTAIRE AU DISCOURS DE RATISBONNE |
|
Commentaire et étude du discours de Ratisbonne
|
... prononcé par Sa Sainteté le Pape Benoît XVI
Par Pierre-Charles Aubrit Saint Pol, rédacteur en chef de la Lettre Catholique
Les extraits du discours du saint-Père sont en italique. Ce commentaire publié sur le site http://lescatholiques.free.fr/ est aussi disponible sur EMS
|
|
Le sujet du discours que Benoît XVI prononça à l’Université de Ratisbonne porte sur la relation entre raison et foi et la violence qui s’oppose à la nature de l’homme et à celle de Dieu. C’est la raison pour laquelle, il cite l’entête de l’Évangile de saint Jean et en donne le sens exact :
Au commencement était le logos…Logos signifie à la fois raison et parole, une raison qui est créatrice et capable de se transmettre mais, précisément, en tant que raison », affirme le pape.
C’est à ce grand logos, à cette ampleur de la raison, que nous invitons nos interlocuteurs dans le dialogue des cultures.
Peu avant de prononcer son discours, le Saint Père fit une prière à Marie : « …donne-moi la force et le courage de dire ce que je dois dire… » Il ne s’agit pas d’une bourde, mais bien d’un propos réfléchi et d’un enseignement.
Une fois par semestre, il y avait ce que l’on appelait le dies academicus où les professeurs de toutes les facultés se présentaient devant les étudiants de toute l’université, permettant ainsi une expérience d’universitas une chose à laquelle vous aussi, Monsieur le Recteur, vous avez fait récemment allusion, c’est-à-dire l’expérience du fait que nous tous, malgré toutes les spécialisations, qui parfois nous rendent incapables de communiquer entre nous, formons un tout et travaillons dans le tout de l’unique raison dans ses diverses dimensions, en étant ainsi ensemble également face à la responsabilité commune du juste usage de la raison ce phénomène devenait une expérience vécue.
Ce passage se trouve dans le long préambule de son discours, peut-on le considérer comme un simple souvenir anecdotique ? Nous sommes en présence d’un enseignant. La suite de son discours nous laisse à penser que c’est bien un enseignement, une instruction. Nous pensons, qu’il serait plus à propos de l’entendre comme un appel. Un appel aux intellectuels catholiques pour qu’ils s’unissent dans un même axe, qu’ils fassent front commun contre toutes les dérives philosophiques et religieuses susceptibles d’entraîner l’humanité dans un cahot d’inhumanité : formons un tout et travaillons dans le tout de l’unique raison dans ses diverses dimensions. Saurons-nous répondre à cet appel ? En avons-nous le désir ? En prendrons-nous tous les risques ?
Cette cohésion intérieure dans l’univers de la raison ne fut même pas troublée lorsqu’un jour la nouvelle circula que l’un de nos collègues avait affirmé qu’il y avait un fait étrange dans notre université : deux facultés qui s’occupaient de quelque chose qui n’existait pas, de Dieu. Même face à un scepticisme aussi radical, il demeure nécessaire et raisonnable de s’interroger sur Dieu au moyen de la raison et cela doit être fait dans le contexte de la tradition de la foi chrétienne : il s’agissait là d’une conviction incontestée, dans toute l’université.
Il s’agit d’un autre souvenir anecdotique, il l’utilise pour poser le fondement de l’enseignement qu’il s’apprête à donner : il demeure nécessaire et raisonnable de s’interroger sur Dieu au moyen de la raison et cela doit être fait dans le contexte de la tradition de la foi chrétienne… C‘est une apostrophe adressée aux intellectuels et théologiens chrétiens mais surtout catholiques. C’est un appel à se libérer, se purifier définitivement de toute idéologie, d’avoir souci que de la vérité. La vérité pour ce qu’elle est, comme elle se présente, qu’importe si elle nous dérange puisqu’elle nous libère. Cet appel invite les catholiques à se délivrer des attitudes, des pratiques, que certains courants génèrent. Ils laissent la part belle à la sensiblerie, à l’affectivité si fortement aliénantes. Ceux-ci en viennent à se défier de la vie intellectuelle, de l’usage sain de la raison. Ils s’enferment dans des considérations fâcheuses, des errements doctrinaux, développent un profil psychologique sectaire.
Le dialogue porte sur toute l’étendue de la dimension des structures de la foi contenues dans la Bible et dans le Coran et s’arrête notamment sur l’image de Dieu et de l’homme, mais nécessairement aussi toujours à nouveau sur la relation entre comme on le disait les trois « lois » ou trois « ordres de vie » […] ; je voudrais seulement aborder un argument assez marginal dans la structure de l’ensemble du dialogue qui, dans le contexte du thème « foi et raison », m’a fasciné et servira de point de départ à mes réflexions sur ce thème.
Ce passage détermine la compréhension de la suite du discours. Le Saint Père prend à bras le corps le fond des difficultés qui opposent chrétiens et musulmans, plus précisément catholiques et musulmans et enfin, par extension logique, la civilisation occidentale et la civilisation musulmane avec ses multiples cultures.
Il s’agit d’un acte d’un courage intellectuel et spirituel d’une extraordinaire portée. C’est l’événement majeur pour tous les chrétiens de ce début de siècle. Il brise une des portes infernales des enfers modernes. Il aplanit le chemin pour les intellectuels catholiques et chrétiens, mais également pour le monde politique qu’il met face à sa conscience. La nature profonde de la religion musulmane apparaît pour ce qu’elle est.
Il y a quelques années de cela, l’écrivain égyptien, Naguib Mahfouz, décédé récemment, disait : Quand les musulmans admettront que l’homme n’est pas simplement un individu mais une personne, l’islam disparaîtra…, citation de mémoire. La pensée de cet écrivain ne laisse aucun doute sur la prise de conscience réelle, réaliste : il y a bien un conflit latent entre ces deux cultures. Et, s’il fallait un autre témoignage lisons celui du responsable musulman de Marseille : « Il n’y a rien de choquant dans le discours de Benoît XVI. » La suite du discours de Benoît XVI n’a donc rien d’inattendu.
Dans le septième entretien dialexis controverse[…] l’empereur aborde le thème du djihad, de la guerre sainte. Assurément l’empereur savait que dans la sourate 2.256 on peut lire : « Nulle contrainte en religion ! » […] l’empereur avec une rudesse assez surprenante qui nous étonne, […], en disant : Montre-moi donc ce que Mahomet a apporté de nouveau, et tu y trouveras seulement des choses mauvaises et inhumaines, comme son mandat de diffuser par l’épée la foi qu’il prêchait. L’empereur, après s’être prononcé de manière si peu amène, explique ensuite minutieusement les raisons pour lesquelles la diffusion de la foi à travers la violence est une chose déraisonnable. La violence est en opposition avec la nature de Dieu et la nature de l’âme : Dieu n’apprécie pas le sang dit-il, ne pas agir selon la raison, sum logô, est contraire à la nature de Dieu. La foi est le fruit de l’âme, non du corps. Celui, par conséquent, qui veut conduire quelqu’un à la foi a besoin de la capacité de bien parler et de raisonner correctement, et non de la violence et de la menace […] Pour convaincre une âme raisonnable, il n’est pas besoin de disposer ni de son bras, ni d’un instrument pour frapper ni de quelque autre moyen que ce soi avec lequel on pourrait menacer une personne de mort […] L’affirmation décisive dans cette argumentation contre la conversion au moyen de la violence est : ne pas agir selon la raison est contraire à la nature de Dieu. L’éditeur Théodore Kloury commente : pour l’empereur, un Byzantin qui a grandi dans la philosophie grecque, cette affirmation est évidente. Pour la doctrine musulmane, en revanche, Dieu est absolument transcendant. Sa volonté n’est liée à aucune de nos catégories, fût-ce celle du raisonnable. Dans ce contexte, Kloury cite une œuvre du célèbre islamologue français R. Arnaldez, qui explique que Ibn Hazn va jusqu’à déclarer que Dieu ne serait pas même lié par sa propre parole et que rien ne l’obligerait à nous révéler la vérité. Si cela était sa volonté, l’homme devrait même pratiquer l’idolâtrie.
Nous sommes au cœur du drame non réductible qui oppose nos deux cultures. Toutes les deux, dans la logique de leur développement, sont amenées à une compréhension de l’homme radicalement opposée, irréconciliable à moins que l’Occident n’abandonne l’essence même de son identité. Reniera-t-il la grâce qui le fait agir en bien ou en mal : la reconnaissance de l’usage du libre arbitre, l’usage sacré de la liberté de conscience. La mise en évidence des deux natures de ces deux religions et cultures est, dans l’urgence du moment, une nécessité qui ne pouvait plus attendre. Une nécessité servie pour le plus grand bien des chrétiens et des musulmans réellement modérés qui comprennent, qu’il y a incompatibilité entre l’adoration, la prière et la violence. On ne peut être de Dieu et souhaiter la mort de son ennemi. La mort de l’autre pour l’honneur de Dieu blesse sa gloire : l’homme vivant est la gloire de Dieu.
Nous lisons dans ce passage le recul manifeste de Benoît XVI quant à la rudesse des paroles de l’empereur qui n’est cité que dans le cadre d’une argumentation déterminée par la nécessité de son discours.
Ici s’ouvre, dans la compréhension de Dieu et donc de la réalisation concrète de la religion, un dilemme qui aujourd’hui nous met au défi de manière très directe. La conviction qu’agir contre la raison serait en contradiction avec la nature de Dieu, est-elle seulement une manière de penser grecque ou vaut-elle toujours en soi ? […] En modifiant le premier verset du Livre de la Genèse, le premier verset de toute l’Écriture Sainte, Jean a débuté le prologue de son Évangile par les paroles : Au commencement était le Logos. Tel est exactement le mot qu’utilise l’empereur : Dieu agit « sun logô », avec logos. Logos signifie à la fois raison et parole, une raison qui est créatrice et capable de se transmettre mais, précisément, en tant que raison. Jean nous a ainsi fait le don de la parole ultime sur le concept biblique de Dieu, […] Au commencement était le logos, le logos est Dieu, nous dit l’Évangéliste. La rencontre entre le message biblique et la pensée grecque n’était pas un simple hasard. La vision de saint Paul (où) il vit un Macédonien et entendit son appel : Passe en Macédoine, vient à notre secours !( Ac. 16, 6-10) cette vision peut-être interprétée comme un « raccourci » de la nécessité intrinsèque d’un rapprochement entre la foi biblique et la manière grecque de s’interroger. En réalité, ce rapprochement avait déjà commencé depuis très longtemps. Déjà le nom mystérieux du Dieu du buisson ardent, qui éloigne l’homme des divinités portant de multiples noms en affirmant uniquement son Je suis, son être, est, vis-à-vis du mythe, une contestation avec laquelle entretient une profonde analogie la tentative de Socrate de vaincre et de dépasser le mythe lui-même. Le processus qui a commencé auprès du buisson atteint, dans l’Ancien Testament, une nouvelle maturité pendant l’exile, lorsque le Dieu d’Israël, à présent privé de la Terre et du culte, s’annonce comme le Dieu du ciel et de la Terre, en se présentant avec une simple formule qui prolonge la parole du buisson : Je suis. […] Aujourd’hui, nous savons que la traduction grecque de l’Ancien Testament réalisée à Alexandrie la « Septante » est plus qu’une simple ( un mot qu’on pourrait presque comprendre de façon assez négative) traduction du texte hébreu : c’est en effet un témoignage textuel qui a valeur en lui-même et une étape spécifique importante de l’histoire de la Révélation, à travers laquelle s’est réalisée cette rencontre d’une manière qui, pour la naissance du christianisme et sa diffusion, a eu une signification décisive. Fondamentalement, il s’agit d’une rencontre entre la foi et la raison, entre l’authentique philosophie des lumières1 et la religion. En partant véritablement de la nature intime de la foi chrétienne et, dans le même temps, de la nature de la pensée grecque qui ne faisait désormais plus qu’un avec la foi, Manuel II pouvait dire : Ne pas agir « avec le logos » est contraire à la nature de Dieu.
Benoît XVI pose la question de savoir si l’usage de la raison est contradictoire avec la foi. Il n’y répond pas immédiatement. Il résume l’histoire de l’interpénétration progressive de la philosophie grecque et de la Révélation hébraïque et chrétienne, son rôle pour sa compréhension, pour sa diffusion. Il démontre que Dieu lui-même aurait été l’artisan de l’introduction progressive de la pensée grecque dans la Révélation qu’Il fait de lui-même. Il donne à l’homme le matériau qui lui permet de répondre à la nécessité de nourrir et défendre la progressive prise de conscience qu’il n’est pas seulement un individu impersonnel, mais une personne, un être en soi. On peut avancer, que dans la pensée de Benoît XVI sourde l’idée et la contemplation de la volonté qu’a Dieu sur l’homme. Dieu en fait un être responsable, libre. Il est libre de déposer, dans un blasphème effarant, cette liberté en le rejetant, Lui son Créateur, son Dieu. Dans cet exposé, il y a la démonstration progressive et magistérielle que la Parole entendue par l’homme, révélée à un homme doué de la parole, serait l’un des sceaux qui signent que ce Dieu, ce Dieu de nos pères depuis Adam et Eve, est bien un Dieu doué de raison. Et, s’il s’adresse à l’homme, c’est qu’il établit un entretien privilégié qui souligne que son interlocuteur est également doué de raison et qu’il veut, Lui-même, établir une relation raisonnable avec sa propre image qu’est l’homme. Il semble y avoir une autre idée qui sourde dans la pensée de Benoît XVI : en effet, il lui apparaît que Dieu, par l’œuvre de l’Esprit Saint, disposa des dons particuliers au peuple Grec, pour venir, en son heure, rendre possible l’universalité de la Révélation Hébraïque et Chrétienne, de même qu’Il aura agi sur la Rome antique afin que celle-ci dispose à cette mission sacrée ses moyens pratiques et juridiques. Benoît XVI le précise clairement plus loin dans son discours :
Le rapprochement intérieur mutuel évoqué ici, qui a lieu entre la foi biblique et l’interrogation sur le plan philosophique de la pensée grecque, est un fait d’une importance décisive non seulement du point de vue de l’histoire des religions, mais également de celui de l’histoire universelle, un fait qui nous crée des obligations aujourd’hui encore. En tenant compte de cette rencontre, […] ait en fin de compte trouvé son empreinte décisive d’un point de vue historique en Europe. Nous pouvons l’exprimer dans l’autre sens : cette rencontre, à laquelle vient également s’ajouter par la suite le patrimoine de Rome, a créé l’Europe et demeure le fondement de ce que l’on peut à juste titre appeler l’Europe.
Nous constatons que l’acte humain est originellement et naturellement porté au service du salut de l’humanité dans le respect du libre arbitre.
Par honnêteté, il faut remarquer ici que, à la fin du Moyen Age, se sont développées dans la théologie, des tendances qui rompaient cette synthèse entre esprit grec et esprit chrétien. […] Dieu ne devient pas plus divin du fait que nous le repoussons loin de nous dans un pur et impénétrable volontarisme, mais Dieu véritablement divin est ce Dieu qui s’est montré comme logos et comme logos a agi et continue d’agir plein d’amour en notre faveur. Bien sûr, l’amour, comme le dit saint Paul, dépasse la connaissance et c’est pour cette raison qu’il est capable de percevoir davantage que la simple pensée (cf. Ep. 3, 19), mais il demeure l’amour du Dieu-Logos, pour lequel le culte chrétien est, comme le dit encore Paul « logikè lateria » un culte qui s’accorde avec le Verbe éternel et avec notre raison (cf. Rm 12, 1) […] La déshellénisation apparaît d’abord en liaison avec les postulats de la Réforme au XVI e siècle. En considérant la tradition des écoles théologiques, les réformateurs se retrouvent face à une systématisation de la foi conditionnée totalement par la philosophie, c’est-à-dire face à une détermination de la foi venue de l’extérieur en vertu d’une manière de penser qui ne dérive pas de celle-ci. Ainsi la foi n’apparaissait plus comme une parole historique vivante, mais comme un élément inséré dans la structure d’un système philosophique. […] avec son affirmation d’avoir dû mettre de côté la pensée pour faire place à la foi, Kant a agi en se basant sur ce programme avec un radicalisme que les réformateurs ne pouvaient prévoir. Ainsi a-t-il ancré la foi exclusivement dans la raison pratique, en lui niant l’accès au tout de la réalité.
La théologie libérale du XIXe et du XXe siècle représenta une deuxième époque dans le programme de la déshellénisation : Adolf von Harnack en est un éminent représentant. […] La réflexion centrale qui apparaît chez Harnack est le retour à Jésus simplement homme et à son message simple, qui serait précédent à toutes les théologisations ainsi, précisément, qu’à toute hellénisation : ce serait ce message simple qui constituerait le véritable sommet du développement religieux de l’humanité. Jésus aurait donné congé au culte en faveur de la morale. […]
Pour nos réflexions est cependant aussi important le fait que la méthode comme telle exclut la question de Dieu, la faisant apparaître comme une question ascientifique ou pré-scientifique. Mais cela nous place devant une réduction du domaine de la science et de la raison, dont il faut tenir compte.
[…] Pour le moment, il suffit d’avoir à l’esprit que, avec une tentative faite à la lumière de cette perspective pour conserver à la théologie le caractère de discipline « scientifique », il ne resterait du christianisme qu’un misérable fragment. Mais il nous faut aller plus loin : si la science n’est que cela dans son ensemble, alors c’est l’homme lui-même qui devient victime d’une réduction. […] Cependant, l’ethos et la religion perdent ainsi leur force de créer une communauté et tombent dans le domaine de l’arbitraire personnel. C’est une situation dangereuse pour l’humanité : nous le constatons dans les pathologies menaçantes de la religion et de la raison, des pathologies qui doivent nécessairement éclater, lorsque la religion est réduite à un point tel que les questions de la religion et de l’ethos ne la regardent plus. Ce qui reste des tentatives pour construire une éthique en partant des règles de l’évolution, de la psychologie ou de la sociologie, est simplement insuffisant.
Avant de parvenir aux conclusions auxquelles tend tout ce raisonnement, je dois encore brièvement mentionner la troisième époque de la déshellénisation […], on aime dire aujourd’hui que la synthèse avec l’hellénisme, qui s’est accomplie dans l’Église antique, aurait été une première inculturation, qui ne devrait pas lier les autres cultures. Celles-ci devraient avoir le droit de revenir en arrière jusqu’au point qui précédait cette inculturation pour découvrir le simple message du Nouveau Testament et l’inculturer ensuite à nouveau dans leurs milieux respectifs. Cette thèse n’est pas complètement erronée ; elle est toutefois grossière et imprécise. En effet, le Nouveau Testament a été écrit en langue grecque et contient en lui le contact avec l’esprit grec un contact qui avait mûri dans le développement précédent de l’ancien Testament. Il existe certainement des éléments dans le processus de formation de l’Église antique qui ne doivent pas être intégrés dans toutes les cultures. Mais les décisions de fond qui concernent précisément le rapport de la foi avec la recherche de la raison humaine, ces décisions de fond font partie de la foi elle-même et en sont les développements, conformes à sa nature.
Benoît XVI fait ici le résumé historique des déviances qui aboutirent soit à s’éloigner de l’usage de la raison, soit à en faire un principe si ultime que l’on finit par s’en servir comme moyen absolu démontrant l’inexistence de Dieu ou celle qui contribue à pérenniser la crise dite du modernisme. Dans ce passage, d’une densité intellectuelle peu commune, défilent les étapes qui structurèrent, nourrirent les fondations de la culture révolutionnaire. Qui furent, qu’on le veuille ou non, les vecteurs criminogènes de toute notre histoire contemporaine. Elles le sont toujours et nous en subissons les effets d’une étonnante permissivité. Nous sommes en présence d’une menace sans précédent : la proximité d’un chaos dans lequel pourraient se précipiter les génocides dépassant de loin ce que la mémoire humaine peut supporter. Il est à noter que ce long passage comporte un état qu’aucun pape moderne n’aura établi sur la réalité du schisme de la Réforme. Il pourrait s’agir de la fin d’un œcuménisme mou qui tend à culpabiliser l’Église Catholique de ce qu’elle est en vérité. Mettre un terme à ce sous-entendu qui consiste à vouloir l’unité au prix d’une renonciation à ce qui est l’essence même de notre Église, est une nécessité urgente, impérative, elle ne souffre plus d’atermoiement. Les catholiques souffrent d’une identité fragilisée par un discours philosophique, théologique et historique auto-accusateur, auto-flagellateur. Cela suffit ! Le défunt pape Jean-Paul II le Grand, lors de l’entrée dans ce nouveau siècle, y a introduit l’Église par un acte magnifique de repentance. Il n’y a plus aucune raison de partir enchaîné à la conquête des siècles à venir… Laissons-nous entraîner par l’école de Marie et pour le reste, comme le disent populairement nos générations : qu’ils aillent se faire foutre !
La rigueur intellectuelle du Saint Père s’établit dans une lumière de charité qui ne se sépare pas de l’exigence de la vérité et ce, aussi bien envers nos frères protestants qu’envers les tenants des formes diversifiées des errances contemporaines. ....
Avec ceci, j’arrive à la conclusion. Cette tentative, uniquement dans de grandes lignes, de critique de la raison moderne de l’intérieur, n’inclut absolument pas l’idée que l’on doive retourner en arrière, avant le siècle des lumières, en rejetant les convictions de l’époque moderne. […] nous sommes tous reconnaissants pour les possibilités grandioses qu’il a ouvert à l’homme et pour les progrès dans le domaine humain qui nous ont été donnés. Du reste, l’ethos de l’esprit scientifique est vous l’avez mentionné, Monsieur le Recteur, la volonté d’obéissance à la vérité, et donc l’expression d’une attitude qui fait partie des décisions essentielles de l’esprit chrétien. L’intention n’est donc pas un recul, une critique négative ; il s’agit en revanche d’un élargissement de notre concept de raison et de l’usage de celle-ci. Car malgré toute la joie éprouvée face aux possibilités de l’homme, nous voyons également les menaces qui y apparaissent et nous devons nous demander comment nous pouvons les dominer. Nous y réussissons seulement si la raison et la foi se retrouvent unies d’une manière nouvelle ; si nous franchissons la limite auto-décrétée par la raison à ce qui est vérifiable par l’expérience, et si nous ouvrons à nouveau à celle-ci toutes ses perspectives. C’est dans ce sens que la théologie, non seulement comme discipline historique, humaine et scientifique, mais comme véritable théologie, non seulement comme interrogation sur la raison de la foi, doit trouver sa place à l’université et dans le vaste dialogue des sciences.
Ce n’est qu’ainsi que nous devenons également aptes à un véritable dialogue des cultures et des religions, un dialogue dont nous avons un besoin urgent. Dans le monde occidental domine largement l’opinion que seule la raison positive et les formes de philosophie qui en découlent sont universelles. Mais les cultures profondément religieuses du monde voient précisément dans cette exclusion du divin de l'universalité de la raison une attaque à leurs convictions les plus intimes. Une raison qui reste sourde face au divin et qui repousse la religion dans le domaine des sous-cultures, est incapable de s'insérer dans le dialogue des cultures. […] Mais la question sur la raison de ce fait donné existe et doit être confiée par les sciences naturelles à d'autres niveaux et façons de penser à la philosophie et à la théologie. Pour la philosophie et, de manière différente, pour la théologie, l'écoute des grandes expériences et convictions des traditions religieuses de l'humanité, en particulier celle de la foi chrétienne, constitue une source de connaissance; la refuser signifierait une réduction inacceptable de notre capacité d'écoute et de notre capacité à répondre.
Il me vient ici à l'esprit une parole de Socrate à Phédon. Dans les entretiens précédents, ils avaient traité de nombreuses opinions philosophiques erronées, et Socrate s'exclamait alors : « Il serait bien compréhensible que quelqu'un, en raison de l'irritation due à tant de choses erronées, se mette à haïr pour le reste de sa vie tout discours sur l'être et le dénigrât. Mais de cette façon, il perdrait la vérité de l'être et subirait un grand dommage. » Depuis très longtemps, l'occident est menacé par cette aversion contre les interrogations fondamentales de sa raison, et ainsi il ne peut subir qu'un grand dommage. Le courage de s'ouvrir à l'ampleur de la raison et non le refus de sa grandeur voilà quel est le programme avec lequel une théologie engagée dans la réflexion sur la foi biblique entre dans le débat du temps présent. « Ne pas agir selon la raison, ne pas agir avec le logos, est contraire à la nature de Dieu » a dit Manuel II, partant de son image chrétienne de Dieu, à son interlocuteur persan. C'est à ce grand logos, à cette ampleur de la raison, que nous invitons nos interlocuteurs dans le dialogue des cultures. La retrouver nous-mêmes toujours à nouveau, est la grande tâche de l'université.
La conclusion de Benoît XVI ne laisse aucun doute sur la droiture de ses intentions. Il conclut par un acte d’espérance dans les fruits possibles d’un dialogue nécessaire entre les religions. Un dialogue qui, de par l’urgence et l’importance de la situation, demande une vérité totale, intégrale qui ne laisse aucune place à des sous entendus malsains qui empêcheraient l’émergence d’une vérité enchâssée dans la charité. La vérité n’est pas séparable de la charité ni de la justice.
Dans les passages concernant l’Islam, il n’y a rien d’offensant. La vérité n’est ressentie comme offensante que par ceux qui ne veulent pas l’entendre… Si les musulmans décidaient de rompre tout dialogue avec l’Église, cela serait leur problème, cela serait de leurs responsabilités au ciel et sur la Terre… Mais ce n’est pas les citations de Benoît XVI qui les justifieront. Le prétexte est rarement enfant de la justice et de la vérité.
Il n’est plus possible pour l’Église d’aller de l’avant sans préciser sa pensée devant la multiplication de comportements gravement contraires au respect de la vie, de la dignité de l’homme. Le siècle précédent nous a convaincus qu’on ne pouvait tuer au nom d’une idéologie ni au nom de Dieu.
La communauté musulmane ne pourra pas longtemps faire l’impasse sur une analyse historique, sociologique de sa foi ; si elle se refuse à cette démarche et, compte tenu de l’épuisement inévitable de ses richesses naturelles, elle risque de se retrouver marginalisée de l’ensemble de l’humanité d’ici la fin de ce siècle. Elle n’aurait alors que deux possibilités tragiques, celle de la guerre contre le genre humain ou celle du repliement sur soi avec l’assurance d’une disparition progressive et irréversible. Il semble, qu’elle peut encore échapper à un dilemme tragique, mais la solution se trouve dans la nécessité exprimée plus haut et dans un effort de vérité et de respect d’autrui.
Il n’y a aucune raison pour le pape de s’excuser d’avoir dit la vérité, car il n’y a pas eu de sa part une volonté délibérée d’offenser les musulmans, d’autant qu’il n’y a rien d’offensant dans le discours que nous venons de commenter. Encore une fois, la vérité n’offense que ceux qui ne la veulent recevoir.
Il ne doit pas non plus y avoir chez nos frères musulmans l’espoir qu’un jour l’Église se soumette à leur loi ; cette prétention là est irrecevable et présuppose une démarche contraire à l’humilité de Dieu qui est Vérité et Amour.
La prétention de certains responsables musulmans à espérer dominer le monde, un pan-islamique, relève d’une perception sortie de toute réalité qui ne peut que générer un drame… Nos politiques doivent avoir une claire conscience qu’il n’y aura pas d’acceptation d’un second Munich…
Nos intellectuels doivent reprendre leur indépendance envers les idéologies, les options politiques et les courants ténébreux qui sont de véritables prédateurs d’espérance…
Nous voulons, en ces jours d’épreuve, exprimer notre solidarité avec le Saint Père le pape Benoît XVI, lui exprimer notre indéfectible communion et union en sa qualité exclusive de successeur de Pierre sur qui est fondée l’Église du Christ.
|
|
> Haut de page
|
|