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MORT DES SES PARENTS
 

"Ma vie", Souvenirs, 1927-1977, edition Fayard, page 99-100, et 113-114


Son père, en aoôut 1959

...Au coeur de la joyeuse atmosphère qui avait accompagné mes débuts [à Bonn] au cours des mois précédents, je reçus en août un terrible coup de massue d'une dureté inattendue.
Avec ma soeur, qui m'avait accompagné à Bonn et qui m'a fidèlement suivi tout au long des étapes de ma vie jusqu'à sa mort précoce en novembre 1991, j'étais allé à Traunstein dans notre nouvelle maison de famille de la Hofgasse, où mes parents et mon frère nous attendaient pleins de joie. Durant l'été 1958, par une chaleur torride, notre père porta la lourde machine à écrire de ma sueur à réparer, lorsqu'il fit une légère attaque d'apoplexie, à laquelle nous n'avons pas attaché d'importance, hélas, car elle sembla aussitôt surmontée.
Papa vaquait à ses occupations comme si de rien n'était.
Nous fûmes seulement frappés, à vrai dire, par la grande sérénité, la bonté particulièrement indulgente avec lesquelles il nous accueillit. À Noël 1958, il nous fit des cadeaux avec une générosité quasi incompréhensible. Nous sentions qu'il considérait ce Noël comme le dernier, mais nous avions peine à le croire, car il ne laissait rien paraître.
Une nuit, à la mi-août, il fut pris d'un violent malaise, dont il ne se remit que lentement.
Le dimanche 23 août, notre mère lui proposa une promenade sur les lieux de nos demeures successives et de nos amitiés d'autrefois. Ils firent ensemble plus de dix kilomètres par cette chaude journée estivale. Sur le chemin du retour, maman avait été étonnée par la ferveur avec laquelle papa avait prié lors d'une brève visite à l'église, et de l'inquiétude intérieure avec laquelle il avait attendu notre retour à la maison (nous étions partis tous trois à Tittmoning). Pendant le dîner, il sortit et s'effondra en haut de l'escalier. C'était une attaque d'apoplexie, à laquelle il succomba après deux jours de souffrances.
Nous étions reconnaissants de pouvoir nous retrouver tous à son chevet pour lui manifester encore une fois notre affection. Il la reçut avec gratitude, même s'il ne pouvait plus parler.
En rentrant à Bonnprès cet événement, je sentis que le monde était devenu un peu plus vide pour moi et qu'une partie de mes racines familiales avait changé de rive.



Sa mère, en décembre 1963

L'année 1963 fut, en outre, celle d'un autre grand tournant dans ma vie : depuis janvier déjà, mon frère avait remarqué que notre mère s'alimentait de moins en moins. A la mi-août, nous reçûmes du médecin la triste certitude qu'elle avait un cancer de l'estomac. La maladie suivit son cours rapide et inexorable. Jusqu'à fin octobre, à bout de forces, n'ayant plus que la peau sur les os, maman continua à tenir la maison de mon frère, jusqu'au jour où elle s'effondra dans un magasin pour ne plus quitter son lit.
Nous avons vécu la même chose qu'avec mon père : sa bonté, devenue encore plus pure et rayonnante, ne cessa d'illuminer ces semaines de plus en plus douloureuses. Le lendemain du dimanche de Gaudete, le 16 décembre 1963, elle ferma les yeux pour toujours.
Mais l'éclat de sa bonté demeure, et est devenu de plus en plus pour moi le témoignage de la foi dont elle s'était laissé façonner. Je ne saurais trouver de preuve plus convaincante que cette humanité pure et limpide à laquelle la foi a fait mûrir mes parents et tant d'autres personnes qu'il m'a été donné de rencontrer.


 

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