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SÉGOLÈNE ROYAL VUE PAR FRANÇOIS D'ORCIVAL

Valeurs Actuelles du 17/11/ 2006

L'Éditorial de François d'Orcival

SÉGOLÈNE OU LA FAUSSE INNOCENCE

Qui va garder les enfants ? C’est à peu près la seule remarque ironique que se soient autorisée ses concurrents. Ségolène Royal est aussitôt montée sur ses grands chevaux : honte au “machisme” ! Comme si elle ne jouait pas elle-même sur tous les registres de la féminité : son physique, son sourire, son maquillage, sa coiffure, sa prononciation, sa façon de s’habiller… L’ancien ministre socialiste Louis Mexandeau raconte dans ses souvenirs (François Mitterrand, le militant) une anecdote qui remonte à la préparation des élections législatives de 1986. À la réunion de section qu’il présidait, il vit Ségolène Royal se présenter de la manière suivante : « J’ai 28 ans. Je suis mère d’un enfant. Je travaille à l’Élysée auprès de François Mitterrand. Les deux personnes que j’aime le plus au monde, c’est mon bébé et François Mitterrand. Je voudrais être candidate aux élections l’an prochain. » Pourquoi raconter aujourd’hui ce souvenir ancien ? Mais parce qu’elle n’a pas changé ! Elle a 53 ans, quatre enfants, elle préside la région Poitou-Charentes, elle a travaillé à l’Élysée pendant six ans, elle voudrait y retourner. C’est aussi simple que cela.
Le Grand Jury LCI-RTL-le Figaro du 12 novembre était un parfait raccourci de cette certitude de soi. « Tout va repartir grâce à l’élection présidentielle », dit-elle – comprendre : grâce à son élection. Mais comment ? « À cause de la confiance. » La confiance, c’est encore elle. « Si je suis élue, j’augmenterai les bas salaires, précise-t-elle tout de même : cela créera de la consommation, donc de la croissance. » Mais encore ? « On ne relance pas la croissance par des mesures techniques qui ne sont que des gadgets… » Pour la dette, que fait-on ? « Si on remet trois millions de salariés au travail, on rétablit les comptes. » Certes, et pour obtenir ce résultat ? « Je ne fonctionne pas avec des recettes. » Alors ? « Ce n’est pas de la magie, c’est de la confiance. » Comme elle le dit aussi : la boucle est bouclée. Il suffit « que les Français y croient ». En eux, en elle. La méthode Coué conjuguée au futur.

On aurait tort de s’arrêter là. Car il y a bien un système Royal. Depuis son entrée en campagne, qu’a-t-on retenu de ses propos ? « L’ordre juste et la sécurité durable », son slogan de campagne ? Pas du tout, on a retenu ceci : pour les jeunes délinquants, les internats à encadrement militaire ; pour les salariés modestes, les 35 heures peuvent être une “régression sociale” ; dans les quartiers, la carte scolaire n’est pas un outil de mixité mais de ghettoïsation ; pour surveiller les élus, elle préconise des jurys populaires tirés au sort ; et maintenant, de manière involontaire, à travers un enregistrement vidéo diffusé sur Internet (une réunion de section à Angers, en janvier dernier), elle déclare que les enseignants ne font pas assez d’heures de présence dans leurs lycées et leurs collèges… Cette succession de sujets n’est pas le fruit du hasard, mais un procédé : elle se donne une posture – afin d’éviter de répondre sur le fond, tout en provoquant un débat public sur des trompe-l’œil.
Critiquer la carte scolaire ou le temps de travail des enseignants n’est qu’un leurre si l’on ne traite pas de l’essentiel : quelle formation doit-on donner aux professeurs, quel contenu à l’enseignement, quelle méthode aux élèves, pour éviter que 170 000 d’entre eux quittent le système scolaire sans aucun bagage…
Faire encadrer les internats par des militaires (mais quels militaires, dès lors que l’armée est professionnalisée ?) ne répond pas à la question : combien d’internats pour combien de délinquants ? L’autre semaine, toujours à LCI, Pascal Clément, ministre de la Justice, se félicitait de l’ouverture en cours de 37 “centres éducatifs fermés” pour les mineurs délinquants. Heureuse alternative à la prison en effet – mais combien de “jeunes” sont ainsi repris en mains ? Douze par centre. Et il faut trois moniteurs par délinquant. Total : 444 mineurs en même temps, quand la Justice examine 80 000 cas par an… Qu’en dit Ségolène Royal ? Rien.

Lorsqu’elle porte une juste condamnation sur les 35 heures, invite-t-elle à les supprimer ? Évidemment non, le parti veut au contraire les généraliser. Propose-t-elle de détaxer les heures supplémentaires pour permettre aux petits salaires de gagner plus en travaillant plus ? Non plus, le parti veut les surtaxer, “pour partager le travail”. Comme ministre, elle s’est opposée (quand il fallait faire adopter le Pacs) au mariage et à l’adoption pour les couples homosexuels. Elle se veut toujours l’avocate de la famille, de l’apprentissage des interdits aux enfants, etc. Mais elle dit oui, comme le parti, au mariage et à l’adoption pour les couples homosexuels. Elle prétend (le 24 octobre, sur La Chaîne parlementaire) que le programme socialiste « n’est pas le petit livre rouge », mais en quoi s’en distingue-t-elle, autrement que sur la forme ?
Elle revendique une sorte de présomption d’innocence, et demande qu’on la croie sur parole. Elle se réclame de la “démocratie participative” et de la transparence – mais, en Poitou-Charentes, elle écarte d’une main de fer ceux qui, dans son propre camp, ne seraient pas des exécutants disciplinés ; elle dénonce ceux qui ont diffusé la vidéo pirate d’Angers en les accusant de l’avoir tronquée ; elle la diffuse à son tour en tronquant elle-même les passages qui la dérangent. Et pour s’assurer de la discipline de vote des élus socialistes en sa faveur, elle les fait prévenir que les indisciplinés n’auront pas leurs investitures pour les législatives… On comprend que Nicolas Sarkozy ait appelé, par dérision, à voter pour elle.

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