Vous vous trouvez ici: Medias Décembre 2006  
 MEDIAS
Eté 2006
Septembre 2006
Octobre 2006
Novembre 2006
Décembre 2006

TRIBUNE DE GENÈVE
 

La tribune de Genève
Mercredi 6 décembre 2006

Benoît XVI se fait politicien

«L’Eglise n’impose rien à personne mais elle veut vivre librement»
Jean-Noël Cuénod

Le loup se fait ermite. Mais il arrive que l'ermite devienne loup. C'est un peu ce qui s'est produit avec Benoît XVI lors de son voyage en Turquie. Durant ses premiers mois de pontificat, l'ex-cardinal Ratzinguer ne s'était pas encore débarrassé de sa défroque de professeur en théologie. Après ce déplacement à hauts risques, c'est maintenant chose faite. Le prof est devenu pape, avec une tête politique bien constituée.

En donnant son cours, l'enseignant parle librement de la façon la plus claire possible. Dans ce contexte, émettre des propos abrupts n'entraîne pas de conséquences fâcheuses. Appeler un dogme, un dogme reste la meilleure façon de se faire comprendre.

Mais ce qui est une vertu chez un professeur devient une faute pour un pape. Celui-ci s'adresse au public le plus large en passant par les médias qui, dans la plupart des cas, font montre d'une redoutable inculture religieuse et d'une tendance irrépressible à la simplification, voire à l'outrance. Dans ces conditions, le pape doit peser au trébuchet le moindre de ses propos. En risquant à tout moment de sombrer dans le marais de l'autocensure.

En Turquie, Benoît XVI a su manipuler son verbe avec une habileté politique qu'on ne lui connaissait pas. Tout d'abord, il fallait effacer les fâcheux effets de son discours de Ratisbonne. Mission accomplie en quelques heures. Benoît XVI a fait croire au premier ministre Erdogan qu'il soutenait désormais l'entrée de la Turquie dans l'Union Européenne. Ou du moins, le chef du gouvernement turc avait tellement envie que de telles paroles fussent prononcées qu'il les a entendues! Et le pape l'a laissé claironner qu'il avait obtenu du Vatican son nihil obstat pour Bruxelles. La presse turque a aussitôt chanté les louanges de ce pape qui, pourtant, n'était pas le bienvenu.

Toutefois, si l'on décortique les déclarations du pape et de son entourage, Benoît XVI n'a rien cédé de sa position de fond. Il avait émis des réserves à l'entrée de la Turquie au sein de l'Union. Ces réserves subsistent mais plus subtilement énoncées. Le pape a d'ailleurs placé un bémol au chant de victoire d'Erdogan en faisant dire par l'archevêque Mamberti que la Turquie devait satisfaire à toutes les conditions retenues par l'Union, y compris à l'avertissement sévère qui a été infligé au gouvernement turc le 23 novembre dernier quant à la non-reconnaissance de Chypre par Ankara.

De même, Benoît XVI a multiplié les signes d'apaisement envers les musulmans. Et son attitude recueillie à la Mosquée Bleue d'Istamboul devant le mihrab - niche qui indique la direction de La Mecque - a favorablement impressionné l'opinion musulmane. Aucun pape n'avait accompli ce geste avant lui, ce qui n'a pas manqué d'être souligné par les médias turcs.

Mais sous la symbolique, la rigueur tisse toujours sa trame. Ainsi, devant les autorités musulmanes, le pape a-t-il affirmé que «la liberté de religion (…) constitue pour tous les croyants la condition nécessaire de leur contribution loyale à l'édification de la société (…)» Un peu plus tard, Benoît a répété son appel à la liberté: «L'Eglise ne veut rien imposer à personne (…) mais elle demande simplement de pouvoir vivre librement.»

Point besoin d'être Byzantin pour comprendre que le pape réclame à ses interlocuteurs, une liberté d'action pour les chrétiens que les pays musulmans leur accordent chichement. Du côté occidental, ces propos peuvent paraître bénins. Mais ce n'est certainement pas ainsi qu'ils sont compris en terre d'Islam. A une époque où les chrétiens des pays musulmans subissent des discriminations. il était bon que cela fut dit par le chef médiatique de l'une des Eglises se réclamant des Evangiles.

Quant au dialogue entre orthodoxes et musulmans, on ne saurait en attendre des miracles. Cela dit, le patriarche de Constantinople comme le pape de Rome paraissent désormais dialoguer sur la même longueur d'onde. Le vaste front des chrétiens que Benoît XVI rêve de constituer n'est pas encore de saison. Mais l'ancien doctrinaire a compris qu'il fallait mettre beaucoup d'eau politique dans son vin de messe pour y parvenir un jour.


 

> Retour