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L'ANALYSE DE PRÉSENT

La Turquie et l’image du Pape

A l’occasion de l’Angelus, dimanche, Benoît XVI a formé le voeu que son voyage en Turquie contribue à approfondir la collaboration et le dialogue avec les chrétiens orthodoxes et les musulmans. Le Pape a commencé par remercier Dieu et toutes les personnes qui, à travers le monde, ont accompagné son voyage par la prière : « Au cours de ce voyage, je me suis senti accompagné et soutenu par la prière de toute la communauté chrétienne. Je vous remercie tous cordialement ! »
Puis il a adressé une pensée spéciale aux autorités turques, et au peuple turc, pour leur accueil digne de son traditionnel esprit hospitalier. Avant de former le voeu que, de cette inoubliable expérience spirituelle et pastorale, puisse « naître des fruits de bien pour une coopération toujours plus sincère entre tous les disciples du Christ, et pour un dialogue fructueux avec les croyants musulmans ».
Après avoir rappelé sa rencontre avec la communauté catholique de Turquie qui, « d’une certaine manière, vit constamment et de manière forte l’expérience de l’Avent, soutenu par l’espérance », le Pape a ajouté : « La paix est le but auquel aspire l’humanité tout entière ! Pour les chrétiens, paix est l’un des plus beaux noms de Dieu, qui veut l’entente entre tous ses enfants, comme j’ai également eu l’occasion de le rappeler au cours du pèlerinage de ces derniers jours en Turquie. »
Il est symptomatique que ce voyage a cristallisé, en quelque sorte, une vision paradoxale du monde sur Benoît XVI. Si l’on ausculte, en effet, la presse de ces derniers jours, on constate qu’une partie – sans doute la plus importante – des journalistes, ont focalisé leur attentionattention sur les démarches en direction des musulmans (depuis la question de l’Union européenne jusqu’à la visite de la Mosquée). Les autres ont manifesté que ces simples démonstrations ne changeaient rien au discours habituel du Pape. Curieusement, les catholiques ont, dans leur grande majorité, suivi ce clivage médiatique. On peut comprendre que les impressions ressenties, de la façon la plus visible, par les uns et les autres, donnent du voyage du Pape une vision négative. Il semble que, si l’on veut bien s’attacher à la réalité du discours du Pape, comme nous l’avons fait au cours de ce séjour, il y ait là un décalage.
Alors, bien sûr, les musulmans usent beaucoup de la visite de Benoît XVI à la Mosquée Bleue. C’est, allais-je dire, de bonne guerre. Mais, parce qu’ils jouent de cette image, doit-on y voir le fondement d’une réalité ?
Car, au fond, un certain nombre d’entre eux n’y croient pas, qui reprochent toujours au Pape ce qu’ils ont retenu du discours de Ratisbonne. Aytunç Altindal, expert turc des religions, résume ainsi la situation : « Le Premier ministre nous a trompés. Je ne crois pas à un changement de position. Le Vatican ne veut pas voir la Turquie dans le premier cercle des pays européens. »
Parce que la diplomatie peut laisser une mauvaise image, voire une image déformée, certains estiment que le Pape ne devrait pas s’y adonner. Peut-être… Mais, auraient-ils raison, cela ne permet pas à tout un chacun de porter un jugement de valeur, fondé sur ce critère forcément très subjectif, sur la pensée profonde du Saint-Père.

OLIVIER FIGUERAS


Face à la désinformation militante

BENOÎT XVI EN TURQUIE

LA PRESSE INTERNATIONALE, et tout spécialement la presse française, l’aura répété avec quelque surprise, et une certaine jubilation : en visite en Turquie, le Pape Benoît XVI a, dès les premières heures de sa visite, opéré un revirement complet sur l’adhésion de ce pays à l’Union européenne par rapport à la position qui était la sienne lorsqu’il n’était encore que le cardinal Ratzinger – ignorant un peu vite le discours récurrent du Saint-Père depuis son élection sur la nécessaire reconnaissance des racines chrétiennes dans la construction européenne. Avec une tristesse affichée – hommes de peu de foi… – nombre de catholiques ont cru devoir admettre pareille volte-face.
« Nous voulons que la Turquie fasse partie de l’Union européenne. » Telle est la déclaration que, au premier jour de sa visite, le Pape aurait faite.
Je le dis tout net, cela est impossible ! Pour trois raisons :
— la première, parce que le Pape n’a strictement aucune autorité pour vouloir que qui que ce soit adhère ou non à l’Union européenne ;
— la seconde, parce que cette citation a été rapportée par le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan, que tout le monde s’empresse de croire, alors qu’il n’est pas, que l’on sache, le porte-parole du Saint-Siège ;
— la troisième, parce, sans même revenir à l’habituel propos évoqué plus haut, il a dit, en Turquie même, le contraire. Cela se trouve au point 4 de la déclaration commune avec le patriarche oecuménique Bartholomée Ier :
« Nous avons évalué positivement le chemin vers la formation decette grande initiative ne manqueront pas de prendre en considération tous les aspects qui touchent à la personne humaine et à ses droits inaliénables, surtout la liberté religieuse, témoin et garante du respect de toute autre liberté. Dans chaque initiative d’unification, les minorités doivent être protégées, avec leurs traditions culturelles et leurs spécificités religieuses. En Europe, tout en demeurant ouverts aux autres religions et à leur contribution à la culture, nous devons unir nos efforts pour préserver les racines, les traditions et les valeurs chrétiennes, pour assurer le respect de l’histoire, ainsi que pour contribuer à la culture de la future Europe, à la qualité des relations humaines à tous les niveaux. Dans ce contexte, comment ne pas évoquer les très anciens témoins et l’illustre patrimoine chrétiens de la terre où a lieu notre rencontre (…) »
Dans le même esprit, le Pape aura certainement dit au Premier ministre turc, qui aura voulu prendre cela pour argent comptant auprès de son pays, qu’il n’était pas opposé à la reconnaissance, au sein de l’Union européenne, des minorités religieuses. Ce qui implique, à tout le moins, une certaine réciprocité.
Se rend-on compte de la force de pareil propos, alors que, dans le même temps, les Turcs s’y opposent ? Mercredi, en effet, le président Ahmet Necdet Sezer a opposé son veto à un texte de loi visant à améliorer le droit de propriété des petites communautés chrétienne et juive. Ce faisant, il s’oppose à l’Union européenne, à l’heure où celle-ci affirme une nouvelle fois vouloir ralentir les procédures d’adhésion de la Turquie – malgré l’opposition de certains caciques européistes. Mais c’est aussi une fin de non-recevoir à l’idée de réciprocité. Or, Benoît XVI n’a pas hésité à réitérer ce propos dans son discours à l’église Saint-Georges du Phanar, à la fin de la messe célébrée par le patriarche. A propos de l’envoi en mission des disciples pour baptiser les nations, le Pape y déclare : « Cette tâche qui nous a été laissée par les saints frères Pierre et André est loin d’être achevée. Au contraire, aujourd’hui, elle est encore plus urgente et nécessaire. Car elle ne concerne pas seulement les cultures qui n’ont été touchées que de façon marginale par le message de l’Evangile, mais également les cultures européennes depuis longtemps profondément enracinées dans la tradition chrétienne. Le processus de sécularisation a affaibli l’influence de cette tradition ; elle est en effet remise en question, et même rejetée. Face à cette réalité, nous sommes appelés, avec toutes les autres communautés chrétiennes, à renouveler la conscience de l’Europe de ses racines, ses traditions et ses valeurs chrétiennes, en leur donnant une nouvelle vitalité. » Et lors de la messe célébrée vendredi à Istanbul, il affirme : « L’Eglise ne veut rien imposer à personne ; elle demande simplement de pouvoir vivre librement pour révéler Celui qu’elle ne peut cacher, le Christ Jésus. » Est-ce là un abandon face aux Turcs ?
Il en est de même du mauvais procès fait au Saint-Père à propos de la prière récitée à la Mosquée Bleued’Istanbul. Le Pape y est accompagné par le grand mufti Mustafa Cagrici. Celui-ci prie. Le Pape ne va pas, durant ce temps, se livrer à on ne sait quelle humeur chagrine. Il médite ; il prie peut-être. Mais cela n’en fait pas une prière unique. Il ne suffit pas, comme l’affirment certains, qu’il ait adopté la position de la tranquillité et ait croisé ses mains sur son ventre, pour qu’il ait commis je ne sais quelle faute contre la foi.
C’est d’autant plus bête, que, la presse l’a noté, lors de la messe célébrée par le patriarche orthodoxe, le Pape avait assisté, mais non participé. Bartholomée Ier a d’ailleurs dit, à cette occasion, la « profonde affliction » des orthodoxes « de ne pas pouvoir célébrer unis les saints sacrements ».
Et le Pape aurait prié en union avec un musulman…
Il y a mieux encore. En répondant au patriarche, Benoît XVI a évoqué la responsabilité universelle du Pape. Autrement dit, il a, devant les orthodoxes, réaffirmé sa primauté.
Bien sûr, le Pape – ne l’a-t-il pas toujours fait ? – étudie la possibilité de parvenir à l’unité des chrétiens. Mais, si ce dialogue fraternel a pour but « d’identifier les moyens dont le ministère pétrinien peut être exercé aujourd’hui », cela ne peut se faire qu’en « respectant sa nature et son essence ».
Bref ! en termes certes pondérés, le Pape a réussi à réaffirmer avec force l’importance, et même la primauté, de l’Eglise catholique. Son autorité apparaît ainsi bien plus forte que celle des caciques de l’Union européenne qui, pour avoir annoncé vouloir ralentir les procédures de l’adhésion turque, au titre notamment de la nonreconnaissance de Chypre, ont vu grandir la réaction d’Ankara. Dès mardi soir, en effet, Ali Babacan, le négociateur turc chargé des relations avec l’Union européenne, avait exclu toute éventualité de régler le différend douanier sur Chypre en l’état : « Nous ne ferons aucun pas tant que les restrictions commerciales et l’isolement de la République turque de Chypre du Nord ne seront pas levés. »
Et le Premier ministre Erdogan ne s’est pas privé, sitôt connu l’avis de la Commission européenne, de dénoncer une décision inacceptable. La position ferme, mais diplomatique, de Benoît XVI a assurément plus d’impact !

OLIVIER FIGUERAS


 

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