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 LE THÉOLOGIEN
De A à Z

REPENTANCE
 

"Faire route avec Dieu", édition Parole et Silence, page 257 et suivantes

Voir aussi ici: L'Eglise devant ses fautes


 

..Par la lettre apostolique «Tertio millennio ineunte » on connaissait le désir du Pape que l'année sainte ne soit pas seulement une occasion particulière de pénitence individuelle, mais signifie aussi une « purification de la mémoire » pour l'Église, purification dans laquelle elle devait se souvenir des fautes du passé qui pèsent sur l'histoire de l'Église. Ainsi on avait donné à la théologie un sujet qui était neuf sous cette forme : les fautes multiples dont parle l'histoire de l'Église, à qui sont-elles à attribuer? L'Église elle-même pourrait-elle se rendre coupable? Quelle sorte de confession, de pénitence et de pardon est possible dans ce cas?
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C'est à juste titre que, dans les journaux, on parlait du « mea culpa » du Pape au nom de l'Eglise. Ainsi on cite une prière, le « Confiteor » qui tous les jours se trouve au début de la célébration liturgique. Le prêtre, le Pape, les laïcs, tous confessent avec leur « moi » - chacun en particulier et tous ensemble devant Dieu et en présence des frères et soeurs - d'avoir péché, de s'être rendu coupable, même par de très grandes fautes.
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Trois choses importent dans notre première réflexion. Le sujet de la confession, c'est le « moi » - je ne m'accuse pas des péchés des autres, mais des miens. Cependant je confesse - deuxièmement - mes péchés en communion avec les autres, devant eux et devant Dieu. Et finalement: je demande simultanément aux frères et soeurs de prier pour moi, et ainsi dans le pardon de Dieu je recherche aussi la réconciliation avec mes frères et soeurs.
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En voyant cette histoire permanente du « mea culpa » dans l'Église, on peut se demander - et moi aussi je me suis posé cette question - en quoi consiste en fait la surprise, la nouveauté de cette année sainte?
Selon mon impression, que je voudrais mettre ici en discussion, quelque chose a changé au début des temps modernes, lorsque le protestantisme a créé une nouvelle historiographie de l'Église, dans le but de montrer que l'Église catholique n'est pas seulement couverte de péchés, ce qu'elle a toujours su et dit, mais qu'elle s'est complètement corrompue et détruite, n'étant plus l'Église du Christ, mais qu'au contraire elle est devenue un instrument de l'Antéchrist.
Comme elle serait corrompue de fond, elle ne serait donc plus Église, mais « Anti-Église ».
À ce moment-là quelque chose avait apparemment changé. Nécessairement naquit alors une historiographie catholique, opposée à cette image, et dont le but était de montrer que l'Église catholique - malgré ses péchés qui étaient plus qu'évidents et que l'on ne saurait nier - demeurait pourtant l'Église du Christ et toujours l'Église des saints, l'Église sainte.
Au moment de la confrontation de ces deux sortes d'historiographie, où l'historiographie catholique se voyait contrainte à l'apologétique pour démontrer que, malgré tout, la sainteté de l'Église était restée intacte, la voix de la confession des péchés se faisait nécessairement plus silencieuse dans l'Église.

La situation s'est aggravée au cours du siècle des Lumières ; pensons seulement à Voltaire affirmant « Écrasez l'Infâme ! » Les accusations vont croissant finalement jusqu'à Nietzsche pour qui l'Église n'est plus seulement considérée comme manquant complètement à la volonté du Christ, mais apparaît comme le grand mal par excellence de l'humanité, comme l'aliénation de l'homme, dont il doit enfin être libéré pour redevenir lui-même.
Le même motif paraît, dans une autre réalisation, dans le marxisme. Celui-ci affirme aussi que l'Église, le Christianisme, rend l'homme étranger à lui-même, qu'elle approuve l'oppression et qu'elle barre la route au progrès.
Depuis le siècle des Lumières, certaines réalités regrettables de l'histoire ont été grossies en de véritables mythes : les croisades, l'Inquisition, la chasse aux sorcières sont, bien au-delà des faits historiques, devenues des épouvantails mythiques qui ne justifient pas seulement le non à l'Église, mais qui l'exigent.
On condamne déjà, comme concession faite à l'inhumanité, toute tentative de considérer l'histoire d'une manière un peu plus nuancée, de distinguer plus nettement les différentes responsabilités, de considérer la complexité des phénomènes et les efforts divers des différents responsables.

Là où les faits regrettables engendrent une sorte de profession de foi négative et où ils ne peuvent plus être considérés dans le contexte des divers forces et effets, la participation des croyants à la confession des fautes est rendue plus difficile : il fallut alors faire des efforts pour rendre visible que, malgré tout, l'Église a été et est demeurée un instrument du salut, du bien et non de la destruction de l'homme.

Aujourd'hui nous nous trouvons dans une situation nouvelle où l'Église peut revenir, avec une liberté plus grande, à la confession des péchés et où elle peut ainsi inviter les autres à la confession et donc à une réconciliation profonde.
Nous avons vu les grandes destructions provoquées par les athéismes qui ont engendré un nouveau niveau d'antihumanisme, de destruction de l'homme. Les atrocités que les systèmes athées de notre siècle ont inventées et pratiquées, dépassent tout ce qui a précédé; ce n'est qu'avec frisson que nous pouvons les percevoir. Le non à l'Église, le non à Dieu et au Christ ne sauve pas; au contraire - nous voyons quelle possibilités terribles cela déchaîne dans l'homme.
Pour tous se pose aujourd'hui de nouveau la question : où en sommes-nous? Qu'est-ce qui nous sauve? Ainsi donc nous pouvons, avec une nouvelle ouverture, confesser notre faute et reconnaître en même temps, avec une confiance nouvelle, le don que le Seigneur nous fait par l'Église et que tous les péchés en elle n'ont jamais pu détruire et ne détruiront jamais.

Pour terminer, je voudrais encore brièvement formuler trois critères pour un rapport juste avec la faute de l'Église et pour une nouvelle manière de purification de la mémoire.

Premier critère : l'Église de notre temps ne peut se présenter comme un tribunal qui juge les générations passées - même si le « mea culpa » implique nécessairement les péchés du passé; en effet, sans les péchés du passé, nous ne pouvons pas comprendre la situation actuelle. L'Église ne peut ni ne doit vivre dans le présent avec une certaine arrogance, ni se sentir exempte des péchés, ni considérer comme source du mal les péchés des autres, les péchés du passé. La confession des péchés des autres n'affranchit pas de la reconnaissance des péchés du présent. Elle aide plutôt à éveiller notre propre conscience et à ouvrir pour nous tous le chemin de la conversion.

Second critère : la confession signifie d'après Augustin « faire la vérité ». C'est pourquoi c'est surtout la discipline et l'humilité de la vérité qui sont demandées pour ne pas nier tout le mal qui a été commis dans l'Église, mais aussi pour ne pas, par fausse modestie, s'attribuer des péchés qui n'ont pas été commis ou pour lesquels il n'y a pas de certitude historique.

Troisième critère : encore d'après Augustin, nous devons dire qu'une « confessio peccati » chrétienne doit toujours aller de pair avec une « confessio laudis ». En faisant un examen de conscience sincère, nous découvrons que, de notre côté, nous avons commis beaucoup de mal dans toutes les générations. Cependant, nous voyons aussi que, malgré nos péchés, Dieu purifie et renouvelle continuellement l'Église et qu'il confie de grandes choses à des vases fragiles. Et qui saurait méconnaître, par exemple dans les deux derniers siècles qui ont été ravagés par la cruauté des athéismes, tout le bien qui a été fait par des congrégations religieuses, par des mouvements de laïcs, dans le domaine de l'éducation, dans le secteur social, dans l'engagement pour les faibles, les malades, les souffrants et les pauvres? Ce serait un manque de sincérité de ne voir que le mal commis par nous et non le bien que Dieu a opéré par les fidèles - malgré leurs péchés.


 

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