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INSIDE VATICAN PAGE 2

Deuxième partie

Premiers souvenirs d'enfance, Marktl, Tittmonning, Aschau

Vous êtes né à Marktl am Inn en Bavière. Vous rappelez-vous la ville?
Non, car j'avais seulement deux ans quand nous avons déménagé.

Etiez-vous l'aîné, dans votre famille?
Non, le plus jeune.

Combien aviez-vous de frères et soeurs?
Un frère et une soeur.

Trois enfants?
Oui.

Et votre frère était l'aîné, ou était-ce votre soeur?
Ma soeur était l'aînée.

De combien d'années?
Elle était né en décembre 1921. Mon frère est né en janvier 1924. Je suis né en avril 1927.

Comment s'appelait votre soeur?
Maria...

Et votre frère s'appelle Georg?
Oui...

Quels sont vos premiers souvenirs?
(rires)Mon premier souvenir a trait à Marktl, et c'est vraiment le seule souvenir de ces premièrs moments de ma vie.
Dans notre maison, nous étions au second étage, et le rez-de-chaussée était occupé par un dentiste, et cette personne avait une auto, -chose qui était assez rare à cette époque, du moins en Bavière. Et l'odeur de gas-oil de la voiture est ce dont je me souviens (rires). Cela m'impressionnait beaucoup (rires).

Et vous souvenez-vous d'Aschau?
Oui. Mais avant cela, nous avons déménagé dans une autre petite ville, Tittmonning, sur la frontière autrichienne. Une jolie petite ville, avec une certaine histoire, parce qu'elle faisait partie de l'archevêché de Salzbourg. Un belle ville. Et même, au XVIème siécle, elle fut le point de départ d'un mouvement de réforme de l'Eglise, une réforme du clergé. Et les effets s'en font ressentir jusqu'à nos jours, car le prêtre qui en est à l'origine avait fixé les règles de vie du clergé, qui restent en pratique dans la région, le fait que le prêtre de la paroisse et ses vicaires vivent en commun.
C'était une très petite ville, d'environ 3000 habitants, mais très joli. Et j'ai des souvenirs très nets à la fois de la vie de l'Eglise, et de la nature environnante, mais surtout de la vie écclésiale. Il y avait deux grandes et belles églises. L'église paroissiale avait un Chapitre, et dans l'autre église, qui suivait le canon Augustinien (règle de Saint-Augustin), il y avait des religieuses. Et dans ces deux églises, il y avait une jolie musique, les églises étaient très belles, et, disons, par dessus-tout, les célébrations de Noël et de la Semaine Sainte étaient fort belles, très vivantes, et firent sur moi une profonde impression.

Combien d'années avez-vous passé là?
De 1929, jusqu'en décembre 1932.

Et ainsi, les Noëls de Tittmonning sont vos souvenirs d'enfance les plus marquants?
Oui, et plus encore, les célébrations de la Semaine Sainte. Parce que, et j'ignore si c'est la même chose aux Etats-Unis, il y avait la tombe de Jésus. Du Jeudi Saint, jusqu'au Samedi Saint. Une très belle construction baroque avec beaucoup de fleurs, de lumières, etc...
Et la vue de la Sainte Tombe, de la Sainte Sépulture, devrais-je dire, m'impressionnait beaucoup. Mais aussi les fêtes. Les vêpres, avec les chants sacrés. Les processions. Chaque jeudi, il y avait une grand'messe chantée, et une procession avec le Très-Saint Sacrement.
Et de cette façon, la beauté de l'Eglise s'imprégna fortement dans ma mémoire.
Et Noël, bien sûr, à la fois à l'église, et à la maison naturellement, était aussi très beau.

Vous souvenez-vous d'une aventure particulière, comme enfant, avec votre frère Georg et votre soeur Maria?
(rires) Je n'ai pas une très bonne mémoire pour les aventures! (rires)

Mais des randonnées dans la montagne, ou...
Eh bien, nous faisions de longues promenades avec ma mère, particulièrement en Autriche, puisque nous étions exactement sur la frontière autrichienne, comme je l'ai dit. La rivière qui coulait dans la ville servait de frontière entre l'Allemagne et l'Autriche.
Et également ceci (rires): il y avait une gare, un petit train qui reliait la petite ville au reste du monde. Mais comme nous étions pauvres, nous ne quittions jamais la ville. Nous allions souvent à pied jusqu'à la gare suivante, et et revenions à pied, et ainsi nous pouvions économiser.
C'étaient des promenades merveilleuses. Jusqu'à trois ans, ma mère me portait quelquefois, mais arrivé à l'âge de 4 ans, je pus me débrouiller tout seul.

Vous souvenez-vous de votre apprentissage des langues?
J'ai commencé à apprendre les langues étrangères seulement au lycée. En fait, notre lycée était un lycée classique, ce qui ensuite fut aboli par Hitler. Nous commencions à nous consacrer au latin, qui était au centre de nos études, puis nous continuions avec le grec, et ensuite venait le français.

Que mangiez-vous, à la maison?
(rires) Je dois dire que ma mère était cuisinière de son métier, avant de se marier, et donc, elle savait faire la cuisine. Et de plus, durant les années qui précédèrent son mariage, elle avait travaillé dans un hôtel, à Munich, où chaque cuisinier avait sa spécialité, elle était spécialisée dans les mehlspeiss.
Savez-vous de quoi il s'agit? C'est quelque chose qui existe uniquement en Bavière et en Autriche.
Ce sont des choses faites avec de la farine et de la crême, pas comme les pâtes italiennes, mais sucrées. Les apfel strudel, entre autres. Les apfelstrudel sont les seules choses qui se sont plus ou moins répandues de par le monde, mais nous avions tout un choix de spécialités de ce type. Une extraordinaire abondance!
Et nous adorions ces mehlspeiss.
Par ailleurs, nous étions naturellement assez pauvres, et elle faisait ce qu'elle pouvait pour nourrir une famille de cinq personnes. D'ordinaire, nous mangions un peu de boeuf, de la salade, des légumes.

Vin, ou bière?
Non, nous ne pouvions même pas y penser. En temps normal, nous ne buvions que de l'eau. Mais bien sûr, il y avait du café deux fois par jour, le matin et l'après-midi, mais ce n'était pas du vrai café, seulement un ersatz que nous appelions café mais qui était fait avec de l'orge.

Aviez-vous des livres à la maison?
Oui. Pas beaucoup, naturellement, mais mon père s'intéressait beaucoup à l'Histoire et à la politique, et ma mère aux romans, et donc nous avions quelques livres d'histoire, des livres religieux, naturellement, et puis aussi quelques romans, Ben Hur et Quo Vadis, etc., etc.

Les avez-vous lu?
Oui, bien sûr.

Quo Vadis se passe à Rome. Quelle idée de Rome vous faisiez-vous, dans votre enfance?
Rome était pour nous presque quelque chose de légendaire.
Rome, pour nous, c'était avant tout le siège du Saint-Père. Et puis, naturellement, nous savions que ça avait été le centre de l'Empire Romain.
Nous le savions, parce que notre coin de Bavière avait fait partie de l'Empire Romain, et il y avait, et il y a encore des vestiges de routes romaines, et beaucoup de ruines romaines. Et par conséquent, même nous, les enfants, nous savions qu'il y avait eu cet Empire romain, créé par les Romains, et que Saint-Pierre était venu à Rome, et que Rome était devenu le centre de la chrétienté, et le Siège de la papauté. Pour nous, Rome était donc, d'un côté cette histoire impériale, et de l'autre, avec un profond sentiment, le Siège du Pape.

Quelles étaient les périodes de l'Histoire qui intéressaient le plus votre père?
Mon père s'intéressait beaucoup, je dirais à l'histoire contemporaine.

Aviez-vous de vives discussions à ce sujet, à la maison?
Disons qu'il n'y avait pas réellement de discussions, mais mon père, même s'il avait fait peu d'études, était une personne absolument supérieure, sur le plan intellectuel. D'une grande supériorité, même en comparaison avec des universitaires. Et il avait ses convictions, qu'il avait approfondies au travers de l'étude, bien sûr.
C'était un grand patriote Bavarois,. C'est-à-dire qu'il n'acceptait pas volontiers l'Empire de Bismarck, et la Bavière ainsi incorporée à cette Allemagne "prussianisée".
Et on doit dire qu'il y avait toujours ces deux courants, en Bavière: un qui était réconcilié avec cette ligne, cette idée de l'Allemagne. Et l'autre qui n'acceptait pas cette idée, et qui pensait plutôt au contexte de l'histoire plus ancienne, avant la Révolution française, du Saint-Empire Romain Germanique, c'est-à-dire à l'amitié et aux relations plus étroites avec l'Autriche, et aussi la France. Et mon père était dans cette ligne, et par dessus tout, il était un catholique convaincu, et par conséquent, sa position était clairement contre le nationalisme, etc. Et ses arguments étaient si bien fondés qu'il nous avait convaincus.

Il a été été muté à plusieurs reprises: Marktl, Tittmoning, Aschau, Traunstein. Pourquoi?
(rires) Oui. Je ne sais pas. Il y avait de grandes tensions dans ces petits villages. Il y avait plusieurs usines, dans les environs, et des factions étaient nées, intolérantes entre elles. I y avait aussi un certain niveau de criminalité, qui lui compliquait la vie.

Il était chef de la police?
Oui. Et ainsi, il fut muté à Tittmoning, parce que c'était une ville plus grande, et les écoles étaient meilleures.
Il pensait toujours avant tout aux écoles.
Puis vint le temps de la grande Dépression, du chômage de masse.
C'était entre 1929 et 1932, la grande crise économique mondiale, et il y avait énormément de chômage. Et ce chômage favorisa la montée du National-Socialisme. Ces chômeurs pensaient qu'Hitler pourrait changer quelque chose. Et de ce point de vue, il changea vraiment quelque chose, créant l'armée, etc. etc. Et alors, ce fut un grand mouvement, agressif, aussi.
Et mon père s'opposa fortement à eux, et quand il vit que l'arrivée d'Hitler au pouvoir était inévitable, il demanda son transfert dans une autre petite ville, Aschau, parce que là, à Tittmoning, au moment où Hitler prit le pouvoir, ç'aurait certainement été très difficile pour la famille. Il partit au bon moment, juste un mois avant ce changement, pour la petite ville d'Aschau, où naturellement ces tensions existaient aussi, mais pas partout, ça n'avait pas autant d'impact sur la vie de tous les jours, parce que le mode de vie était rural. Et donc, ici, on pouvait survivre, même s'il y avait tout le temps des pressions, tout le temps des difficultés.


 
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