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Chantal Delsol, dans le Figaro, et Patrice de Plunkett, dans son blog, ont trouvé les mots exacts pour dire ce qui s'est passé durant ces journées, et particulièrement le 12 septembre, aux Bernardins. (15/9/2008)

Je ne pourrais jamais dire à quel point j'ai personnellement vécu toutes ces journées, et cette journée-là (le 12 septembre), comme des moments de grâce exceptionnelle, par la grâce, justement de "ce petit homme en blanc" (il n'y a aucune malice dans cette description) si lumineux, et qui est vraiment apparu comme un signe envoyé par Dieu.

Les critiques médiatiques et politiques (ils ont vraiment tout essayé, AVANT), comme d'habitude abondamment relayées, ressemblent de plus en plus à des gesticulations de nains, qui sentent leur suprématie toute d'apparence ébranlée... en douceur, mais en profondeur. Inutile, donc, de s'y attarder, oublions pour une fois les aigres commentaires et les comptes sordides d'OV, HT et autres FL, à moins de préférer une flaque de boue à un torrent d'eau pure.





Chantal Delsol

Un article qui suscite mon enthousiasme sans réserve, dans le Figaro d'aujourd'hui. Il dit tout.

Ce beau texte mérite d'être reproduit intégralement, c'est pourquoi je me suis empressée de le scanner, pour lui donner une visibilité maximale (son auteur ne m'en voudra pas, et je m'excuse par avance auprès d'elle de ne pas attendre son autorisation), y compris auprès d'éventuels lecteurs étrangers.

La sérénité extraordinaire du petit homme en blanc
Chantal Delsol
Figaro (édition papier) du 15 septembre

Auditrice attentive du discours de Benoît XVI au collège des Bernardins, la philosophe se dit frappée par la force qui se dégage de ce Pape quand il rappelle ce que l'Europe doit au christianisme.
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Chaque fois qu'un pape visite la France, se déroule un scénario à peu près analogue une bonne partie des médias vocifère, pendant qu'une foule de fidèles se mobilise. Aujourd'hui plus encore qu'au cours des derniers voyages de Jean-Paul II, c'est la différence des styles et des tons qui me frappe : hargne et sérénité.

Des intellectuels et des politiques emplissent les pages de grands quotidiens d'une indignation véhémente dénonciation d'une alliance du trône et de l'autel, comptabilité des millions d'euros arrachés aux fonds publics pour recevoir un individu qui n'est ni une vedette politique ni une vedette exotique (ah! si c'était le dalaï-lama...), rappel obsessionnel des croisades, évocation des centaines d'églises chrétiennes pour lesquelles on n'engagerait pas le moindre de ces frais. En face, un petit homme en blanc s'avance dans une travée, environné de clameurs, sans ostentation ni gloire. Il est paisible. On sent dans sa démarche la persévérance et le sentiment que le chemin est long, mais que les forces ne manqueront pas. Il salue modestement. C'est un pèlerin, en somme. Un passant. Il parcourt le vieux monde, dont il constate sans aigreur ni acrimonie l'essoufflement, le vide, la dérision meurtrière. En sortant, il embrasse deux enfants et se retire dans sa voiture. Ses fidèles se regroupent en foules ferventes et gaies. Des jeunes chantent en latin. On leur a seriné sur l'air des lampions que c'était réac. Mais ils ne peuvent pas s'en empêcher, et les sermons médiatiques leur ont manifestement glissé dessus.

Ce petit homme doté d'un grand cerveau (personne ne le nie), s'installe au micro devant un parterre composé du gratin parisien. Bien entendu, il sait exactement ce qu'on lui reproche. Mais il n'est ni un soldat (comme le pape précédent qui ressemblait à un partisan descendu des montagnes et, à l'époque, nous en avions bien besoin), ni un politicien. Point de polémique. Ni d'agressivité. Finaud. Il sait qui se trouve dans la salle : beaucoup de ces plumes qui ont en leur temps défendu le marxisme jusqu'à extinction des feux, et continuent, avec une mauvaise foi sartrienne, à identifier l'Église à son Inquisition ; beaucoup de ces gens qui combattent l'idée même de vérité et confondent la tolérance avec le relativisme, tiennent Dieu pour l'ennemi du genre humain et tentent de faire croire à leurs lecteurs naïfs que l'Europe n'a pas d'identité, sauf à devenir sectaire et fanatique. Il les salue d'un regard neutre, comme s'il allait donner une conférence sur la syntaxe de Balzac. Et leur sert un discours pédagogique de haute volée (adapté à leur capacité de compréhension, sous-entendu vous ne pourrez pas arguer, comme vous le dites de Bush, que le pape est un crétin) sur la quête de Dieu. Sur le dieu inconnu de Paul, et sur la chaise vide de Dieu. Sur le fait qu'il ne s'agit pas seulement de chercher Dieu, mais de se laisser trouver par Dieu, sachant bien qu'il se trouve dans un pays où l'on repousse Dieu davantage qu'on l'ignore. Sur la liberté qui, si elle prétend signifier
l'absence de liens, court à l'arbitraire ou au fanatisme (ce dernier mot est d'ailleurs le seul que les journaux parlés du soir ont retenu : enfin un terme polémique, ou qui peut paraître tel). Il évoque ces moines qui, en cherchant Dieu, ont fondé la culture occidentale. Et cela signifie, au deuxième degré, comme on parle à un morveux qui se targue de ne rien devoir à personne : que seriez-vous sans cette tradition sur laquelle vous crachez ? Vous n'auriez même pas, de salive... Car c'est elle, cette tradition, qui vous a conféré la liberté de cracher. Le tout, dans un murmure, avec l'accent allemand qui rappelle notre Alsace, et paisiblement.
Il sait bien qu'est assis dans la salle cet ancien président de la République sur l'insistance duquel l'Europe a évincé la mention des racines chrétiennes dans les textes fondamentaux. Il sait aussi que, dans ce pays, dès qu'on parle de l'identité d'une culture, on se voit accusé de vouloir la guerre entre civilisations. Il fait semblant d'ignorer tout cela. Il décrit comme un professeur ce lieu mystérieux d'où nous venons et qui nous a faits, ce lieu dont nous ne voulons pas. Il décrit cette identité avec une espèce de neutralité scientifique : c'est de l'histoire, tout de même, et nul ne peut effacer le passé. La frénésie négationniste, qui nous prétend sans héritage, apparaît ridicule.

Les appels à la «vigilance » se multiplient pour défendre la laïcité menacée (je me méfie de cette «vigilance »-là qui n'est jamais vigile de soi et ne s'oppose qu'aux excès des autres). En effet si la laïcité signifie bien exclure la religion de toute sphère publique afin qu'elle ne s'exprime que dans les consciences, c'est-à-dire dans les arrière-cuisines, cette laïcité typiquement française n'a plus beaucoup d'avenir. Et pour une seule raison : les catholiques ne sont plus complexés de l'être. Ils s'afficheront donc autant que d'autres religions et courants. La laïcité revancharde et hargneuse laissera place à une sécularisation de pays civilisés : une distinction de la croix et du glaive, non plus la suppression de la croix - cette chaise vide de Dieu.

Voici le message tranquille laissé par cette silhouette et cette voix modestes : nous existons. Nous existons plus loin que dans les arrière-cuisines et les consciences muettes. Nous influençons les gouvernants, nous offrons des modèles éducatifs, nous proposons un art de vivre et de penser. On ne pourra pas nous reléguer. Nous représentons l'institution la plus ancienne et la plus durable qui ait jamais existé dans l'histoire. Nous avons fait ce continent. Si les « vigilants » se réclament aujourd'hui des droits de l'homme, dont ils ne peuvent plus se passer, c'est bien parce que ces moines du XIIIe siècle ont suivi la trace d'un Dieu qui confirme la dignité humaine. L'Église a fondé non seulement ce que nous sommes, mais aussi ce qui nous reste lorsque nous ne voulons plus être rien.
D'ailleurs, nous ne prétendons qu'à exister. Que les « vigilants » se rassurent : l'Église ne possède aucune puissance. Elle ne revendique que des légions d'anges, lesquelles ne menacent personne, et sûrement pas des incroyants, j'imagine. Cette impuissance me rassure autant qu'eux: on sait bien que l'Église comme n'importe quelle institution peut abuser de son pouvoir, transformer ses clercs en tyrans domestiques et politiques. J'aime cette Église désarmée, guettée par l'absentéisme, affaiblie, et portée par l'espérance plutôt que par la satisfaction. C'est bien ce désarmement qu'incarne aussi la frêle et humble silhouette.
France de ce début de siècle. Un vieux pays dont les élites pour une bonne part haïssent le catholicisme, et dont une partie du peuple retrouve des racines religieuses dont elle estime avoir besoin pour donner sens à sa vie. Ce jeune salarié s'assied dans le métro le vendredi matin et y trouve un journal gratuit qui lui serine encore la chanson commune ton argent va au gaspillage pour recevoir un pape, pauvre plouc ! Il lit attentivement ces pantalonnades, puis le lendemain se lève à six heures pour avoir sa place aux Invalides, et apercevoir la calotte blanche du pèlerin inopportun.

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Note: Au moment où je m'apprête à poster ce message, je m'aperçois que l'article est déjà en ligne. Tant pis, je ne regrette pas le temps que j'ai passé à reproduire le texte (grâce à Omnipage...)


Patrice de Plunkett, quant à lui, est égal à lui-même, dans cet article où il commente le sens général du discours prononcé au collège des Bernardins. Certains passages sont réellement inspirés:
http://plunkett.hautetfort.com/...

Cet homme est déroutant comme l’Evangile…

Accueilli par nos médias comme si le pape était politicien, guetté à Paris sur des questions politiques – la laïcité, les rapports des religions et de l’Etat -, le chef de l’Eglise catholique a agi par surprise. Le premier de ses discours majeurs n'a pas été celui de l’Elysée, mais celui de l'après-midi au collège des Bernardins devant sept cents personnalités du monde de la culture : écrivains, philosophes, artistes, cinéastes... (auxquels s’étaient ajoutés on ne sait pourquoi MM. Chirac et Giscard d’Estaing).

Ce qui s’est passé là a tenu du prodige. Ou plutôt de la prophétie.

Benoît XVI n’a pas abordé, en apparence, les sujets sur lesquels on l’attendait. Il a fait beaucoup plus :

Dans cette communication d’une densité phénoménale, sans concessions, très charpentée et dont chaque mot comptait, il a mis son auditoire en contact avec le cœur nucléaire de la foi chrétienne.

En parlant de la vie monastique, matrice de la culture occidentale, le pape a convoqué tous les problèmes cruciaux du XXIe siècle français. En négatif : la confrontation de la foi et de la société sans repères. En positif : l’étonnante résonance – par dessus les siècles – entre le labeur intellectuel et matériel des monastères, hier, et les attentes d’aujourd’hui : celles de notre postmodernité qui s’attache à l’authenticité vécue et aux multiples sens du langage, plus qu’aux théorèmes et aux abstractions.

Des moines médiévaux scrutant la Parole, au monde d’aujourd’hui « où l’absence de Dieu est hantée par la question qui Le concerne », Benoît XVI a lancé un pont.

Il a indiqué la voie : ne plus amputer notre vie de sa dimension essentielle.

En conclusion de sa conférence, il a déclaré :

« Chercher Dieu et se laisser trouver par lui : cela n’est pas moins nécessaire aujourd’hui que par le passé. Une culture purement positiviste, qui renverrait dans le domaine subjectif – comme non scientifique – la question concernant Dieu, serait la capitulation de la raison, le renoncement à ses possibilités les plus élevées et donc un échec de l’humanisme, dont les conséquences ne pourraient être que graves. Ce qui a fondé la culture de l’Europe, la recherche de Dieu et la disponibilité à l’écouter, demeure aujourd’hui encore le fondement de toute culture véritable. »

Après quoi il est parti vers la cathédrale Notre-Dame, acclamé par des foules considérables massées sur le parcours de la papamobile.
Sa prise de contact avec les milliers de jeunes massés sur le parvis a été volcanique : clameurs d’enthousiasme, fanions jaune et blanc sans nombre, et les paroles du pape - toutes simples - sur l’Esprit et la Croix. « Je vous fais confiance, l’Eglise vous fait confiance », leur a-t-il répété. Une explosion de joie lui a répondu.

Benoît XVI ensemence le XXIe siècle. Non seulement ce pape est un intellectuel et un pédagogue de très grande envergure, mais sa bonté incandescente lui rallie les foules qui l’approchent.
Nous étions quelques-uns à le pressentir en 2005, quand il succéda à Jean-Paul II. Aujourd’hui des millions de gens le savent... Il est venu à son heure. Il prépare l’avenir de la planète chrétienne.