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IL CUSTODE DELLA FEDE
 



Andrea Tornielli
, le vaticaniste du quotidien italien "Il Giornale" a écrit juste après l'élection une biographie dont le contenu, avec le recul de deux ans, reste d'actualité. Ce livre "Benedetto XVI, il custode della fede" (le gardien de la foi) a été traduit en français sous le titre "Benoit XVI: la biographie" (éd. Citadelle).
Voici un extrait de sa belle préface:


 
 

J'ai rencontré pour la première fois Joseph Ratzinger, le nouveau pape Benoît XVI, lors d'un voyage de trois jours à Bassano del Grappa, au mois d'octobre 1992, à l'occasion de la remise du prix de la Culture catholique, dont il était le lauréat. A l'époque, je travaillais pour le mensuel 'Trenta giorni'. Avec Lucio Brunelli, alors journaliste à l'hebdomadaire Il Sabato (aujourd'hui vaticaniste de la RAI), nous devions réaliser une interview sur quelques-uns des thèmes saillants du débat ecclésial de l'époque. [..]
Une petite délégation de journalistes suivait le préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi depuis Rome. Grâce aux très bonnes relations de Brunelli, nous sommes parvenus à savoir à bord de quel avion embarquerait le Panzerkardinal, aussi bien à l'aller qu'au retour, et nous avons réservé une place sur le même vol, dans l'espoir d'atteindre notre objectif plus facilement. L'interview nous fut concédée tandis que nous attendions à l'aéroport de Tessera, l'escale de Venise, à la fin de notre séjour en Vénétie.

[..]

Ce qui m'avait le plus frappé, alors que je suivais pour la première fois, et de très près, le gardien de la Doctrine de la Foi à la tête de l'ex-Saint-Office, c'était son extrême simplicité et sa délicatesse. Les salles d'attente pour VIP, que ne refuse même pas en Italie la secrétaire du sous-secrétaire, ne s'ouvraient pourtant pas, ni pour lui un prince de l'Église connu sur la scène internationale, ni pour sa petite suite composée de son fidèle secrétaire Joseph Clemens, d'un consulteur et d'un ufficiale de la Congrégation. Aucun signe ne laissait à penser que se trouvait là, occupé à faire la queue, une valise à la main, l'esprit théologique de tout le pontificat de Jean-Paul II.
Ratzinger voyageait en costume de clergyman qu'il remplaça immédiatement, arrivé à destination, par la soutane noire de rigueur que l'évêque porte chaque matin pour se rendre à son bureau. Tout en lui, mais vraiment tout - de son aspect à son comportement, en passant par le contenu de ses interventions et l'homélie prononcée à Bassano - semblait en contradiction profonde avec l'image d'inquisiteur rigide et inflexible qu'une certaine presse lui avait collé à la peau depuis une dizaine d'années déjà, hostile à l'idée même que quelqu'un, depuis Rome, « ose » encore définir ce qui est catholique de ce qui ne l'est plus, ce qui correspond au dépôt de la foi transmis par deux mille ans d'histoire chrétienne et ce qui, au contraire, s'en éloigne jusqu'à le réfuter.

On percevait tout de suite que Joseph Ratzinger n'était pas un fondamentaliste, un impérieux « restaurateur ». Il s'éloigne beaucoup de l'image d'inquisiteur moyenâgeux que nous ont décrit la télévision et la littérature, en faussant souvent l'histoire. Fils, oui, d'un vieux et bon agent de police de la catholique Bavière, réfractaire au nazisme et à son idolâtrie de la race, mais nullement « gendarme » dans son attitude.
Et il ne s'agissait pas seulement de son flegme si british et si peu allemand, ni de ses manières de gentilhomme d'une autre époque, passionné de musique et de bonnes lectures. Ce qui frappe le plus, c'est son approche de la foi, du dépouillement de la vie chrétienne.
Il est impossible de comprendre Ratzinger et son action comme préfet de la Congrégation, autrefois appelée « Sacrée », si ce n'est à travers ses propos : « Le magistère ecclésiastique protège la foi des simples ; de ceux qui n'écrivent pas de livres, qui ne parlent pas à la télévision et qui ne peuvent pas écrire d'éditoriaux dans les journaux : c'est là son devoir démocratique. Il doit donner la parole à ceux qui ne l'ont pas. »
Ce ne sont pas les érudits - disait-il dans une homélie prononcée à Munich en décembre 1979, lorsqu'il n'était pas encore le gardien de l'orthodoxie catholique - qui déterminent ce qui est vrai dans l'entrée dans le baptême, mais bien le baptême qui détermine ce qui est acceptable dans les interprétations érudites. Ce ne sont pas les intellectuels qui prennent la mesure des simples, mais bien les simples qui prennent la mesure des intellectuels. Ce ne sont pas les explications rationnelles qui prennent la mesure de la profession de foi baptismale, mais bien la profession de foi baptismale, dans sa naïve littéralité, qui prend la mesure de toute la théologie. Le baptisé, celui qui vit dans la foi, n'a pas besoin d'être instruit. Il a reçu la vérité et la porte en lui, avec la foi...
« Il devrait être également clair à présent qu'affirmer que l'opinion de quelqu'un ne correspond pas à la doctrine de l'Église catholique ne signifie pas violer les droits de l'homme. Chacun doit pouvoir se former et exprimer librement son opinion. L'Église, avec le Concile Vatican II, a déclaré ouvertement qu'elle était pour, et elle l'est encore aujourd'hui. Mais cela ne signifie pas que toute opinion extérieure doive être reconnue comme catholique. Chacun doit pouvoir dialoguer comme il veut et comme il peut avec sa conscience. L'Église doit pouvoir dire à ses fidèles quelles opinions correspondent à leur foi. C'est son droit et son devoir, afin qu'un oui reste un oui et qu'un non reste un non, et que soit préservée la clarté qu'elle doit à ses fidèles et au monde. »
Ces paroles sont, à mon avis, la meilleure clef pour tenter de tracer un portrait de Joseph Ratzinger, cardinal et théologien, devenu à la surprise générale le successeur de Jean-Paul II sous le nom de Benoît XVI. Il y a quelques années, le futur pontife, dans un entretien avec le journaliste Peter Seewald, avait avoué : « Étant conscient de mon inadéquation, j'ai toujours à l'esprit la perspective d'un jugement final. »
Et il a ajouté qu'une chose lui apportait un soulagement : « La certitude de la grandeur de Dieu, bien supérieure à ma faiblesse. » Ratzinger a prononcé ces humbles paroles lors de sa première rencontre avec la foule, place Saint-Pierre, mardi 19 avril 2005, dans l'après-midi.
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Conscient des limites de cette publication face à la difficulté de circonscrire une personnalité aussi riche et intéressante que celle du nouveau pape, un homme dont même les adversaires les plus farouches ont toujours reconnu l'exceptionnel niveau intellectuel et la grande préparation, j'espère pouvoir contribuer, du moins un peu, à mieux le faire connaître, surtout à ceux qui ne l'ont approché qu'à travers des titres de journaux.
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Andrea Tornelli


Le Pape Benoît: un homme chaleureux! | L'empreinte de la Bavière