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BENOÎT XVI ET LA TURQUIE DANS L'UE
 

Pour une fois, LE MONDE rend justice au Pape - pas par affection, sans doute, mais le résultat n'en est pas moins là.
Rappelons qu'Henri Tincq voyage dans l'avion papal, avec les 70 journalistes accrédités qui l'accompagnent dans ce voyage , qu'il a donc accès au moins en ce moment, à des informations de première main, et on peut difficilement prétendre qu'il ne sait pas de quoi il parle.
Il n'y a même pas besoin de lire entre les lignes pour comprendre ce qu'il nous dit ici de façon très claire: il ne croit pas un seul instant que Benoît XVI ait donné sa "bénédiction" à Erdoggan pour l'entrée de la Turquie dans l'UE. Cela tombe bien, nous non plus, pas pour les mêmes raisons, évidemment.
Pour lui, c'est de la diplomatie, pour un peu, il prêterait au Saint-Père des arrières pensées "florentines" . Il y a un peu de cela, sans doute, mais aussi un grand courage -dans ce contexte- et une remarquable continuité dans la ligne de conduite du Pape: cela n'étonnera que ceux qui ne le connaissent pas.

Pas moins de deux articles développent ce thème. Relativement malveillants et fielleux, ce qui est somme toute conforme à l'ordre des choses, mais rangeant au placard la fable du revirement pontifical.
Il y apparaît clairement qu'Erdoggan a tenté de manipuler Benoît XVI, il l'a proclamé sans élégance, profitant de la courtoisie du visiteur contraint de ne pas faire de mise en point publique, mais il avait affaire à trop forte partie, et l'avenir dira qu'il a échoué.


Le pape veut clore le contentieux avec l'Islam

Ce fut une journée comme on en a peu vu dans l'histoire des voyages pontificaux. L'aéroport était désert, mardi 28 novembre, à Ankara, à l'arrivée de Benoît XVI. Les tireurs d'élite étaient plus nombreux que les officiels, les hymnes absents, les rues indifférentes.

Bien avant la polémique de Ratisbonne, on savait que la République laïque de Turquie et le Saint-Siège n'étaient pas les meilleurs amis du monde. Les prédécesseurs de Benoît XVI - Paul VI en 1967 et Jean Paul II en 1979 - en avaient fait l'expérience. Mais, confiait un cardinal qui avait fait les deux voyages précédents, "aujourd'hui, c'est pire". Le quotidien Sabah avait bien fait sa manchette par un insolite "Benvenuto", mais il ne fallait pas s'y méprendre : ce journal est le plus anti-islamiste de Turquie.

Pourtant, contre toute attente, la première journée du voyage de Benoît XVI en Turquie aura pratiquement éteint, au niveau officiel, l'incendie allumé, le 12 septembre, par le discours du pape sur l'islam à Ratisbonne. Toutes les équivoques ne sont pas levées, mais les entretiens qui ont eu lieu mardi à Ankara, sans excès de cordialité, ont témoigné d'une évidente volonté de mettre fin à un contentieux qui risquait de nuire à l'image d'une Eglise qui, depuis quarante ans, se veut celle du dialogue, et d'un pays candidat à l'Union européenne qui avait intérêt à ne pas prendre de haut "l'envoyé de la plus vieille administration du monde", comme dit un ambassadeur : ce que Recep Tayyip Erdogan, premier ministre turc, "avait mis trop de temps à comprendre".

M. Erdogan était donc bien là à l'aéroport. Et, en dix minutes, il dit avoir obtenu ce qu'il voulait de l'ex-cardinal Ratzinger dont on pensait, depuis un discours de 2004, qu'il était hostile à l'adhésion de la Turquie à l'Union européeenne : "J'ai demandé au pape son soutien sur notre chemin vers l'Europe", a-t-il indiqué.

Benoît XVI lui a répondu en substance que le Vatican n'avait aucune compétence sur cette question, mais, selon le porte-parole Federico Lombardi,qu' "il envisagerait de manière positive, et même encouragerait un chemin de rapprochement sur un fondement de valeurs communes". Le premier ministre turc pouvait s'envoler au sommet de l'OTAN à Riga avec le sentiment du service minimum accompli.

Mais le pape n'en avait pas fini sur l'Europe. Mardi soir, devant le corps diplomatique, il a rappelé l'exigence de la liberté religieuse - un des critères d'adhésion à l'Union - pour les minorités chrétiennes de Turquie, qui s'estiment marginalisées : "La Constitution turque reconnaît le droit de chaque citoyen à la liberté de culte et de conscience, a déclaré Benoît XVI. Mais les autorités de chaque pays démocratique ont le devoir de garantir la liberté effective de tous les croyants et leur permettre d'organiser leur vie en communauté librement."
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dans ses interventions d'Ankara, le pape aura aussi pris soin de rappeler les présupposés d'un tel dialogue : les religions doivent respecter "la légitime autonomie des choses temporelles". Il leur est interdit de vouloir exercer "un pouvoir politique direct". Le croyant doit "renoncer à justifier le recours à la violence comme expression légitime de la pratique religieuse". Autrement dit, le dialogue doit reprendre sur des bases saines et, si la polémique est éteinte, cette bataille n'est pas terminée.

Henri Tincq
Article paru dans l'édition du 30.11.06



Diplomatie papale

LE MONDE | 29.11.06

Juste avant d'atterrir à Ankara, mardi 28 novembre, Benoît XVI disait aux journalistes que son voyage en Turquie ne serait pas "politique". Il n'en a bien sûr rien été, et ce dès le premier jour. Dans le monde musulman, les braises allumées par ses mots malencontreux de Ratisbonne sur l'islam couvent encore et, à Istanbul, des extrémistes manifestent contre le pape le plus "antiturc" de l'histoire. Benoît XVI a rappelé d'emblée l'attachement de l'Eglise au dialogue avec l'islam. Et le premier ministre Erdogan a compris que son intérêt n'était pas de faire de mauvaises manières au pape, pour ne pas aggraver les réticences des pays de l'Union à l'égard de la Turquie.


La journée du pape à Ankara a utilement renouvelé le débat sur la place de la Turquie en Europe. Dans le climat tendu de cette visite, chaque mot de Benoît XVI était ciselé, chaque geste millimétré. La richesse de son histoire, sa situation de "pont" entre l'Occident et l'Orient, de "charnière" entre l'Europe et l'Asie, entre les cultures et les religions, font de la Turquie, a-t-il dit, un partenaire naturel de l'Union.

A première vue, c'est un revirement par rapport aux réticences que le cardinal Ratzinger avait exprimées en 2004 avant d'être élu pape : "Historiquement et culturellement, ce pays a peu à partager avec l'Europe." Le même se déclare prêt aujourd'hui à "encourager" la demande d'adhésion de la Turquie. Un soutien que M. Erdogan a apprécié. Le dialogue "vital" entre le christianisme et l'islam que Benoît XVI veut relancer va également dans le sens de cette "alliance des civilisations" pour laquelle milite le gouvernement turc avec des partenaires comme Kofi Annan ou l'Espagnol Zapatero.

Mais de quelle Turquie et de quelle Europe parle-t-on ? Sur cette question d'identité, le pape s'obstine. Il respecte la Turquie "laïque", se rend même au mausolée de Kemal Atatürk, le père de la Turquie moderne qui a eu comme "modèle" la France et sa Constitution laïque. Mais il distingue la laïcité et le "laïcisme", qu'il définit comme un système de séparation entre la sphère publique et des valeurs communes incluant la religion. Pour lui, la chance de la Turquie moderne, c'est le dialogue entre sa "tradition musulmane" et la "raison européenne".

La polémique de Ratisbonne a incité Benoît XVI à réfléchir sous un autre éclairage à la candidature européenne de la Turquie. Dans un pays laïque, à 99 % musulman, où la liberté de culte est reconnue, mais où les minorités chrétiennes réclament plus de liberté, le pape réclame une liberté religieuse "garantie institutionnellement et respectée effectivement". Une manière - qui ne plaira pas à Ankara - de rappeler que les critères d'adhésion dits de Copenhague comprennent le respect des minorités religieuses, et que c'est sur ce terrain aussi que sera attendue et jugée la Turquie.

Article paru dans l'édition du 30.11.06.



 

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