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LE PAPE ET LES MEDIAS
 

Il avait très clairement expliqué ses intentions, en répondant aux questions des journalistes ( Voyage en Turquie, J1 ) dans l'avion qui l'emmenait à Ankara (non sans humour, quand on compare ce qu'il dit attendre d'eux, et ce qu'ils font vraiment...). Il avait notamment clairement indiqué que son voyage n'était pas un voyage politique: ce qui n'a pas empêché les medias de se focaliser presque uniquement sur cet aspect, et de déformer obstinément ses propos, d'interpréter ses attitudes de façon erronée.

Les points essentiels, en dehors du dialogue avec les frères orthodoxes, qui était quand même LE but du voyage, et le plaidoyer répété en faveur de la liberté religieuse, apparaissent donc être, d'une part la rencontre avec une Turquie considérée par lui depuis toujours comme un pont entre l'Occident et le monde musulman, ce "dialogue entre la raison européenne et la tradition musulmane", qui nous invite à réfléchir symétriquement sur une définition de la laïcité, mise à mal des deux côtés pour des raisons opposées ( "Nous, Européens, devons repenser notre raison laïque, laïciste et la Turquie doit donc, à partir de son histoire, de ses origines, réfléchir avec nous sur la façon de reconstruire à l'avenir ce lien entre laïcité et tradition... "), d'autre par, la solidarité entre les croyants pour défendre le transcendant, contre notre raison matérialiste privée de lumière, et surtout, le fait de se rencontrer comme serviteurs de paix , [...] ce symbolisme de l'engagement pour la paix et la fraternité [qui] devrait être le résultat de ce voyage.
Dans ce voyage, le Saint-Père voulait être avant tout le messager de la paix


Un très bon éditorial de Valeurs actuelles analyse les enjeux du voyage, et l'attititude du Pape.
On peut ne pas souscrire à l'opinion selon laquelle "les infléchissements – sur la Turquie en Europe, sur les relations avec l’islam – auxquels ce voyage aura donné lieu peuvent nuire à la lisibilité de son message, qui donne parfois l’impression d’osciller au gré des nécessités de l’heure".

Il n'empêche que les exigences de la diplomatie étaient impératives, et, comme visiteur désireux d'obtenir des engagements concrets de la part de ses hôtes, Benoît ne pouvait s'y soustraire.


Le Saint-Père aux journalistes

RENCONTRE AVEC LES JOURNALISTES À BORD DE L'AVION, AVANT LE DÉPART POUR LA TURQUIE

SALUT DU SAINT-PÈRE

Aéroport de Rome-Fiumicino
Mardi 28 novembre 2006

Chers amis, journalistes, cameramen, je vous salue tous cordialement à bord de ce vol et je voudrais vous exprimer ma gratitude sincère pour le travail que vous accomplissez. Je sais qu'il s'agit d'un travail difficile, un travail qui s'exerce dans des situations souvent difficiles: donner des informations brèves sur des événements complexes et difficiles, faire une synthèse et rendre compréhensible l'essence de ce qui a eu lieu ou de ce qui a été dit. Tous les événements ne parviennent à l'humanité que grâce à votre médiation, et ainsi, vous accomplissez réellement un service de grande importance, pour lequel je vous suis reconnaissant. Nous savons que le but de ce voyage est le dialogue, la fraternité: un engagement pour la compréhension entre les cultures, pour la rencontre des cultures avec les religions, pour la réconciliation. Nous ressentons tous la même responsabilité en ce moment difficile de l'histoire et nous collaborons, et votre travail est d'une grande importance. C'est pourquoi je vous répète, une fois de plus, merci.

Q: Ce voyage qui commence aujourd'hui se présente, en raison des tensions qui s'ajoutent à son caractère oecuménique, comme l'un des plus délicats de l'histoire des voyages pontificaux modernes. Dans quel esprit l'affrontez-vous?

Je l'affronte avec une grande confiance et espérance. Je sais que de nombreuses personnes nous accompagnent par leur sympathie, par leur prière. Je sais également que le peuple turc est un peuple accueillant, ouvert, qui désire la paix. Je sais que la Turquie est depuis toujours un pont entre les cultures et qu'elle est également un lieu de rencontre et de dialogue. Je voudrais souligner qu'il ne s'agit pas d'un voyage politique, mais d'un voyage pastoral et, précisément en tant que voyage pastoral, il a comme définition caractéristique le dialogue et l'engagement commun pour la paix. Un dialogue qui revêt diverses dimensions: dialogue entre les cultures, dialogue entre christianisme et islam, dialogue avec nos frères chrétiens, en particulier l'Eglise orthodoxe de Constantinople, et, généralement, dialogue pour une meilleure compréhension entre nous tous. Naturellement, nous ne devons pas exagérer, on ne peut pas s'attendre à de grands résultats en trois jours, je dirais qu'il s'agit plutôt d'une valeur symbolique, le fruit des rencontres en tant que telles, des rencontres dans l'amitié et le respect, le fait de se rencontrer comme serviteurs de paix a son importance. Il me semble que ce symbolisme de l'engagement pour la paix et la fraternité devrait être le résultat de ce voyage.

Votre Sainteté, vous arrivez dans un pays marqué par de nombreuses tensions, mais également de nombreuses espérances qui souhaite devenir une nation européenne. Pensez-vous que l'Europe puisse apporter une aide à la Turquie afin que l'on puisse parler de façon plus consciente d'intégration, de respect des diverses identités culturelles et également religieuses?

Sans doute est-il utile de rappeler que le Père de la Turquie moderne, Kemal Atatürk, avait devant lui comme modèle de reconstruction de la Turquie la Constitution française. A l'origine de la Turquie moderne figure le dialogue avec la raison européenne et avec sa pensée, sa façon de vivre, pour être réalisé de façon nouvelle dans un contexte historique et religieux différent. Le dialogue entre la raison européenne et la tradition musulmane turque est donc inscrit précisément dans l'existence de la Turquie moderne et, dans ce sens, nous avons une responsabilité réciproque les uns envers les autres. En Europe, nous assistons au débat entre laïcité "saine" et laïcisme. Et il me semble précisément que cela est également important pour le véritable dialogue avec la Turquie. Le laïcisme, c'est-à-dire une idée qui sépare totalement la vie publique de toute valeur des traditions, est une impasse, une voie sans issue. Nous devons redéfinir le sens d'une laïcité qui souligne et conserve la véritable différence et autonomie entre tous les domaines, mais également leur coexistence, la responsabilité commune.

Ce n'est que dans le contexte de valeurs qui ont fondamentalement une origine commune, que la religion et la laïcité peuvent vivre, dans une relation féconde réciproque. Nous, Européens, devons repenser notre raison laïque, laïciste et la Turquie doit donc, à partir de son histoire, de ses origines, réfléchir avec nous sur la façon de reconstruire à l'avenir ce lien entre laïcité et tradition, entre raison ouverte, tolérante, qui a comme élément fondamental la liberté, et les valeurs qui confèrent son contenu à la liberté.
....
Et à présent, je vous demande pardon, car nous ne pouvons pas faire une véritable Conférence de presse, nous n'avons pas assez de temps, j'espère au moins avoir dit quelque chose qui puisse être utile.

Texte complet sur le Site du Vatican






Edito de Valeurs actuelles

Vatican-Turquie. Au-delà des raccourcis médiatiques…
Ce que Benoît XVI a vraiment dit
par Laurent Dandrieu

On l’avait dit pape de transition, incapable d’attirer sur lui les feux médiatiques comme naguère Jean-Paul II, et Benoît XVI n’a cessé de faire la une de l’actualité. On avait cru à un doctrinaire rigide et austère, et on a découvert un timide qui gagne facilement le cœur de ceux qu’il rencontre. On avait décrit un théologien reclus au Vatican, gaffeur et incapable d’affronter les subtilités du monde moderne, et aujourd’hui se révèle un diplomate habile, capable de se tirer à son avantage des situations les plus périlleuses.
Le voyage de Benoît XVI en Turquie était par essence périlleux. Il l’avait lui-même rendu plus délicat encore par quelques phrases extraites de sa conférence de Ratisbonne, le 12 septembre dernier, sur les rapports de l’islam à la violence. Les islamistes avaient menacé, les nationalistes, furieux d’une déclaration de 2004 du cardinal Ratzinger contre l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, avaient tempêté, un romancier avait bâti un best-seller express en imaginant l’assassinat du pape lors de sa visite, le premier ministre Recep Tayyip Erdogan avait annoncé qu’un calendrier trop chargé l’empêcherait de le rencontrer… Malgré tout, la visite de Benoît XVI en Turquie, du 28 novembre au 1er décembre, aura été, sinon un triomphe, du moins un succès réel.
L’accueil aura été beaucoup moins glacial que prévu. Les islamistes, qui avaient espéré un million de personnes dans la rue pour protester contre la venue du pape, n’ont réussi à en rassembler que 20 000, le 26 novembre. Le séjour de Benoît XVI s’est déroulé sans incident, à peine troublé par des manifestations qui n’ont jamais réuni plus de quelques dizaines de personnes.
Une partie de la population semble avoir été séduite par le ton modéré du pape, bien loin du pourfendeur de l’islam qu’elle s’attendait à trouver, par son attitude modeste et souriante, et par les quelques gestes qu’il a su faire pour détendre l’atmosphère, comme ce drapeau turc brandi à Éphèse, cette simple phrase, reprise à Jean XXIII, qui fut nonce à Ankara : « J’aime les Turcs », ou encore ses excuses au peuple turc… pour les embarras de circulation causés par sa visite. Benoît XVI
a emporté l’approbation de certains médias, comme le journal libéral Radikal, qui voit en lui « un ami de la Turquie », le quotidien populaire Posta, qui a titré en une « Le Pape gagne le cœur des Turcs », ou le quotidien pro-islamiste Yeni Safak, dont l’un des chroniqueurs est allé jusqu’à écrire : « J’ai adoré ce pape. »
Si Benoît XVI n’a évidemment pas déplacé les foules dans un pays à 99 % musulman, les médias locaux notaient que la retransmission télévisée de son voyage aura été suivie attentivement par des millions de Turcs.
Certes, les propos prêtés au pape sur l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne auront beaucoup fait pour alléger le climat. Dans l’avion le conduisant à Ankara, Benoît XVI avait précisé : « Ce n’est pas un voyage politique mais pastoral ». Ce qui n’a pas empêché Recep Erdogan, qui s’est rendu compte in extremis que boycotter le pape ne pouvait manquer de desservir la cause de la Turquie, de déclarer à l’issue de leur entretien, le 28 novembre : « Il a dit : Nous voulons que la Turquie fasse partie de l’Union européenne. » Paroles rapidement devenues vérités d’évangile pour les médias avides de revirements spectaculaires. Le musulman Erdogan, qui, la veille encore, envisageait de boycotter le pape, était devenu tout à coup son porte-parole officiel !
La vérité est évidemment plus complexe. Si Benoît XVI ne pouvait pas contredire son hôte dès le début d’un voyage empli de tensions, il n’a pas prononcé un mot pour confirmer ses dires. Quant à son porte-parole au Vatican, le père Federico Lombardi, il a précisé : « Le Saint-siège n’a ni le pouvoir ni la charge d’intervenir sur le point précis de l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne. Cela n’est pas de son ressort. Cependant, il regarde positivement et encourage le chemin de dialogue, de rapprochement et d’insertion dans l’Europe sur la base de valeurs et de principes communs. » Si l’on est loin du plaidoyer pour l’adhésion de la Turquie décrit par Erdogan, reste que cette déclaration du père Lombardi représente un infléchissement de la position de Benoît XVI : mais le pape, chef de la diplomatie vaticane, ne peut tenir des propos aussi abrupts que le cardinal Ratzinger – ce qui ne signifie pas que son sentiment se soit modifié.
Quels sont ces principes et ces valeurs ? Dans sa déclaration commune avec le patriarche Bartholomée Ier, le pape cite au premier rang de ceux-ci « la liberté religieuse, témoin et garante du respect de toute autre liberté. Dans chaque initiative d’unification, les minorités doivent être protégées, avec leurs traditions culturelles et leurs spécificités religieuses. » Au cours de son voyage, Benoît XVI a eu l’occasion de constater que c’est loin d’être le cas en Turquie, où les chrétiens se voient refuser, au nom d’une laïcité à géométrie variable, toute existence juridique – le pape a obtenu du gouvernement turc l’ouverture de négociations sur ce thème. Il y est revenu à maintes reprises au cours de ce voyage. Manière aussi pour lui de marquer que les conditions de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, quoique l’on pense de ce processus, sont de toute façon loin d’être remplies.
À plusieurs reprises également, le pape a insisté sur les racines chrétiennes de l’Europe, et rappelé la voie étroite entre laïcité et laïcisme. Benoît XVI, qui a rendu visite au mausolée du fondateur de la Turquie laïque, Kemal Atatürk, a une fois de plus distingué le laïcisme, « une voie sans issue » qui « sépare totalement la vie publique de toutes les valeurs de la tradition », et la laïcité, « distinguant clairement la société civile et la religion, afin de permettre à chacune d’être autonome dans son domaine propre, tout en respectant la sphère de l’autre ». C’est avec cette laïcité qu’il a mis l’islam au défi de se confronter.
Ce dialogue avec l’islam fut le second axe de ce voyage. La visite de Benoît XVI à la Mosquée bleue a fait couler beaucoup d’encre. Cette visite était la seconde du genre, après celle, en 2001, de Jean-Paul II à la mosquée des Omeyyades à Damas (ancienne basilique chrétienne, celle-ci abrite le tombeau de saint Jean-Baptiste, ce qui donnait un prétexte chrétien à cette visite), mais elle revêtait une dimension particulière, quelques mois après la controverse de Ratisbonne.
Des journalistes pressés ont prétendu que le pape se serait tourné vers La Mecque pour prier, quand, soucieux d’éviter tout syncrétisme, il n’a fait que respecter un temps de silence et de méditation alors que son hôte, le grand mufti d’Istanbul, effectuait pour sa part une prière devant la niche qui indique la direction de La Mecque.
Ce geste aura néanmoins permis à Benoît XVI de réaffirmer « toute son estime pour les croyants musulmans », tout en développant un discours en deux axes : solidarité entre les croyants, mais exigence de réciprocité dans la tolérance. Le pape a repris le discours cher à Jean-Paul II sur la collaboration des grandes religions monothéistes en faveur « du caractère sacré et de la dignité de la personne » et de la reconnaissance de la transcendance. Comme en écho à sa conférence controversée de Ratisbonne, Benoît XVI a cité un autre dialogue médiéval : « Il me plaît de citer quelques paroles adressées par le pape Grégoire VII, en 1076, à un prince musulman nord-africain, qui avait agi avec grande bienveillance envers les chrétiens placés sous sa juridiction. Le pape Grégoire VII parla de la spéciale charité que chrétiens et musulmans se doivent réciproquement, parce que “nous croyons et confessons un seul Dieu, même si c’est de manière différente, chaque jour nous le louons et vénérons comme créateur des siècles et gouverneur de ce monde”. » Mais ce fut pour rappeler aussitôt l’exigence d’un dialogue en vérité.
Le pape n’a pas non plus manqué de rappeler que la liberté religieuse suppose que les religions « renoncent absolument à cautionner le recours à la violence comme expression légitime de la démarche religieuse ». Ceux qui ont présenté cette visite comme un démenti de Ratisbonne en sont pour leurs frais.
Comme Jean-Paul II avant lui, Benoît XVI se soucie peu des inévitables raccourcis journalistiques, de la déformation médiatique qui détourne le sens de ses paroles et de ses gestes : il trace sa route – et que ceux qui ont des oreilles entendent.
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Les infléchissements – sur la Turquie en Europe, sur les relations avec l’islam – auxquels ce voyage aura donné lieu peuvent cependant nuire à la lisibilité de son message, qui donne parfois l’impression d’osciller au gré des nécessités de l’heure. Benoît XVI n’en a pas moins considéré qu’ils étaient indispensables sur le plan diplomatique, commandés par ce qui fut probablement le principal souci de Benoît XVI durant cette visite en Turquie : la survie des communautés chrétiennes.
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Car c’est à l’invitation du patriarche de Constantinople Bartholomée Ier qu’avait répondu Benoît XVI. Les deux hommes se sont vus à plusieurs reprises et ont signé une déclaration qui a rappelé l’urgence d’un rapprochement des chrétiens face à « la montée de la sécularisation, du relativisme, voire du nihilisme », malgré les divergences persistantes. Aucun progrès décisif n’a été accompli. Mais la visite aura contribué au réchauffement des relations entre catholiques et orthodoxes ; elle sera suivie de la première visite officielle au Vatican du primat de l’église orthodoxe grecque, S. B. Christodoulos, du 13 au 15 décembre.
Cette attention prêtée aux communautés chrétiennes turques peut paraître dérisoire au regard de leur importance numérique : 100 000 chrétiens au total, dont seulement 15 000 catholiques. Mais le nombre n’est rien en regard de l’importance symbolique et spirituelle d’Églises qui témoignent de l’universalité du christianisme et incarnent un lien physique avec ses origines, en ces lieux mêmes où s’opéra la fusion « entre le message biblique et la pensée grecque », qui constitua l’axe du discours de Ratisbonne.
À Éphèse, haut lieu de l’apostolat de saint Paul, c’est ce lien que Benoît XVI a voulu célébrer en visitant la maison où vécut la Vierge Marie, en cette ville où un concile, en 431, a défini la maternité divine. En y rappelant le martyre du père Santoro, assassiné le 5 février en Anatolie, comme en évoquant la difficile survie des chrétiens en terre d’islam, le pape a voulu souligner que l’avenir des chrétiens d’Orient engage toute l’Église.

Laurent Dandrieu



Le récit de Famiglia Cristiana | Nouveau primat de Pologne