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LA LEÇON DE RATISBONNE: ANALYSE DE SANDRO MAGISTER
 

Sandro Magister est "journaliste spécialiste du Vatican à l’hebdomadaire italien de gauche L’Espresso", selon la définition de Pélerin Magazine, pour qui cette collaboration à la presse "de gauche" est certainement un brevet de respectabilité.
Il tient par ailleurs un blog de haute tenue, très bien documenté, car il ne semble pas avoir usurpé sa réputation de "vaticaniste"; et même si on y devine que Benoît XVI lui inspire du respect et de la sympathie, on peut difficilement le soupçonner de céder à la papolâtrie.

Il livre ici sur "la leçon de Ratisbonne", le plus remarquable commentaire que j'ai pu lire. Ce n'est pas forcément le commentaire d'un chrétien (même s'il rejoint sur beaucoup de points l'analyse de Pierre Charles Aubrit Saint-Pol) ce qui finalement ne lui donne que plus de poids, mais c'est celui d'un homme sensé et cultivé, qui connaît l'islam, connaît la période à laquelle a vécu l'empereur Byzantin dont les propos dans la bouche du Saint-Père ont mis le feu aux poudre (ça me paraît important, car le parallèle avec la situation actuelle, alors que "les barbares assiégeaient Constantinople" ne doit rien au hasard), et regarde la situation actuelle avec les yeux de la lucidité.
Après avoir briévement évoqué les intrigues de la Curie (ce n'est pas le plus intéressant), et observé que la crise, tout en mettant en évidence la solitude du Saint-Père au sein de l'apprareil Vatican , marque une rupture définitive avec la RealPolitik chère aux derniers pontifes, de Pie XII à Jeann-Paul II, il remarque que le choix de la citation qui sert de fil conducteur à la méditation de Benoît XVI n'a absolument pas été fait par hasard, mais bien en toute connaissance de cause.
Il pense que le Saint-Père veut placer l'islam en face de ses responsabilités, en lui demandant "de fixer lui-même une limite au jihad... de dissocier la violence de la foi, comme il est prescrit dans le Coran... de relier au contraire à nouveau la foi à la raison ... seule voie qui permettrait à l'interprétation islamique du Coran, de se libérer des paralysies du fondamentalisme, et de l'obssession du jihad...seul terrain pour un dialogue véridique du monde musulman avec le christianisme et l'occident".
Il souligne, mais c'est une évidence, que, chez le Saint-Père, le théologien est indissociable du pasteur. Ce qui invalide une des "plaidoieries" lue abondamment dans la presse la moins hostile: "il s'agissait d'un discours scientifique, tenu devant un public d'initiés, et donc nullement destinée à être jetée en pâture au grand public". J'y ai moi-même cru, mais c'est évidemment faux, d'autant plus que la conférence a pu être vue en direct dans le monde entier via CTV et la télévision allemande, et le Saint-Père le savait!

Enfin, il conclut sur une note d'espoir mitigé: "Benoît XVI est confiant. Il n'aurait pas osé autant s'il ne croyait pas en une réelle possibilité que la pensée islamique s'ouvre à une nouvelle interprétation du Coran, qui marie foi, raison et liberté", tout en déplorant la grande solitude du pontife courageux et visionnaire, à la fois dans l'Eglise et dans le monde politique.

Texte original en italien ici: http://www.chiesa.espressonline.it/dettaglio.jsp?id=85302
Ma traduction en français (j'ai rajouté des titres de paragraphe):


Pourquoi Benoît XVI n'a pas voulu se taire...

... ni retirer quoi que ce soit.
Sandro Magister, 22 septembre 2006

La magistrale leçon du pape théologien, à la chaire de l'université de Ratisbonne, a vraiment donné des frissons au monde. Parce que ce que le Pape a dit est réellement advenu.
Le Pape a expliqué la distance entre le Dieu des chrétiens, qui est amour, immolé en Jésus sur la croix, mais qui est aussi "Logos", càd raison, et le Dieu adoré par l'islam, si transcendant et sublime qu'il n'est plus lié à rien, pas même à cette raisonnable assertion selon laquelle il ne doit y avoir "aucune contrainte en matière de foi".. C'est ce que le Coran écrit, dans la sourate rappelée par le pape, mais il écrit plus loin autre chose, et même le contraire. Et la violence qui s'est emparée du monde musulman contre le pape et les chrétiens confirme qu'il faut aussi en tenir compte, que cela donne forme et substance au regard que les myriades de fidèles d'Allah jettent sur le monde des infidèles.

L'autre aspect du discours du Pape Joseph Ratzinger à Ratisbonne, c'est le sang versé à Mogadiscio la musulmane, par Soeur Leonella Sgorbati, femme voilée mais libre, une martyre dont les derniers mots ont été pour ses assassins "je pardonne".
En réalité, la plus grande partie de la leçon de Benoît XVI à Ratisbonne s'adressait au monde chrétien, à l'Occident et à l'Europe, à ses jugements si péremptoires, trop même, à sa raison dépouillée au point d'avoir perdu la "crainte de Dieu". Mais là aussi, les paroles du Pape ont trouvé leur confirmation dans les faits: simultanément avec la montée de la violence verbale et physique de la part des musulmans, de l'autre côté, celui qui était théoriquement le sien, le pape a été mitraillé d'un feu incessant venant de ses propres rangs. Et de même que les doctes compagnons de Job le rendaient responsable de leurs malheurs, autour de Benoît XVI, ce fut un véritable tourbillon de conseils et de reproches du même genre.

Intrigues au Vatican

Et il en a été ainsi jusqu'au Vatican. Benoît XVI a eu la chance d'introniser un nouveau secrétaire d'état, et un nouveau ministre des affaires étrangères, tous deux parmi ses fidèles très proches, précisément le jour où a commencé l'attaque musulmane contre lui, le vendredi 15 septembre, alors qu'il était à peine rentré de son voyage en Bavière. Mais la bronca de ceux qui, à la curie, lui sont hostiles, ne s'est pas calmée pour autant. Passe encore pour le nouveau ministre des affaires étrangères, l'archevêque corse Dominique Mamberti, qui a été nonce au soudan et en Somalie, et auparavant à Alger et en Arabie Saoudite, et qui est donc un connaiseur direct du monde arabe et musulman, versé dans l'art de la diplomatie. Mais la nomination comme nouveau secrétaire d'état du Cardinal Tarcisio Bertone, cela, non, ils ne lui ont pas pardonné, le fait que Bertone ne soit pas un diplomate de carrière mais un homme de doctrine et un pasteur d'âmes se retourne encore davantage contre le Pape, comme preuve de son incapacité sur la scène politique mondiale.
En Bavière, en attendant la passation de pouvoir, c'est le secrétaire d'état sortant, qui accompagnait Benoît XVI, le cardinal Angelo Sodano, toute une vie passée dans la diplomatie. Mais le pape s'est bien gardé de lui faire contrôler par anticipation, la leçon qu'il s'apprêtait à dispenser à Ratisbonne. Des blocs entiers du texte auraient été censurés, si le critère suprême retenu avait été cette Realpolitik dont se nourrit la diplomatie vaticane de Sodano et de ses pareils.

Fin de la RealPolitik? Et ses limites...

Pour Benoît XVI aussi, pourtant, le réalisme dans les rapports entre l'Eglise et les états est une valeur. Cela a été le cas au XXème siècle, avec le nazisme allemand, et le communisme soviétique. Les silences controversés du pape Pie XII face au nazisme, puis ceux de Jean XXIII et du Concile Vatican II avec le communisme, avaient certes de fortes raisons, en premier lieu la défense des victimes de ces systèmes eux mêmes,
Mais aujourd'hui, on exige un même silence de la part de Benoît XVI dans ses rapports avec le nouvel adversaire, l'islam: un silence auquel on donne souvent le nom de dialogue. Papa Ratzinger ne l'a pas respecté?
Et voilà les protestations de l'islam "offensé": menaces, cortèges, incendies de son effigie, gouvernements qui exigent des rétractations, ambassadeurs rappelés, églises incendié, une relieuse assassinée. De tout cela, on attribue au pape sa part de responsabilité. Tandis qu'à l'inverse, on béatifie post-mortem son prédecesseur Jean-Paul II, qui priait gentiment à Assise avec les mollah musulmans, et, alors qu'il visitait à Damas la mosquée des Omayyadi, écoutait en silence les invectives lancées par ses hôtes contre les perfides juifs. Aucune fatwa ne commanda alors d'abattre les murs du Vatican, ni d'égorger le pape Karol Wojtyla. Ali Agca, qui tira sur lui n'était qu'un musulman d'occasion, l'assassinat avait été ourdi en terre chrétienne.
Benoît XVI ne nie pas sa juste valeur au réalisme politique. Le secrétariat d'état a mobilisé le maillage de ses nonciatures afin de tenir à la disposition des gouvernements le texte intégral de la leçon de Ratisbonne, ainsi que la note officielle d'explication diffusée le dimanche 16 septembre par le cardinal Bertone, et les justifications de l'Angelus du dimanche 17 faites par le Pape en personne. Fin septembre, les ambassadeurs des pays à majorité musulmane seront convoqués au Vatican pour détendre la situation. Et le conseil pontifical pour la culture, présidé par le cardinal Poupard, prépare une rencontre avec les représentants religieux de l'islam.
Mais pour Benoît XVI , le réalisme n'est pas tout. Le dialogue qu'il veut nouer avec l'islam n'est pas fait de lâches silences et d'embrassades solennelles. Il n'est pas fait d'humiliations qui, dans le camp musulman, sont interprétés comme des actes de soumission. La citation qu'il a faite à Ratisbonne du "Dialogue avec un mahométan" écrit à la fin du XIVème siècle par un chrétien, l'empereur byzantin Manuel II Paléologue, il l'avait pas choisi en connaissance de cause. On est en guerre, Constantinople est assiégée, et d'ici un demi-siècle, en 1453, elle sera tombée sous domination ottomane. Mais l'érudit empereur chrétien entraîne son interlocuteur persan sur le terrain de la vérité, de la raison, de la loi, de la violence tout ce qui fait la différence entre la foi chrétienne et l'islam, sur ces questions essentielles dont découle la guerre ou la paisx entre deux civilisations.

Mettre l'Islam face à ses responsabilités

Les temps actuels aussi sont considérés par Papa Ratzinger comme porteurs de guerre, et de guerre sainte. Mais il demande à l'islam de fixer lui-même une limite au jihad. Il propose aux musulmans de dissocier la violence de la foi, comme il est prescrit dans le Coran. Et de relier au contraire à nouveau la foi à la raison parce que "agir contre la raison est en contradiction avec la nature de Dieu"

A Ratisbonne, le pape a exalté la grandeur de la philosophie grecque, celle d'Aristote et de Platon. Il a montré qu'elle était parie intégrante de la foi biblique et chrétienne dans le Dieu qui est "Logos". Et même cela, il l'a fait en connaissance de cause. Quand le Paléologue discutait avec son interlocuteur persan, la culture islamique venait de sortir de sa période la plus féconde, celle qui avait vu la greffe de la philosophie grecque sur le tronc de la foi coranique. En demandant aujourd'hui à l'islam de rallumer la lumière de la raison aristotélicienne, Benoît XVI ne demande pas l'impossible. L'islam a eu son Averroè, le grand commntateur arabe d'Aristote, dont un géant de la théologie catholique comme Thomas d'Aquin fit son miel. Un retour aujourd'hui à la synthèse entre foi et raison est la seule voie qui permettrait à l'interprétation islamique du Coran, de se libérer des paralysies du fondamentalisme, et de l'obssession du jihad. C'est le seul terrain pour un dialogue véridique du monde musulman avec le christianisme et l'occident.

A l'Angelus du dimanche 17 septembre, repris en direct même par la chaîne Al Jazira, Benoît XVI a dit son regret que sa leçon ait été à ce point mal interprétée. Il a dit qu'il ne partageait pas l'opinion de Manuel II Paléologue dans le passage cité par lui, selon lequel, dans tout ce que Mahomet a apporté avec lui, "tu ne trouveras que des choses méchantes et inhumaines, comme l'injonction de défendre la foi au moyen de l'épée". Mais il ne s'est excusé de rien, il n'a pas retiré une seule ligne.

Pour lui, la leçon de Ratisbonne n'était pas un exercice académique. Là, il n'a pas abandonné les habits du pape pour parler seulement dans le langage sophistiqué du théologien devant un auditoire composé uniquement de spécialistes. En lui, le pape et le théologien sont une seule et même personne. Le cardinal Camillo Ruini qui, plus que tous les autres dirigeants de l'Eglise a compris l'essence de ce pontificat, a dit le lundi 18 septembre devant les évêques italiens que "les coordonnées (lignes) fondamentales du message que Benoît XVI propose à l'Eglise et au monde se trouvent dans ces trois textes: l'encyclique "Deus Caritas es", le discours à la curie romaine du 22 décembre 2005, et, dernier, mais pas le moindre "la splendide leçon de Ratisbonne".

Benoît XVI est confiant. Il n'aurait pas osé en faire autant s'il ne croyait pas en une réelle possibilité pour que la pensée islamique s'ouvre à une nouvelle interprétation du Coran, qui marie foi, raison et liberté.
Pourtant, trop faibles et rares, presque introuvables, sont les voix qui, dans le monde musulman, ont accueilli son offre de dialogue. Et le pape est trop seul, dans cette Europe perdue, qui ressemble de plus en plus à l'Eurabia décrite par Oriana Fallaci, une "athée chrétienne", qu'il a lue, rencontrée et estimée. Et puis, il y a la violence qui retombe sur les chrétiens en terre d'islam, et même au delà. Quitte, pour faire taire le Pape à tuer les siens, et ce d'autant plus qu'ils sont innocents, une soeur, une femme.


Confirmation dans les medias étrangers

Information trouvée sur le site italien Dagospia sous la plume d'Elmar Burchia (ma traduction en français)

ISLAM: LE PAPE SAVAIT A QUOI IL S'EXPOSAIT
[..]

"Montre-moi ce que Mahomet a apporté de nouveau...."
C'est cette citation de l'empereur byzantin Manuel Paléologue II, insérée dans le discours du pape à l'Université de Regensburg du 12 septembre dernier, qui a provoqué la réaction indigné du monde islamique et le silence de la classe politique internationale, contraignant le Saint-Père à se "justifier" à plusieurs reprises lors des jours précédents. Et après son "regret" d'avoir été "mal compris", Papa Ratzinger ouvre à présent les portes à une rencontre avec le monde islamique.

Serait-ce un pas en arrière du souverain pontife qui, de cette manière, voudrait réparer ses torts?
Il semblerait que non.
En fait, le dernier numéro de l'hebdomadaire allemand "Focus" nous apprend que, selon des sources vaticanes (?) un proche collaborateur de Ratzinger aurait "vivement conseillé au Saint-Père de retirer les passages incriminés du discours de Ratisbonne". Passages que, pourtant, le Saint-Père a tenu à tout prix à citer.
En somme, tout aurait été calculé, avant le voyage en Allemagne. Aucun lapsus, aucun malentendu. Ces citations sur l'islam et la violence étaient, selon Focus, déjà prévues.
Le but? Selon les sources de l'hebdomadaire, , cela n'a jamais été un secret que papa Ratzinger souhaite alimenter un débat , y compris auto-critique, soit entre les religions, soit entre la raison moderne, la foi des chrétiens et la violence. Poser sur le tapis la difficile et problématique question "islam-religion chrétienne", même de manière brutale.
Selon Focus, le pape théologien Benoît XVI savait à quoi s'en tenir sur les réactions de violence et de contestation à son discours.


 

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