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Henri Tincq, juste avant l'arrivée du Pape: pour une fois, un article - presque - difficile à critiquer. (9/9/2008)


Les choses seraient-elles en train de changer?
Déjà, le dernier article du Figaro m'avait donné cette impression. (Le Pape renoue avec la liturgie traditionnelle )
Il est clair que, deux jours avant que le Saint-Père ne touche le sol de France, on ne peut plus écrire absolument n'importe quoi sur son compte, car la vérification en grandeur nature est trop imminente, et il ne faut pas risquer de se discréditer. C'est précisément ce que signifie la conclusion:
"... les stéréotypes (ndr: encore, et toujours!) pourraient être levés, pour peu que la France apprenne à connaître ce pape intellectuel, clair, et d'une liberté déconcertante".

Je n'arrive pas à expliquer autrement le ton modéré, et même assez bienveillant de cet article, même si on n'échappe pas à quelques petites pointes acerbes et très contestables, comme la sempiternelle allusion à Ratisbonne.

Au passage, Henri Tincq nous informe de la parution d'un nouveau livre sur Benoît XVI (décidément, le contexte éditorial....): Le Moment Benoît XVI de Philippe Levillain. Je vais m'informer.


Jean Paul II, Benoît XVI et la France, par Henri Tincq
LE MONDE| 09.09.08 |

Jean Paul II avait un rapport charnel à la France. Jeune prêtre polonais, il était venu dans l'Hexagone pour étudier l'expérience des prêtres-ouvriers qui le fascinait. Hanté par la déperdition de la foi dans un pays de martyrs, de missionnaires et de saints, il était venu à sept reprises en France, pays le plus visité par lui après la Pologne. Il éprouvait pour elle une sorte d'amour contrarié. "France, qu'as-tu fait des promesses de ton baptême ?" : dès son premier voyage, en 1980 à Paris, la distance sautait aux yeux entre la "fille aînée", devenue la belle endormie de l'Eglise, et ce pape de culture slave, héraut d'un catholicisme populaire et traditionnel.

Lisieux, Lourdes, Saint-Denis, Reims, Paray-le-Monial, l'Alsace et la Lorraine, la Bretagne et la Vendée : la France laïque peina longtemps à comprendre le sens de cette traversée des lieux de mémoire chrétienne et de cette dévotion pour des figures - Thérèse de Lisieux, Bernadette Soubirous, le curé d'Ars, Grignon de Montfort - convoquées par ce pape comme témoins des racines chrétiennes de la France. Il faudra le rayonnement international de Jean Paul II pour que le courant se mette à passer entre ce pape et un Hexagone sceptique.

Benoît XVI a un rapport plus intellectuel que charnel avec la France. Lui aussi est francophone et francophile, mais plus proche d'un Paul VI pétri de culture française, familier des Maritain, Guitton, Daniélou, que Jean Paul II nourri plutôt de culture allemande. Il connaît ses auteurs (Claudel, Mauriac, Bernanos, Péguy), compte en France des réseaux intellectuels, s'est servi de tribunes aussi prestigieuses que Notre-Dame de Paris, la Sorbonne, l'Académie des sciences morales et politiques dont il est membre associé. Le choix qu'il a fait - outre le passage obligé à Lourdes - de recevoir à Paris, le 12 septembre, 700 intellectuels et de se rendre sous la Coupole ne laisse pas de doute sur le sens premier de son voyage : interpeller la France sur la crise de la foi dans la culture sécularisée.

Ce pape est mal connu, incompris, comme dit la "vaticaniste" de La Croix Isabelle de Gaulmyn - Benoît XVI, le pape incompris. La comparaison ne sera pas évitée avec son prédécesseur. On opposera le Prophète et le Docteur.
Le prophète Jean Paul II, capable de parler au monde le verbe haut, de contribuer à la chute du communisme, de pourfendre la logique de classe du capitalisme, de tendre la main aux autres religions. (...)
Le docteur de la foi, c'est Joseph Ratzinger. Une tâche plus aride. Cet homme a étudié, enseigné, lu les auteurs les plus difficiles, écrit avec abondance, donné des conférences, corrigé des théologiens. Devenu pape, il ne s'est pas départi de sa nature profonde : la pudeur, la timidité, la réserve. Ce qui ne signifie pas laxisme et faiblesse et n'exclut pas une naïveté de professeur, obligé de se rétracter après le discours de Ratisbonne qui a enflammé le monde musulman, ou celui d'Aparecida au Brésil, où il avait déclaré que "l'évangélisation de l'Amérique n'a comporté, à aucun moment, une aliénation des cultures précolombiennes".

Trois ans après son élection, Benoît XVI a trouvé sa place et il la tient avec une liberté désarmante : non pas celle de mauvaise copie de l'original Jean Paul II, mais d'un pape qui fait ce qu'il sait faire, dit ce qu'il a à dire, gère son temps avec parcimonie (il a 81 ans), renonce à des ambitions démesurées comme la réforme de la Curie. Jean Paul II a donné une "visibilité" au catholicisme. L'ombre tutélaire s'éloignant, Benoît XVI ramène l'exercice de sa fonction à "l'essentiel". Il gouverne sans stratégie de communication, veille à l'unité et enseigne la foi, comme le montrent ses "catéchèses" très courues chaque mercredi sur la place Saint-Pierre.


LIBERTÉ DÉCONCERTANTE

Cette liberté s'exprime dans la moindre fréquence de ses voyages et de ses écrits. Dès octobre 2006, il avait dit que sa mission n'était pas de "promulguer" de nouveaux documents, mais de faire en sorte que ceux de son prédécesseur soient "assimilés". Ses premiers voyages dans son Allemagne natale et la Pologne de son prédécesseur relevaient de l'évidence. Aux Etats-Unis et au Brésil, ils étaient souhaités par des Eglises en crise, l'une frappée par le scandale des prêtres pédophiles, l'autre par la concurrence du mouvement évangélique. Son récent déplacement à Sydney (Australie) faisait partie de l'exercice imposé des Journées mondiales de la jeunesse (JMJ).

Ce pape n'abuse pas non plus des encycliques qui, selon la tradition romaine, sont des "lettres" dictées par une situation pressante. Bien accueillies, ses deux encycliques sur l'amour (Ubi Caritas est) et sur l'espérance (Spes Salvi) ressemblent plutôt à des conférences. La troisième sur la "mondialisation", souvent annoncée, est toujours repoussée. Il préfère des oeuvres plus personnelles comme ce Jésus de Nazareth, signé Joseph Ratzinger-Benoît XVI, dont le succès a déchaîné une tempête : "C'est la première fois dans l'histoire de la papauté qu'un pontife mettait sur la place publique un ouvrage qu'il ne marquait pas du sceau de son magistère", écrit Philippe Levillain dans Le Moment Benoît XVI ...
Cette liberté qu'il revendique pour lui, Benoît XVI l'attribue à son proche entourage. Il met en oeuvre une "dyarchie" qui a peu de précédents au sommet de l'Eglise. Au pape, la prédication et les grands dossiers comme la réconciliation avec les catholiques traditionalistes, la relance du dialogue avec l'orthodoxie russe ou avec la Chine. Au numéro deux, le secrétaire d'Etat Tarcisio Bertone, la diplomatie, la gestion de la Curie, les voyages à l'étranger, les rencontres avec des leaders politiques et religieux ou des groupes de fidèles que Benoît XVI ne reçoit plus. (..)

La première visite comme pape de Benoît XVI dans l'Hexagone s'annonce difficile, parce que l'Eglise de France y est, comme on dit à Rome, au bord de l'"effondrement". Parce que c'est en France que la pression des catholiques intégristes se fait la plus forte. Parce que ce pays reste traversé par des sursauts "laïcistes".
Mais, comme pour Jean Paul II, les stéréotypes pourraient être levés, pour peu que la France apprenne à connaître ce pape intellectuel, clair, et d'une liberté déconcertante.