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D'aucuns pourraient y voir un sujet de satisfaction. Pas John Allen, qui a consacré deux articles à ce sujet. (20/9/2008)

Accueillant le Saint-Père sur l'Esplanade des Invalides, le 12 septembre, le cardinal Vingt-Trois a prononcé avant la messe ces paroles, qu'il est permis de trouver surprenantes, voire déplacées, dans ce contexte.
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Comme d'autres pays d'Europe occidentale, la France, et particulièrement Paris et sa région, sont un véritable carrefour des peuples et des nationalités. Ici, les Églises chrétiennes des rites orientaux sont largement représentées : arméniens, ukrainiens, maronites, coptes, syriaques, chaldéens, et grecs-melchites, grecs catholiques roumains et russes, constituent en France des communautés vivantes. Mais ici aussi se rejoignent de nombreux immigrés des cinq continents : européens de différents pays, océaniens, américains, africains et asiatiques sont rassemblés dans plus de cinquante communautés nationales.
Certains sont immigrés depuis plusieurs générations et très enracinés dans notre société française, d'autres sont arrivés plus récemment. Beaucoup parmi eux ont du quitter leur pays, leur maison et leur famille, chassés par la guerre ou la répression politique ou tout simplement par la misère économique. Nos communautés chrétiennes sont heureuses de les accueillir et de les aider à trouver leur place parmi nous, comme ils ont leur place à la table eucharistique. Nous voulons aussi que notre pays contribue de manière significative et durable au développement de leurs pays d'origine et à leur assainissement politique, de façon qu'ils puissent retrouver leurs familles quand ils le souhaiteront.
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Le Saint-Père ne lui a pas directement répondu... à mon grand soulagement. Il est bien trop subtil pour cela. Après tout, il venait pour s'adresser en premier aux catholiques (le "premier cercle", auquel il avait fait allusion après son voyage en Turquie). Et Dieu sait combien les catholiques, en France, avaient besoin de ses encouragements.
Une allusion plus appuyée à l'immigration musulmane aurait été impensable de sa part.
Mais manifestement, John Allen (qui ne vit pas en France!!) a du mal à le comprendre.
Il a consacré à cet "oubli" papal pas moins de deux articles, que charitablement je préfère qualifier de maladroits, car bien propres à faire naître une inutile polémique.
Leur intérêt est qu'ils permettent d'entrevoir comment nous sommes perçus à l'étranger, surtout quand la situation de notre pays n'est pas vraiment connue.

Texte en anglais sur le site de NCR.

Ma traduction


Pope in France: No reference to Muslims, but a call to resist 'disaster for humanity'
12 septembre
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http://ncrcafe.org/node/2103

Il y a juste deux ans aujourd'hui, le pape Benoît XVI a prononcé lors d'un voyage à l'étranger un discours, présenté comme une adresse au monde de la culture, qui a mis le feu aux poudres dans le monde entier. S'exprimant à l'université de Ratisbonne en Bavière le 12 septembre 2006, il a cité un empereur bizantin du XIVème siècle prétendant que Mahomet, le fondateur de l'Islam, « n'avait apporté que des choses mauvaises et inhumaines », déclenchant la protestation à travers le monde islamique.
Ratisbonne et ses suites ont ouvert une fracture entre le Vatican et les musulmans qui par certains côtés n'est pas encore entièrement guérie.
Aujourd'hui, de nouveau sur la route, Benoît XVI a adressé un autre discours au monde de la culture, et son auditoire, au Collège des Bernardins, à Paris incluait une petite délégation de musulmans français.
La France a la plus grande communauté musulmane d'Europe, et les débats concernant le point jusqu'où sa culture laïque peut ou devrait s'adapter aux sensibilités musulmanes sont bloqués.
En dépit de la résonance symbolique de la date et du lieu, Benoît n'a fait dans son discours de ce soir aucune référence à Ratisbonne ou, plus généralement, aux relations entre Chrétiens et Musulmans (ndt: mais ce qu'il dit sur la Bible, recueil de textes littéraires écrits par des hommes, à travers lesquels Dieu s'adresse à nous, pourrait fort bien délimiter une frontière avec un autre Livre sacré: c'est une allusion indirecte et subtile, après l'expérience de ratisbonne, il a raison de se méfier!). Au lieu de cela, le pape s'est concentré sur un sujet qui, de prime abord, semble intéresser uniquement les chrétiens: le legs du monachisme

A la réflexion, cependant, le discours de Benoît au Collège des Bernardins peut néanmoins indiquer, au delà de Ratisbonne, les rapports futurs du catholicisme avec les musulmans aussi bien qu'avec les croyants des autres religions
En effet, le pape a invité les croyants à unir leurs forces contre ce qu'il considère comme le vértable ennemi - un sécularisme exagéré qui refuserait à la religion une place à la table de la culture et de la vie publique.
Benoît a débuté son discours de 4.000 mots en retraçant le développement du monachisme européen, décrivant les monastères comme « des lieux où les trésors de la culture antique ont survécu, et où en même temps une nouvelle culture a lentement pris forme à partir de l'ancienne.»
Le pape a fait valoir que deux éléments ont été constitutifs de l'expérience monastique : l'Écriture sainte, avec l'intention d'interpréter raisonnablement la parole de Dieu, excluant « tout ce qui est connu aujourd'hui comme fondamentalisme »; et le travail manuel, compris comme partage du travail créateur de Dieu.

Chemin faisant, il y avait quelques touches carctéristiques de Benoît, par exemple l'insistance sur le fait que la liberté ne signifie pas la seule absence d'obligation, mais plutôt la libre possibilité de chercher et d'embrasser la vérité. Cette conception de la liberté, selon Benoît, écarte les dangers jumeaux du « fanatisme et de l'arbitraire. »
Le fil conducteur de Benoît semble être que le monachisme est l'expression chrétienne classique d'une impulsion humaine de base - le désir de chercher la vérité au sujet de Dieu. Les cultures peuvent temporairement chercher à étouffer l'élan religieux, mais par la suite, dit-il, il éclate à nouveau.
« L'absence actuelle de Dieu est silencieusement assiégée par la question de Dieu lui-même » a dit le pape à la fin de son discours. « Une culture purement positiviste qui essayerait de reléguer la question de Dieu dans le domaine subjectif, comme étant non scientifique, serait la capitulation de la raison, la renonciation de ses possibilités les plus élevées, et par conséquent un désastre pour l'humanité avec des conséquences très graves, » a dit Benoît.
« Ce qui a donné son fondement à la culture de l'Europe - la recherche de Dieu et la volonté de l'écouter - demeure aujourd'hui la base de toute culture véritable, » a-t'il dit.
S'il est pris au sérieux, ce message pourrait servir de base à une coopération entre tous les croyants, particulièrement dans une Europe ultra-laïque où l'affirmation que l'ouverture à Dieu est essentielle à une « culture véritable » peut être difficile à faire passer.



Explaining Benedict's discretion on Islam
http://ncrcafe.org/node/2107

13 septembre
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Le Pape Benoît XVI est loin d'être quelqu'un qui parle en l'air, et même ses omissions sont habituellement lourdes de sens.
Dans cette perspective, alors que le pape achève l'étape parisienne de son premier voyage en France, on ne peut s'empêcher de s'interroger sur son silence à propos de l'Islam. La France, après tout, a la plus grande population musulmane d'Europe, et elle continue de se débattre pour concilier son engagement en faveur de la laïcité et les sensibilités religieuses de cette présence musulmane en pleine expansion.
D'ailleurs, Benoît a parlé hier, deuxième anniversaire de son célèbre discours de Ratisbonne, et son auditoire au Collège des Bernardins incluait une petite délégation de musulmans. De plus, ce n'est pas comme si le commentaire interconfessionnel était simplement impossible ou inadéquat. Un peu plus tôt, Benoît a adressé à un groupe de juifs un discours incluant une dénonciation forte de l'antisémitisme (..)
Pourtant la seule référence de Benoît à l'Islam est venue dans (..) le préambule de son discours d'hier soir au Collège des Bernardins: « Je remercie les délégués de la communauté islamique française d'avoir accepté l'invitation de participer à cette rencontre, » a-t'il dit. « Je leur adresse mes meilleurs voeux pour la période sainte du Ramadan déjà en cours. »
Les efforts pour trouver d'autres allusions à l'Islam dans les mots du Pape ne sont pas vraiment convaincants.
Certains, par exemple, ont lu la référence « au fanatisme fondamentaliste » comme allusion indirecte au radicalisme islamique, mais dans le contexte il paraît clair que le pape parlait des fondamentalismes de toutes sortes comme réaction contre le sécularisme.
De même, Benoît s'est référé dans son discours du palais de l'Elysèe aux jeunes « expérimentant les limites du communitarisme religieux», ce qui est certainement un défi dans beaucoup de communautés musulmanes françaises, mais c'était là aussi une allusion fugitive et indirecte.

Il est également frappant que Benoît n'ait jamais mentionné le sujet de l'immigration alors qu'il se trouvait à Paris, présenté par le porte-parole, le Père Federico Lombardi, comme le volet de ce voyage spécifiquement adressé à la France.
L'immigration est un sujet que le pape a abordé plusieurs fois dans d'autres contextes, et c'est un thème d'une importance évidente en France, surtout pour les immigrés musulmans récents. (Pour être juste, Benoît a fait allusion, à l'Elysèe à la nécessité de faire des efforts pour « protéger les faibles et favoriser leur dignité, » sans relier spécifiquement ce point à l'immigration.)
Compte tenu de tout cela, on pourrait peut-être pardonner aux musulmans français de se sentir un peu offensés. Dalil Boubakeur, recteur de la mosquée de Paris, a dit " Nous aurions voulu entendre l'accent mis sur le dialogue interreligieux, entre l'Islam et l'église, et sur les valeurs partagées".

Comment expliquer la réticence papale sur ce qui est, aux dires de chacun, une question d'énorme importance à la fois pour l'église catholique et pour la France ?

Plusieurs possibilités sont à envisager.

D'abord, Benoît XVI est notoirement une personnalité indifférente aux canons du "politiquement correct" et aux attentes populaires concernant ce qu'il « devrait » dire ou faire. Peut-être Benoît a-t'il simplement estimé qu'au cours de sa journée et demie dans la capitale française il souhaitait fournir un message clair à la culture française au sujet de la laïcité, et à cette occasion il n'a pas voulu brouiller son message avec d'autres points (didn’t want to muddy the waters with a laundry list of other points).

En second lieu, Benoît peut fort bien avoir estimé qu'il en avait assez dit, dans d'autres circonstances, au sujet des relations chrétiens/musulmans, et qu'il aurait une autre occasion majeure pour un discours important sur le sujet, début novembre quand la première session du nouveau « forum Catholique-Musulmans, » lancé à la suite de son discours de Ratisbonne, se réunira au Vatican pour discuter sur les thèmes « amour de Dieu, amour du prochain », « Bases théologiques et spirituelles », et « dignité humaine et respect mutuel ».

Troisièmement, Benoît a pu conclure que toute référence à Ratisbonne et aux polémiques qui ont suivi risquerait simplement d'ouvrir de vieilles blessures. De toutes façons, son discours au Collège des Bernardins, à sa manière, a traité du rapport entre la raison et la foi, qui était également la substance de sa conférence de Ratisbonne. En d'autres termes, on pourrait suggérer que le discours au Collège des Bernardins a été en fait ce que Ratisbonne aurait pu être, sans la citation d'ouverture d'un empereur bizantin du XIVème siècle selon lequel Mahomet n'avait apporté « que des choses mauvaises et inhumaines. »

Quatrièmement, il est généralement admis, que, lors des voyages papaux le pontife évitera tout commentaire direct sur la politique locale: l'idée était peut-être qu'en pataugeant dans les sujets "qui fâchent" tels que l'Islam et l'immigration, le pape serait dangereusement près de rompre ce tabou informel. Ce pourrait avoir été un souci particulier, étant donné que le Président français Nicolas Sarkozy est en général vu comme une sorte de faucon (ndt: ???) sur l'immigration islamique, de sorte que tout commentaire appuyé du pape aurait pu risquer d'embarrasser son hôte.

Cinquièmement, il est clair que Benoît XVI voit les croyants de tous bords dans l'Europe actuelle comme des alliés naturels, contre une forme de sécularisme qui peut être hostile à tout rôle public des instances religieuses. En fin de compte, la ligne de faille que Benoît voit dans le monde court non pas entre l'Islam et l'occident, mais entre les croyants et les non-croyants - et dans cette lutte, il croit qu'un christianisme revigoré et un Islam réformé devraient se tenir côte-à-côte.
(..)

Sixièmement, il est possible que la question de savoir comment atteindre la population musulmane de la France ait été soulevée lors du dialogue à portes closes entre Benoît et Sarkozy, plutôt que dans un discours public.

En tout état de cause, au moins à cette étape du voyage de Benoît XVI en France, l'Islam apparaît comme le grand absent du message du pape. Que sa discrétion s'avère être un morceau de de bravoure (?), ou un oubli regrettable, c'est une question à laquelle les commentateurs et les experts français en relations chrétiens/musulmans seront sans aucun doute confrontés dans les semaines à venir.