Vous êtes ici: Articles

Une pénétrante analyse, sur le site des Echos (22/9/2008)

FRANÇOIS EWALD
Benoît XVI ou la civilisation de la parole
[ 16/09/08 ]
Source: http://www.lesechos.fr/...benoit-xvi-ou-la-civilisation-de-la-parole.htm

La venue du pape Benoît XVI a fait événement. Tout, pourtant, avait été fait pour rendre ce voyage insignifiant. Benoît XVI, disait-on, n'a pas le charisme de Jean-Paul II. Il n'a pas sa capacité de mobilisation, en particulier auprès des jeunes. C'est un conservateur, dont le dogmatisme ne peut plus parler à personne.

L'événement ne concerne guère les rapports de l'Eglise et de l'Etat et le problème, si difficile en France, de la laïcité. Quand le président de la République a rappelé sa conception d'une « laïcité positive », exprimé son attente que les religions contribuent à donner du sens et permettent de trouver des solutions aux questions d'éthique, Benoît XVI n'en a pas rajouté. En France, l'Eglise catholique est sur la défensive. Il s'agit pour elle de se faire reconnaître, malgré la chute des vocations et des pratiquants, comme un partenaire à part entière des débats de société. Benoît XVI a seulement rappelé qu'il serait dommage qu'on oublie, en France, le rôle civilisateur de l'Eglise catholique. Et c'est bien sur ce point que les interventions du pape ont marqué, surtout dans son étape parisienne. Il a su montrer ce qu'on perdrait à oublier l'héritage catholique.

Que sommes-nous donc en train de perdre ? La « parole ». Surprise ! Benoît XVI, sans rien transiger du théologien qu'il est, a rappelé, avec un grand talent pédagogique, que la religion catholique a fait que la civilisation française s'est construite, à partir des monastères, comme une civilisation de la « parole ». Il a souligné en même temps, sans sacrifier à aucun des artifices de la communication moderne, que, précisément, cette culture de la parole était ensevelie sous ses « idoles ».

La parole, au contraire de la communication, c'est, selon Benoît XVI, d'abord se mettre à l'écoute, le vrai sens « d'obéir », c'est-à-dire s'inscrire dans la parole d'un « Autre », qu'il faut savoir entendre, Dieu dans la tradition chrétienne, et dont la parole, pieusement conservée, s'exprime dans des livres. Pas de parole non plus sans communauté, qui se rassemble régulièrement autour d'elle. Et les rassemblements organisés ce week-end autour du pape, très ritualisés dans leur simplicité, ont su produire leur dimension humble et indispensable oubliée. La parole, construite dans la tradition chrétienne, a-t-il encore rappelé, est un engagement complet de l'être humain, une disposition du corps et de l'esprit, dont le sens s'exprime dans le chant des psaumes. C'est aussi le principe d'une distinction entre ce qui mérite de durer et l'éphémère, le mobile et l'immobile, l'essentiel et le passager, le vrai et le faux. On ne pouvait être plus à contre-courant.

Pourtant, en refaisant l'histoire du monachisme, en citant les pères de l'Eglise, Benoît XVI faisait subtilement sentir l'urgence d'un patrimoine que nous sommes peut-être en train d'ensevelir.

Mais il y a un deuxième point où le pape a pris l'opinion française à rebrousse-poil : il a parlé « d'espérance ». « N'ayez pas peur », a-t-il répété dans chacune de ses interventions, reprenant la formule jadis adressée aux jeunes Français par Jean-Paul II. Le propos s'adresse sans doute à une civilisation technique si déboussolée qu'il y a quelques années le philosophe allemand Hans Jonas avait condamné le « principe d'espérance » de son collègue Ernst Bloch pour lui opposer un « principe de responsabilité ». Face aux dangers et menaces d'une technique devenue trop puissante, il convient de s'abstenir. Ce n'est pas le propos de Benoît XVI qui inviterait au contraire à examiner quelle « espérance » porte telle ou telle innovation de la liberté humaine.

Benoît XVI est de retour à Rome. La course aux idoles a déjà repris. Le comité d'éthique du Medef a oublié que « la cupidité insatiable est une idolâtrie » et que « l'amour de l'argent est la racine de tous les maux ». La ministre de la Justice ne changera pas la loi sur la récidive, même si « jamais, dans nos jugements, nous ne devons confondre le péché, qui est inacceptable, et le pécheur, dont nous ne pouvons pas juger de l'état de la conscience, et qui, de toute façon, est toujours susceptible de conversion et de pardon ». On continuera de divorcer comme si le mariage n'était pas indissoluble.
Mais, rassurons-nous, les experts en communication sont déjà en train de vendre le modèle Benoît XVI à leur clients.

FRANÇOIS EWALD est professeur au Conservatoire national des arts et métiers.