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VERS LA BÉATIFICATION DE PIE XII (PARTIE II)
 

Première partie ici: Vers la béatification de Pie XII (partie I)


Le démenti des faits ne changera rien

En réalité, les arguments contre Pie XII constituent l'exemple type d'un axiome qui n'accepte pas vraiment le démenti (empirical falsification) des faits (la même chose pourrait être dite des arguments en faveur de Pie XII, évidemment, mais en général leurs défenseurs ne sont pas ceux qui réclament l'ouverture des archives.)

Il y a trois raisons pour lesquelles il en est ainsi.

- D'abord, le coeur de l'acte d'accusation est que Pie XII n'a pas publié une dénonciation publique franche du National Socialisme, ou lancé un appel public sans ambiguïté afin que les chrétiens sauvent des juifs (faisant ici encore abstraction de la validité de ces accusations). La nature du dilemne dépend donc du dossier "public" du pape, qui est désormais bien connu. Par définition, rien de ce qui est contenu dans les archives au sujet de ses vues personnelles, ou de son action en coulisses, ne peut confirmer le noeud de cette accusation. Ses détracteurs sont en général disposés à admettre tout ce que le pape a fait en privé pour aider les gens, mais ils maintiennent que cela ne rachète pas à leurs yeux sa défaillance à s'exprimer plus clairement en public.
Poupko accuse avec éloquence : "Si une situation où six millions de juifs, de la chair de Jésus de Nazareth, sont envoyés vers la mort, n'est pas le moment adéquat pour un témoignage chrétien public, peut-il y en avoir d'autres, au cours des 2.000 dernières années?". Quoi que l'on fasse de cette interrogation, il est fort peu probable que quelque chose dans les archives permette d'y répondre.

- En second lieu, une autre élement de la "plateforme" anti-Pie XII est basée sur l'uchronie, ou l'histoire 'contre-effective', autrement dit la spéculation au sujet de ce qui pourrait s'être produit si Pie XII avait fait ceci plutôt que cela. Que se serait-il produit, par exemple, si Pie XII avait publiquement excommunié Hitler ? Les détracteurs disent que la machine Nazie pourrait avoir fait une pause, alors que les défenseurs disent qu'une plus grande persécution se serait exercée sur les juifs et les catholiques. Personne ne peut être sûr, et rien dans les archives ne peut résoudre une question si hypothétique.

- Troisièmement, même après que les archives auront été inventoriées, si cet examen n'apporte rien de négatif au sujet de Pie XII, il y aura toujours chez certains le soupçon persistant que le Vatican pourrait avoir détruits des documents susceptibles de salir la mémoire du pape.
"Les jésuites qui ont édité les 11 volumes ont déjà puisé dans ces archives," dit Sanchez, reflétant une vue largement partagée parmi quelques chercheurs. "Ils pourraient avoir 'aseptisé' les documents."

Pour être clair, je suis tout à fait favorable à l'ouverture des archives. Si possible, j'ouvrirais les portes en grand dès demain.
Mon point de vue est plutôt qu'il serait naïf de croire que procéder ainsi résoudra les discussions au sujet de Pie XII.

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Ici prend place un passage déjà traduit dans l'article, où Tarcisio Bertone demande l'aide d'une fondation pour "dépouiller" les archives: Un officiel du Vatican prend la défense de Pie XII
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Des passions qui ne s'éteindront pas

Ceux qui émettent des réserves au sujet de la béatification de Pie XII posent souvent la question rhétorique, "pourquoi cette hâte?"
Leur conseil est d'attendre jusqu'à ce que les passions se soient éteintes, et que son cas puisse être considéré plus objectivement. Alors que je comprends cet instinct, je pense qu'il sous-estime la nature des passions impliquées ici. Quand une communauté investit une partie considérable de son identité en gardant vivante la mémoire d'un mal historique, le passage du temps fait souvent très peu pour obscurcir sa passion. N'importe qui ayant déjà passé un peu de temps dans les Balkans ou le Moyen-Orient comprend cela. Par exemple, quand le pape Benoît XVI a dit le 13 mai au Brésil que l'arrivée du christianisme dans le nouveau monde n'avait pas été une "imposition" sur les cultures indigènes, le passage de 500 ans n'a pas sensiblement diminué l'outrage ressenti par les descendants de ces indigènes, ou leurs sympathisants (ndr: là, je ne suis pas d'accord, car il s'agissait d'une manipulationde plus!!).

Pour prendre un autre exemple, quand pape Pie IX a été béatifié en 2000, 152 ans s'étaient écoulés depuis que Pie IX avait renvoyé les juifs de Rome à leur ghetto après les avoir brièvement libérés en 1848, et 142 ans depuis que Pie IX avait pris l'enfant de 6 ans Edgaro Mortara à sa famille juive et avait refusé de le rendre. La distance d'un siècle et demi a fait peu pour amortir les protestations juives contre ces incidents.

Pour prendre un contre-exemple, s'il y avait un mouvement sérieux pour canoniser aujourd'hui le pape Urbain II, qui a lancé les croisades et qui a été béatifié en 1881, peut-on vraiment croire que le passage de 1000 ans atténuerait la réaction dans le monde islamique ?

Avec Pie XII, nous parlons de l'Holocauste, le crime le plus horrible dans l'histoire de l'humanité jusqu'ici. Il semble improbable que 100 ans, ou même 300 ans, fassent beaucoup pour diminuer les passions, de la même manière que la mémoire de l'esclavage demeure une cicatrice profonde en Amérique aujourd'hui. Dans cette perspective, la vraie question est peut-être de savoir si quelqu'un a quelque chose à gagner en permettant à ces plaies de supurer, en dehors de ceux qui ont fait carrière en diffamant ou en réhabilitant Pius XII.
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Le discours de Bertone a porté sur six thèmes: ..... (voir article précédent: Un officiel du Vatican prend la défense de Pie XII )


Des réactions sans surprise

Les réactions semblent variables, selon la façon dont les observateurs étaient auparavant enclins à percevoir le pape Pie XII.

- "Dans l'ensemble, j'ai pensé que c'était excellent," a dit Fisher, de la conférence des évêques des ETATS-UNIS. "Les journaux ont tendance à reprendre les livres condamnant Pie XII, alors que ceux qui le défendent ne sont pas recensés. La restauration d'un certain équilibre est donc très utile".
Cependant, Fisher a ergoté sur l'affirmation de Bertone selon laquelle "la légende noire" au sujet de Pius XII s'est dessinée dans le contexte de la création de l'état d'Israel, disant qu'elle n'avait émergé que plus tard avec 'Le Vicaire' de Hochhuth, en 1963.

- Le Frère John Pawlikowski, un expert en matière de relations entre Catholique et Juifs au Catholic Theological Union de Chicago, dit que le choix fait par Bertone des chercheurs à l'appui de sa thèse affaiblit la force de son argument. "Le problème, en général, avec le Vatican, et cela s'applique de manière évidente au rapport de Bertone, est qu'ils tentent de critiquer les extrémistes [anti-Pie XII] tels que John Cornwell en utilisant des "recherches" très contestables, comme celles de Soeur Marchione", dit Pawlikowski. Il cite Sanchez, Conway, et le Rabbin Michael Marrus comme des exemples d'avis plus autorisés à qui Bertone aurait pu faire appel.
"Jusqu'à ce qu'ils soient disposés à s'engager dans une discussion de fond sur Pie XII pendant l'Holocauste," dit Pawlikowski à propos du Vatican, "leur tentative de le défendre en s'appuyant sur des sources superficielles et limitées tombera dans des oreilles sourdes."

- Conway dit que, dans l'ensemble, Bertone a marqué quelques points positifs. Une partie de la critique de Pie XII, selon Conway, est basée sur une conception peu réaliste du pouvoir de la papauté: "Les gens se comportent souvent comme si le pape était un super-travailleur, qui pourrait déplacer son équipe et faire des miracles, comme par exemple sauver six millions de juifs".

- Poupko dit que le discours de Bertone ne l'a pas convaincu d'abandonner sa requête envers l'Eglise Catholique de diffèrer la béatification de Pie XII, et qu'il espère que les leaders catholiques "peuvent comprendre l'ambivalence des Juifs."
Pour une part, selon Poupko, la sensibilité au sujet de Pie XII est grande parce que, depuis le temps, les Juifs se sont habitués à "un niveau de reconnaissance beaucoup plus grand" de la part des papes Jean XXIII, Paul VI, et Jean Paul II.
Les réserves de Poupko sont claires.
"La seconde guerre mondiale fut un moment où les chrétiens ont été appelés à porter une nouvelle croix, l'étoile jaune", dit-il. "Ils ont été appelés à un nouveau calvaire, aux ghettos et aux camps de la mort." De tels moments, dit Poupko, exigent des "prophètes," tandis que Pie XII était davantage un "politicien".

- Sanchez dit qu'il a en gros admis que Pie XII a été diffamé, mais qu'il y a des éléments qui semblent douteux dans les arguments de Bertone. Par exemple, il dit qu'il n'a trouvé aucune référence aux forces italiennes ou allemandes coupant l'électricité à Radio Vatican ou refusant du papier à L'Osservatore Romano, comme Bertone l'a suggéré.

- Sanchez et Conway disent tous deux qu'ils n'ont jamais entendu parler de la réclamation que Pie XII aurait faite auprès des Allemands d'engager 4000 hommes supplémentaires dans la garde pontificale afin de sauver des juifs.

- Sanchez dit qu'il y a des "légendes" des deux côtés.
"Je pense qu'il y a une 'légende noire' au sujet de Pie XII," dit-il. "Mais d'autres en font un énorme éloge pour tout ce qu'il a fait.
La vérité est entre les deux".

Vers première partie: Vers la béatification de Pie XII (partie I)


Vers la béatification de Pie XII (partie I) | Benoît XVI vu par John Allen