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VERS LA BÉATIFICATION DE PIE XII (PARTIE I)
 

Dans sa chronique hebdomadaire, John Allen développe en un long article un thème qu'il a déjà abordé cette semaine ( L'Eglise se défend, et défend Pie XII ).
Je me permets de souligner que son analyse est inédite en France, et elle est tout à fait passionnante. Le "dossier" qu'il propose ( Un catalogue d'arguments des deux bords... ) est particulièrement fourni. A titre personnel, j'accorde plus de crédit au "pro" qu'aux "anti", car les seconds sont en position d'agresseurs, et ont tout à gagner à falsifier les faits.

L'idée est que, quelle que soit l'issue de la recherche dans les archives du Vatican, et des nonciatures européennes, rien ne changera, et chacun restera sur ses positions. Mieux vaut donc procéder à la canonisation le plus vite possible!
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On jugera que chacun des dossiers sur lesquels le Saint-Père doit trancher, que ce soit la béatification de Pie XII, la libéralisation de la messe tridentine (le motu proprio), les relations avec l'Islam et le judaïsme, les prises de position "politiques" du Saint-Siège et les rapports avec la société civile, notamment sur la famille et le respect de la vie, se révèle finalement plus difficile à manier que la nitroglycérine. C'est vraiment Le Salaire de la peur au quotidien. De quoi donner à méditer à ceux qui croient contre l'évidence que "tout est simple".

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Voici la première partie de ma traduction.


Article original en anglais sur le site de National Catholic Reporter:
Is now the time to beatify and canonize Pope Pius XII?


La meilleure solution: la béatification maintenant

L'heure est-elle venue de béatifier et canoniser le pape Pie XII ?
John Allen
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Je veux revenir cette semaine sur une idée "contre-intuitive" (counter-intuitive), qui est que, du point de vue des relations entre Catholiques et Juifs, la meilleure chose que le Vatican pourrait faire en ce moment serait de béatifier et canoniser le pape Pie XII immédiatement.

Afin d'étayer cet argument, je ferai abstraction de la question de savoir si Pie XII mérite réellement la sainteté. A l'inverse, je veux rester dans le domaine des faits objectifs, qui me semblent dans ce cas précis être les suivants : un bloc significatif dans l'Eglise catholique, y compris parmi ses dirigeants, a une conviction forte que Pie XII est un saint et devrait être formellement reconnu en tant que tel; dans d'autres secteurs d'opinion, y compris une grande partie du monde juif, il y a une conviction également forte que Pie XII a failli à ses responsabilités morales pendant l'Holocauste.
Aucune nouvelle pièce à conviction, ou nouvelle perspective historique, n'est susceptible de changer ces convictions ; la principale force qui maintient cette discussion dans les médias, et en fait une source de turbulence dans des relations entre Catholique et Juifs, est le débat sur la possible sainteté.
En admettant la pertinence de ces prémisses, il en découle qu'il n'y a deux issues : Ou le catholicisme renonce à la sainteté pour Pie XII, ou elle l'obtient. Puisque la première éventualité est peu probable, la dernière peut être la meilleure option disponible -- et le plus tôt sera le mieux.
En tergiversant, on autorise un cycle sans fin d'échanges pour/contre de plus en plus grossiers, et qui durcissent les sentiments.


Le discours du Cardinal Bertone

Ces pensées ont été stimulées par un discours prononcé mardi au Capitole de Rome par le Cardinal Tarcisio Bertone, le secrétaire d'état du Vatican, pour ainsi dire le numéro deux dans l'Eglise après le pape Benoît XVI. Bertone s'est exprimé à l'occasion du lancement d'un nouveau livre sur Pie XII par le journaliste italien Andrea Tornielli. L'essentiel du discours de Bertone était que Pie XII a été la victime "d'une légende noire," et que le pape du temps de guerre a conduit une politique de "prophétie dans l'action," plutôt que de déclarations publiques potentiellement contre-productives, qui a sauvé la vie d'innombrables victimes des Nazis . Toutes choses qui avaient été clairement comprises alors, selon Bertone, mais qui ont été obscurcies par la suite en raison d'une manipulation idéologique de la mémoire de Pie XII.

La plupart des observateurs ont vu le discours comme "une attaque préventive" avant la béatification.
Début mai, la Congrégation du Vatican pour la cause des saints a voté pour approuver un "décret de vertu héroïque" pour Pie XII. S'il est signé par le pape Benoît XVI, il suffirait d'un miracle attribué à Pie XII pour qu'il puisse être béatifié, et un autre miracle avant la canonisation. Sachant que la béatification ramènera la question de Pie XII et l'Holocauste dans les gros titres, Bertone a peut-être voulu redéfinir les limites de la discussion, faisant de la question, non pas "a-t'il fait assez?" mais plutôt, "a-t'il été la victime d'une campagne de diffamation?" Ainsi recadrée, ce serait déjà une victoire pour les défenseurs de Pie XII.
Quoi qu'il arrive, le discours de Bertone semble un signal clair que tôt ou tard, la béatification arrivera.
Mon enquête, à caractère non scientifique, auprès des experts et avocats du cas de Pie XII, suggère cependant que rien de ce que Bertone a dit mardi n'est susceptible de changer l'opinion. En fin de compte, je soupçonne Jose Sanchez, professeur honoraire à l'université de Saint Louis et auteur en 2002 de "Pius XII and Holocaust: understanding the controversy" d'être dans le vrai: "rien ne va changer," m'a dit Sanchez mercredi, "les mêmes arguments iront dans les deux sens. Cela continuera. Je n'ai vraiment aucun espoir pour l'avenir de cette nouvelle démarche."


Les "pro" et les "anti"

Ceux qui critiquent la volonté de faire de Pie XII un saint ont réitéré leur affirmation qu'il est "trop tôt" pour la béatification, en particulier parce que les archives du Vatican couvrant la période du pontificat de Pie XII, de 1939 à 1958, ne sont pas encore entièrement ouvertes.
"Il n'y a pas encore assez de pièces à conviction pour chacune des parties," dit le Rabbin Yehiel Poupko, du "Jewish United Fund" de Chicago.
"Tous les dossiers diplomatiques entre le Vatican et les diocèses d'Europe ne sont pas encore ouverts. Les archives américaines ne sont pas ouvertes. Il est encore trop tôt."
Abraham Foxman de l'"Anti-Diffamation League" dit plus ou moins la même chose ( Un officiel du Vatican prend la défense de Pie XII )
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Du côté pro - Pie XII , certains croient que de nouvelles pièces à conviction pourrait sceller l'affaire en faveur de la sainteté.
Bertone, par exemple, a suggéré que le matériel archivistique dont l'accès est actuellement limité, pourrait jeter un éclairage nouveau, se référant aux "milliers" de cas où le Vatican a répondu à des demandes d'aide venant de toute l'Europe, dont les enregistrements ne sont pas à la disposition des chercheurs parce qu'ils n'ont pas encore été catalogués. Selon Bertone, ces documents illustrent la politique de Pie XII , davantage faite "d'action que de lamentation", d'efforts significatifs en coulisses plutôt que de bruyantes interventions publiques.

Eugene Fisher, depuis longtemps expert en relations Juifs-Chrétiens pour la conférence des Etats-Unis des évêques catholiques, convient que "l'évaluation finale des historiens" devrait attendre jusqu'à ce que "les archives soient ouvertes."

Je ne remets pas un seul instant en cause la sincérité de Poupko, de Foxman, de Bertone, et de Fisher, que je connais tous, et que je respecte. Néanmoins, je doute qu'un quelconque matériel en attente d'être découvert dans les archives de Vatican fera beaucoup pour faire bouger les lignes de la bataille autour de Pie XII.


Un catalogue d'arguments des deux bords...

Considérons les exemples suivants de nouveau matériel historique qui ont émergé au cours des quatre dernières années seulement, et qui sont indiscutablement plus intéressants que n'importe quel document susceptible d'être trouvé dans les archives de Vatican, en particulier après la publication par une équipe de jésuites de onze volumes de matériel :
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- En 2003, Tornielli, l'auteur de quatre livres sur Pie XII, produisit des documents suggérant que Pie XII à un certain moment a prié afin que Satan "laisse" Hitler, doublé "une excommunication de fond."

- Egalement en 2003, Robert Katz a publié "La bataille pour Rome", s'appuyant sur des dossiers tout juste accessibles du "bureau pour des services stratégiques", l'ancêtre de la CIA. Ces dossiers, selon Katz, prouvent que Pie XII a invité les alliés à abandonner leur insistance pour une capitulation sans condition et à conclure une entente séparée avec l'Allemagne Nazie, afin de former un rempart occidental commun contre le communisme. Katz a également indiqué que les dossiers prouvent que Pie XII a su bien à l'avance l'intention allemande de faire une rafle sur les juifs de Rome, mais n'en a rien dit. Katz a appelé Pie XII "un saint du silence."

- En décembre 2004, le chercheur italien Alberto Melloni a publié un document dans le Corriere della Sera, qui semble suggérer que le Vatican d'après-guerre, sous Pie XII, a suivi une politique consistant à ne pas rendre les enfants juifs qui avaient été confiés en garde à des chrétiens, si ces enfants avaient été baptisés. Une telle politique, aux yeux des critiques, semble suggérer une insensibilité saisissante à la douleur juive, même après que la pleine ampleur des crimes de guerre Nazis ait commencé à émerger.

- En janvier 2005, Tornielli a publié dans "Il Giornale" un document plus long du Vatican sur la question de rendre les enfants juifs baptisés, qui suggérait que le problème n'était pas de rendre des enfants à leurs parents, mais à des institutions juives -- l'idée étant que les enfants qui étaient actuellement bien soignés dans des familles chrétiennes affectueuses devrait pouvoir rester, si aucun parent juif ne les réclamait.

- En 2005, le Rabbin David Dalin de l'université Ave Maria a publié "Le mythe du pape d'Hitler", ajoutant de nouveaux détails à l'histoire de l'amitié entre le jeune Eugenio Pacelli, qui deviendrait Pie XII, et Guido Mendes, un juif qui plus tard est devenu un médecin romain distingué. Sur la force de cette amitié, Pacelli était apparemment le premier pape dans des temps modernes avoir partagé un dîner de Sabbat dans une maison juive. Plus tard comme pape, il a aidé la famille de Mendes à s'échapper en Suisse quand Mussolini a décrété ses lois raciales en 1938. Par la suite, la majeure partie de la famille a émigré en Israël.

- En janvier 2006, Dina Porat de l'université de Tel Aviv a édité la correspondance jusque là inédite entre l'archevêque Angelo Roncalli, futur pape Jean XXIII, qui était alors ambassadeur de Pie XII en Turquie, et un agent de la "Jewish Rescue Agency" à Istanbul. En gros, la correspondance prouve que Roncalli a expédié des informations sur les souffrances des juifs à ses supérieurs du Vatican, et a parfois déploré l'absence d'une réponse plus énergique de Pie XII.

- En août 2006, des extraits du journal intime d'une religieuse qui a vécu pendant la guerre à Rome dans le couvent des Quattro Santi Coronati ont été publiés par des journaux italiens. Dans ce journal intime, qui était resté intact dans les archives du couvent depuis la guerre, la soeur raconte comment Pie XII avait personnellement donné l'ordre aux couvents et aux monastères de protéger les juifs.

- En janvier 2007, un ancien lieutenant général de la police secrète Roumaine de l'ère Soviétique, Ion Mihai Pacepa a révélé que Nikita Krushchev avait en février 1960 approuvé un plan pour affaiblir l'autorité morale de l'Eglise catholique en dépeignant Pie XII comme un sympathisant Nazi au coeur froid. Selon Pacepa, trois agents secrets roumains déguisés en prêtres ont passé deux ans à fouiller dans les archives de Vatican pour dénicher des informations négatives sur Pie XII, mais sont rentrés bredouilles. Néanmoins, d'après Pacepa, un haut-fonctionnaire du KGB trouva la matière pour la pièce de Rolf Hochhuth, "Le Vicaire" qui lança la polémique sur Pie XII. (Hochhuth a nié l'influence communiste sur la pièce).

- En mars 2007, La Reppublica déterra dans les archives de la STASI, la police secrète d'Allemagne de l'Est, des documents prouvant que des espions Nazis au Vatican, pendant la deuxième guerre mondiale avaient rapporté que l'église catholique sous Pie XII aidait des juifs, y compris financièrement, et qu'il avait espéré l'"oblitération" du régime Nazi.

- En juin 2007, Dan Kurzman publia "Une mission spéciale: Le plan secret de Hitler pour s'emparer du Vatican et enlever le Pape Pie XII". Bien que le fait que le Général SS Karl Wolff eût reçu d'Hitler en septembre 1943 l'ordre d'enlever Pie XII, ait été connu depuis que Wolff avait été libéré de prison en 1974 et avait relaté l'épisode l'histoire, le livre de Kurzman fournissait des détails supplémentaires, suggérant que les Nazis avaient clairement compris que Pie XII pouvait être un ennemi sérieux.

- Toujours en juin 2007, le dernier livre de Tornielli contient des passages de la correspondance entre Pacelli quand il était le nonce en Allemagne et son frère Francesco, qui reflètent clairement le dégoût de Pacelli pour Hitler et son mouvement Nazi.


... qui ne changent rien au fond.

Une partie de ces documents tranche en faveur de Pie XII, d'autres contre lui. Tout bien pesé, ces révélations ont probablement aidé son image, ne serait-ce que parce que la représentation du pape dans des livres tels que "Le pape de Hitler" était par trop caricaturale. Aucun d'entre eux, cependant, n'a fait beaucoup pour persuader les critiques ou les détracteurs de reconsidérer leurs positions. Compte tenu de cet immobilisme, pourquoi devrions-nous espérer que les archives de Vatican contiennent "une balle magique" qui pourrait persuader un côté ou l'autre d'abandonner la partie?
C'est le point de vue de John Conway, un expert Anglican sur Pie XII, au Canada. L'ouverture des archives "ne fera pas beaucoup pour changer les choses," dit-il. "Les choses sont assez claires, avec ce dont nous disposons déjà. L'idée qu'il y aurait des documents cachés dans les archives qui prouvent d'une manière concluante ce que le Vatican pourrait avoir fait, ou aurait fait sous quelqu'un d'autre, ne tient pas la route".
"Quand les archives sont entièrement ouvertes," a indiqué Conway, "nous en serons plus ou moins au même point qu'en ce moment."
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A suivre....


Les chaussures rouges du Pape | Vers la béatification de Pie XII (partie II)