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LA COMMUNICATION DU PAPE
 

A propos de la dernière polémique imputée à Benoît XVI, sur le rapport entre le catholicisme et les civilisations précolombiennes ( voir ici P. de Plunkett défend le pape et là: Polémique à tout prix. ) , John Allen reprend pour sa chronique hebdomadaire un thème déjà développé dans un article précédent: "Qui dira 'non' à Benoît?" ( Benoît XVI vu par John Allen (2) ).

Je vois bien que John Allen cherche à trouver une "solution" au "problème" (mais y-a-t'il problème? c'est ce que je conteste), par affection, sans nul doute,... et peut-être même qu'il s'imaginerait volontiers comme cette personne 'proche' qui oserait justement dire 'non'... J'aime cette idée.
Je ne suis cependant pas tout à fait d'accord avec lui quand il nous dit que 'Benoit XVI peut être remarquablement dur d’oreille à la façon dont ses déclarations peuvent être perçues par des gens qui ne partagent pas sa vision intellectuelle et culturelle'. Certes, le pape est un personnage public, et tout ce qu'il dit est susceptible de la plus vaste audience. mais là, il s'adressait à ses "frères dans l'Episcopat", qui sont quand même censés partager sa vision spirituelle et intellectuelle: s'il doit censurer jusqu'à ces discours-là, que peut-il encore dire librement?

Un fait demeure, des gens ne font rien d'autre que d'extraire des discours du Saint-Père des propos qu'eux-mêmes transforment ensuite en polémique. Je suis convaincue que, quoi que fasse Benoît XVI, il ne pourrait rien y changer.
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Article original en anglais ici: The pope's communication paradox

Traduction de Catherine, et de moi.


Le paradoxe de la communication du pape

Benoit XVI n’était pas encore descendu de son avion à l’aéroport Ciampino de Rome lundi, terminant son voyage du Brésil du 9 au 13 mai, que la controverse l’avait déjà rattrapé. Des porte-parole des populations indigènes du Brésil s’indignaient des propos du pape à Aparecida, le dimanche après-midi, des propos qui affirmaient que l’arrivée du christianisme n’avait pas été l’imposition d’une culture étrangère aux peuples natifs du nouveau monde. Aux habitants du pays, cela a semblé un vilain exemple de révisionnisme historique.

Ce contretemps de l’après Brésil est la dernière confirmation que comme personne publique, Benoit XVI a deux qualités qui vont souvent à contre-courant l’une de l’autre.
D’un coté, Benoit XVI est un communicateur extrêmement lucide. Il est doué d’un esprit logique, et ses conclusions dérivent naturellement de ses prémisses. De plus, il est capable de synthétiser des idées complexes de façon compréhensible, et vous n’avez pas besoin d’un diplôme en théologie pour le comprendre. Cependant, Benoit XVI peut être remarquablement dur d’oreille à la façon dont ses déclarations peuvent être perçues par des gens qui ne partagent pas sa vision intellectuelle et culturelle.

L’exemple le plus frappant, bien sûr, a été sa conférence à l’université de Ratisbonne en septembre 2006. Dans le contexte, le pape pensait qu’il était clair qu’il parlait de la raison et de la foi, et n’essayait pas de s’attaquer à l’islam. Cependant, ce contexte n’était pas immédiatement évident aux personnes peu familières de la rhétorique papale, et ils n’allaient certainement pas le percevoir dans le flash de 30 secondes des informations télévisées.

Une forme de cette surdité est l’incapacité de distinguer entre l’abstraction et la réalité de tous les jours et la controverse du Brésil en offre un cas classique.

Paulo Suess, un conseiller au Conseil Missionnaire Indien, a dit du pape « qu’il est un bon théologien, mais qu’il a manqué quelques classes d’histoire ». Maricio Meira, qui dirige le bureau fédéral indien du Brésil a dit « En tant qu’anthropologue et historien, je suis obligé de dire que, oui, dans les 500 dernières années, la religion catholique a été imposée aux peuples indigènes.

En vérité, c’est plus une dispute sur les mots qu’une dispute sur le fond. Benoit XVI n’a jamais dénié le fait que beaucoup de colonisateurs se sont comportés abominablement. Son propos était sur le christianisme, pas sur les chrétiens. Parce que le Christ est venu pour tous, dans le raisonnement du pape, le christianisme n’était pas étranger aux cultures précolombiennes. C’était l’accomplissement vers lequel tendait leur expérience religieuse. C’est le même argument que les anciens penseurs chrétiens utilisaient au sujet des religions gréco-romaines, elles étaient semina verbi, ‘graines du verbe’, et s’étaient réalisées dans le Christ.

Cette revendication ne nie nullement la responsabilité individuelle des chrétiens dans l’élimination des cultures locales. Le pape, cependant, n’est pas revenu en arrière pour rendre la chose claire.

Au fil des années, Benoit XVI s’est attiré des ennuis justement de cette façon. Il a fait des déclarations comme ‘Le christianisme est incompatible avec la violence’ ou ‘l’Eglise est incapable de pécher’, qui ont fait grincer des dents à quiconque a des connaissances même d’histoire, même superficielle. Ce que Benoit XVI a en tête est le christianisme et l’Eglise comme formes platoniciennes – il est bien conscient que les chrétiens en tant d’individus, et l’Eglise en tant qu’institution, ont quelquefois échoué à être à la hauteur de ces grands idéaux.

Ceci explique, je pense, pourquoi les initiés et les personnes étrangères à la foi ont souvent des réactions diamétralement opposées au discours de Benoit XVI. Après la conférence de Ratisbonne, les spectateurs de l’aula magna de l’université ne se sont pas séparés en pensant qu’ils venaient d’assister à la première salve de la prochaine controverse de caricatures danoises, ils étaient tout étourdis de la réflexion magistrale du pape sur la raison et la foi. C’est parce qu’ils savaient d’où venait Benoit XVI. Nous avons vu comment des gens sans cet état d’esprit ont réagi.

La même chose arrive sur d’autres sujets.

Quand le pape parle des défauts de la théologie de la libération, par exemple, il parle d’un système théologique. Il ne conteste pas l’héroïsme, même la sainteté, de beaucoup de gens animés par la théologie de la libération, comme en témoigne sa déclaration à bord de l’avion pontifical sur le fait que l’Archevêque Oscar Romera du Salvador méritait la béatification.

Pour prendre un autre cas, quand Benoit XVI est allé à Auschwitz en mai 2006, il a soutenu qu’en tuant les juifs, les nazis ont aussi frappé le christianisme, parce que leur objet était de tuer Dieu comme l’ultime limite au pouvoir humain. Cette déclaration a outragé des juifs, qui ont ressenti que le pape essayait de transformer les chrétiens en victimes, et ce faisant esquivait leur complicité dans l’Holocauste. En fait, le pape ne niait pas que des chrétiens aient péché. Il voulait dire que le christianisme in se, dans son essence, était une menace pour le national socialisme, parce qu’il témoignait d’un pouvoir supérieur au Volk. C’est une réflexion qui invitait à la réflexion, mais étant donné la façon dont elle était exprimée, il n’est pas très étonnant que certains juifs aient été irrités.

Pour ceux qui connaissent l’état d’esprit du pape, il est douloureux de voir que ces réflexions soigneusement raisonnées soient déformées dans le tribunal de l’opinion publique à cause d’une phrase isolée qui peut donner prise à une interprétation erronée, et qui, la plupart du temps, aurait pu être exprimée différemment sans perte de sens.
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Il y a un cycle désormais familier, qui se reproduit à chaque fois que le pape dit quelque chose qui déclenche l'indignation. Les mises au point, les expressions de regret, et les promesses d'un dialogue à venir dégringolent des porte-parole officiels. La crise immédiate est surmontée, mais un résidu de suspicion demeure. Je me souviens de ce qu'on m'a dit à Istanbul après le voyage de Benoît en Turquie, en novembre dernier, quand il a tenté de toutes ses forces de réparer les dégâts de Ratisbonne : « Nous ne sommes toujours pas certains d'aimer ce pape, » a dit ce Turc, « mais nous le détestons moins. » C'est un progrès, bien sûr, mais ç'aurait été mieux s'ils n'avaient jamais eu la moindre raison de commencer par le détester.

Ce genre de malentendu s'est produit suffisamment souvent au cours la carrière de Joseph Ratzinger pour qu'on ne l'écarte pas en disant qu'il ne sait comment y remédier. Ainsi que faire ?

Benoît est proche de l'Ecole de Communio, en Théologie Catholique, dont les figures de proue mettent l'accent sur la nécessité pour l'Eglise de parler son propre langage. C'est le discours d'un « initié », basé sur la conviction que le christianisme est lui-même une culture, souvent en désaccord avec la vision dominante du monde moderne. Tout ceci fait partie du projet de Benoît de défendre l'identité catholique contre les pressions pour l'assimiler dans un monde relativiste, et sécularisé .

Benoît a aussi une très grande liberté intérieure [..]

Evidemment personne ne souhaite le voir prisonnier d'une plate rhétorique politicienne, conçue principalement pour éviter d'offenser les autres.
Pourtant un pape est nécessairement le principal ambassadeur du catholicisme auprès du monde extérieur, y compris ceux qui ne sont pas disposés à accorder à l'Eglise le bénéfice du doute. Ceci implique une responsabilité particulière pour peser soigneusement ses mots, pas seulement pour leur logique interne, mais aussi pour leurs répercussions culturelles et politiques potentielles. Il ne suffit pas d'insister sur le fait que le monde doit prendre l'Eglise comme elle est -- on doit le rencontrer à mi-chemin.

Pour être juste, Benoît a manifesté des éclairs de capacité en ce sens, comme son moment de prière silencieuse à côté du grand mufti d'Istanbul, à la mosquée bleue. D'ailleurs, le voyage au Brésil n'a certainement pas été un désastre. La chaleur évidente de Benoît a bien fonctionné, et même la ligne dure qu'il a adoptée sur certaines questions a marqué des points, pour son bien-fondé intellectuel. Néanmoins, l'arrière-goût amer laissé par la polémique sur les indigènes est inutile et détourne de l'essentiel, et elle n'est guère de son fait.

Ainsi, nous avons affaire au paradoxe d'un pape qui est un maître en communication, mais qui doit néanmoins travailler ses capacités dans ce domaine. Quelqu'un de son entourage proche, quelqu'un à qui il fait confiance, doit le prendre à part et le lui dire. Ainsi je pose encore la question que j'avais posée juste après Ratisbonne : « Qui dira «non» au pape ? »

Jusqu'ici, cette question reste en attente d'une réponse


Prière du Rosaire à Aparecida