Vous vous trouvez ici: Medias Octobre 2006  
 MEDIAS
Eté 2006
Septembre 2006
Octobre 2006
Novembre 2006
Décembre 2006

UN PAPE GÉOPOLITIQUE?
 

C'est un thème que j'ai vu développé à plusieurs endroits, sous différentes formes, certes, mais par des gens qui semblent balayer largement le spectre des idéologies politiques et des convictions religieuses.
Entre autres, un musulman ( Rochidi Alili répond au Saint-Père ), un orthodoxe ( L'ire, l'orgueil et le Pape ) , des représentants de la droite française musclée (Serge de Beketch, et Joël Prieur: Dans la presse "nationale" et Rapprochement avec les chrétiens d'orient? ) , et maintenant, un sociologue, professeur à l'Ecole Normale Supérieure, qui s'exprime dans une tribune libre sur Libération (!) du 3 octobre.

Tous ont vu le point clé du discours dans la référence à la synthèse entre l'esprit grec et l'esprit chrétien (*) , tous s'interrogent sur la dimension géopolitique du discours de Ratisbonne. Il s'agirait rien moins que de (re)définir clairement l'identité européenne. Avec peut-être comme conséquence de bouleverser les équilibres géopolitiques actuels.
L'enjeu est donc de taille, très éloigné des premières interprétations de l'hystérie médiatique, qui ne voyaient que la critique sans nuance de l'Islam et du fanatisme - mais pour qui connaît un tout petit peu l'envergure intellectuelle du Saint-Père, il est évident que sa pensée s'élevait bien au-dessus de cela.
L'article ci-dessous est un des plus intéressants que j'ai lus sur le sujet.
-------------------------------
(*) Le Saint-père a dit: "Le rapprochement intérieur mutuel évoqué ici, qui a eu lieu entre la foi biblique et l'interrogation sur le plan philosophique de la pensée grecque, est un fait d'une importance décisive non seulement du point de vue de l'histoire des religions, mais également de celui de l'histoire universelle - un fait qui nous crée des obligations aujourd'hui encore"


Le Pape propose une autre voie (Libération)

Le chef de l'Eglise propose une voie qui perturbe l'alternative Islam-Occident.
http://www.liberation.fr/opinions/rebonds/208129.FR.php
Benoît XVI, pape géopolitique
(Libération, Mardi 3 octobre 2006)
Eric Fassin sociologue, professeur à l'Ecole normale supérieure.


La lecture de la conférence à Ratisbonne du pape Benoît XVI invite à prendre au sérieux la théologie très politique du souverain pontife.
Ce texte nous livre l'autre versant de réflexions développées en 2004 lors d'un échange avec Jürgen Habermas. C'est pour penser les limites de la raison en politique que se rencontraient alors le pape et le philosophe allemands. ...
Il s'agissait de penser, selon le titre donné à cet échange par la revue Esprit, «les fondements prépolitiques de la démocratie».
[..]
En développant à Ratisbonne le second versant de cette réflexion, le théologien place le catholicisme au point d'équilibre entre foi et raison, entre le rationalisme sécularisé de sociétés individualistes et l'irrationalité fanatique des fondamentalismes. Il n'est plus question, comme au temps d'un pape plus «charismatique» (dans tous les sens du terme), d'aller chasser sur les terres des renouveaux religieux évangéliques, ni de privilégier le dialogue oecuménique avec les Eglises protestantes libérales. Il s'agit de regrouper les forces de l'Eglise romaine sur ses bases plus traditionnelles, son pré carré.
Ce juste milieu théologique renvoie à une géopolitique, inscrite dans la référence à la rationalité grecque
. D'une part, en effet, le christianisme serait foncièrement européen : pour le pape, «on ne peut guère s'étonner que le christianisme, en dépit de son origine et de son important développement en Orient, ait fini par trouver en Europe le lieu de son empreinte historique décisive». D'autre part, en retour, l'Europe serait fondamentalement chrétienne.
La «rencontre» historique entre foi et raison «a créé l'Europe» et en reste «le fondement».
Bien sûr, comme l'expliquait déjà Joseph Ratzinger face à Jürgen Habermas, «on peut et on doit dire cela sans faux européocentrisme». En effet, ce projet de civilisation ne se veut pas refermé sur une culture, mais universel : le pape est bien «catholique».
Pour autant, il ne cède rien au relativisme multiculturel, qu'il prend au contraire pour cible. Car c'est dans un second temps seulement que le dialogue entre les deux traditions occidentales, grecque et biblique, permet l'ouverture vers «les autres cultures». «Il est important de les intégrer dans une tentative de corrélation polyphonique où elles s'ouvriront elles-mêmes à la complémentarité entre raison et foi.»
Authentique européocentrisme : l'Europe aurait vocation à servir de modèle, et le reste du monde à s'en inspirer. On voit l'importance géopolitique de la théologie vaticane, déjà manifeste lors des débats sur l'inscription de la référence chrétienne dans la Constitution européenne ou l'entrée de la Turquie dans l'Union.

En érigeant l'Europe du christianisme en rempart contre le terrorisme religieux, le discours de Benoît XVI n'est pas sans rappeler la rhétorique du conflit des civilisations, dont les Etats-Unis sont devenus la figure de proue sous la présidence de George W. Bush. Mais le juste milieu qu'il propose offre plutôt une géopolitique concurrente de la vision américaine, une troisième voie européenne qui viendrait compliquer l'alternative entre l'Islam et l'Occident. C'est qu'il prétend précisément échapper à la violence de la croisade religieuse. On connaît le mot de Staline: «Le pape? Combien de divisions?» De fait, l'ordre qu'esquisse le programme de Ratisbonne est bien fondé sur l'hégémonie culturelle, et non militaire.
Si, pour les néoconservateurs d'outre-Atlantique, «les Américains sont de Mars, et les Européens de Vénus», pour le conservatisme de Benoît XVI, c'est plutôt à Rome qu'irait l'Europe.


 

Dans le même ordre d'idées, ce message adressé par le Pape aux participants d'un congrés d'universitaires qui s'est déroulé fin septembre à Rome sur le thème "Où va l'Europe?" est passé totalement inaperçu ici. Je l'ai trouvé sur le site yahoo.italie, il s'agit ici de ma traduction d'une dépêche de l'agence ANSA


 

Le Pape: Les fondements de l'Union Européenne sont la Raison, et les racines chrétiennes.
(Agence ASCA, 28 septembre)

Un "authentique humanisme", où la raison "opére sa propre recherche selon la pleine mesure de ses potentialités, en s'appliquant avec rigueur à l'analyse des données positives, tout en se laissant constamment interpeller par les grands questionnements sur la signification de l'homme, de l'histoire et du cosmos". Telles sont, selon le Pape Benoît XVI les clés pour rouvrir le débat "sur les fondements culturels du continent européen".
C'est ce qu'a écrit le pape dans un message transmis par le Secrétaire d'état Tarcisio Bertone aux participants du cinquième symposium européen des universitaires, qui se déroule à Rome, et qui a pour thème "Où va l'Europe? Culture, peuples et institutions"

Une réflexion à laquelle, selon le Pape, il revient essentiellement aux universités de débattre "dans le cadre d'une action continue et organique d'animation évangélique au sein du monde universitaire".(**)
Le secrétaire d'état a rappelé que, pendant son voyage apostolique en Bavière, le Pape avait fixé comme devoir aux professeurs et étudiants des universités catholiques "l'objectif d'une rationnalité pleine, fidèle à l'expérience humaine intégrale".
Objectif, a-t'il souligné, "pour poursuivre un dialogue constructif entre tous ceux qui partagent la même passion pour la vérité et pour l'homme, et sont disposées à l'appliquer sans préjugé idéologique, dans le respect des diversités".
Sur de telles bases culturelles, selon le message transmis par le secrétaire d'état, "il est possible de travailler à la construction d'une identité européenne renouvelée, propre à offrir au monde, face aux défis de notre époque, la contribution d'une hérédité spirituelle et culturelle estimable, de manière à forger un humanisme rationnel et ouvert à la révélation de Jésus-Christ". Un humanisme, toujours selon le message papal, "tolérant mais ferme dans les principes éthiques"
----------------------------------

(**) Le titre donné à la Conférence de Ratisbonne, telle qu'elle est traduite en français sur le site du vatican, est:
Foi, Raison et Université:
souvenirs et réflexions



 

> haut de page