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Une interviewe audio exemplaire sur le site de radio Vatican (30/8/2008)

A deux semaines de la venue de Benoît XVI en France, l'impression, renforcée par certains articles de journaux (cf Le défi français de Benoît XVI ) est que le clergé français, ou plutôt les évêques - au moins ceux qui s'expriment un peu - ont peur.
Mais de quoi?
D'un flop médiatique? Peut-être pas uniquement. Bien sûr, si flop il y avait, ce serait évidemment le leur, et pas celui du Saint-Père, puisqu'ici, personne ne le connaît. A qui la faute?

Cette interviewe audio (http://62.77.60.84/audio/ra/00127801.RM ) publiée sur le site de radio Vatican, et qui est un modèle de ce que devrait être le journalisme, permet de s'en faire une idée.

Elle est présentée en ces termes, sur le site:

Les catholiques et la liturgie
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Abordons une question sensible : celle de la liturgie. Il y a quelque mois, la publication du Motu proprio sur la messe de Saint Pie V, la messe en latin, avait ravivé des « passions françaises ». Plus récemment, un geste du Pape a soulevé un tollé en France. Pendant la messe de la Fête-Dieu, les fidèles qui ont communié de la main de Benoit XVI ont été invités à s’agenouiller. Les réactions d’étonnement, voire d’indignation, ont été nombreuses. Certains affirment que cela a suscité un certain embarras parmi les évêques français, à l’approche de la venue du Pape.

Pour mieux comprendre pourquoi le rituel liturgique suscite tant de crispations en France, nous avons interrogé, un expert en la matière, le père Michel Gitton recteur de la collégiale Saint-Quiriace de Provins, dans le diocèse de Meaux.

Transcription abrégée

Le Père Gitton est l'auteur d'une "Initiation à la liturgie romaine", préfacée par Joseph Ratzinger.
http://62.77.60.84/audio/ra/00127801.RM
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A l'approche de la venue du pape, la question des modalités liturgiques, et en particulier le sujet sensible de la communion, divise les catholiques de France.
Or, contrairement à une opinion couramment répandue, il ne s'agit nullement d'une décision de Vatican II, qui n'avait pas abordé le thème.
Beaucoup de gens sont surpris lorsqu'ils apprennent que la communion dans la main a été autorisée dans certains diocèses sous forme d'indult, mais qu'il ne s'agit pas d'une norme, encore moins d'une imposition.

A la question de savoir si les évêques français redoutent des réactions hostiles de la part de l'opinion, au cas où le pape donnerait la communion dans la bouche, le Père Gitton reconnaît avec charité que leur tâche ne doit pas être facile, puisqu'ils doivent faire le lien entre Rome et cette opinion, dont ils tentent de prévoir les réactions. Ils sont conscients de leur rôle d'explication - dont on peut supposer qu'il n'est guère confortable. (ndr: ce serait donc le motif de l'enquête d'opinion commandée par le diocèse de Paris, et bien sûr, en aucune façon, une impensable demande au Pape de changer sa communication - ce mot horrible! -, comme le prétendait Le Figaro avant-hier: Le défi français de Benoît XVI )

Le Motu Proprio a certes laissé des traces, mais ce n'est pas nouveau. En France, la liturgie est un champ de bataille depuis 30 ans. Et Benoît XVI essaie de le pacifier. Mais "on ne soigne pas un corps malade" si facilement.
D'ailleurs, la tentative de réajustement des abus liturgiques post-conciliaires n'est pas récente. C'est sous le règne de Jean-Paul II qu'avait été publiée l'instruction Redemptoris Sacramentum, où étaient déjà dénoncées toutes les erreurs qu'il fallait rectifier.
La nouveauté est la permission accordée au rite extraordinaire, qui devrait créer une saine émulation entre les partisans de l'ancien rite, et ceux qui pensent "à juste titre qu'avec la messe de Paul VI, on peut arriver à faire des choses très bien" (ndr: idée qui est défendue jour après jour par le site ProLiturgia).
Il ne s'agit pas d'une mesure disciplinaire, mais de la recherche d'une interaction positive entre les deux rites.

Les fidèles, les plus jeunes en particulier, ont soif de sacralité et de beauté. Une idéologie dominante a voulu durant des années que tout le monde fasse tout et n'importe quoi, "ce qui va contre l'effort d'amélioration vers la beauté", mais il ne s'agissait pas de l'ensemble du peuple chrétien, seulement de certains groupes dont les acteurs sont en train de disparaître.

Au final, il semble que l'agitation autour de la liturgie soit liée à une mauvaise information: "on porte le poids d'une contre-vérité qui a été répandue largement, que la manière traditionnelle avait changé dans l'Eglise, et quand les gens savent ce qu'il en est, ils tombent des nues, ils croyaient en toute bonne foi que c'est ce que l'Eglise voulait".

La conclusion du Père Gitton est optimiste: l'idéologie sous-jacente serait en train de disparaître (déjà par ses acteurs eux-mêmes), elle est liée à de vieux clivages, qui étaient ceux des années soixante...

Ces clivages ne sont hélas pas un fantasme, et ils sont encore bien présents, même si les acteurs ne sont plus jeunes.
Ce texte paru dans Témoignage Chrétien du 3 juillet, signé par Mgr Noyer, évêque émérite d'Amiens, à l'occasion du dernier Congrès eucharistique, en est la preuve.

Source: http://groupes-jonas.com/
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Je me souviens, la messe (extrait)

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Dans les années 1950, jeunes étudiants en théologie à Rome, nous nous moquions : « la messe est la petite cérémonie du matin où est consacrée la grande hostie pour le salut du soir ».
Chacun dit sa messe en latin, figé dans ses rubriques, quasiment seul, pressé par le temps. C’est l’un des exercices spirituels qui meublent la journée. L’après-midi au contraire après les vêpres, le grand orgue accueille le cardinal pour le salut. Les yeux se portent sur lui avant qu’il ne s’agenouille devant le Saint Sacrement. Le Saint Sacrement, c’est une Hostie qu’on adore, une Hostie qu’on porte en procession, une Hostie qui est Dieu.
Arrive le Concile. En quelques mois, tout est changé. La concélébration fait de la messe une démarche fraternelle. Le français permet aux mots de devenir parole. Le « face au peuple » permet aux gestes de se charger de sens. Les fidèles peuvent s’exprimer. Des laïcs montent à l’ambon. On peut inventer des prières. La Messe est bien la Source et le Sommet de la vie de l’Église. Il s’y passe quelque chose : Jésus se donne et son corps prend forme pour le salut de tous les hommes.
Mais vite, l’Église de France va se scinder en deux : le culte et la mission. Autour de la liturgie une église dit sa fidélité et sa vitalité dans des célébrations dynamiques, joyeuses, renouvelées et libres. Ailleurs, dans ce qu’on appelle le monde, une église a rejoint les plus pauvres pour annoncer un monde nouveau. Là, la générosité des pasteurs se nourrit de messes dépouillées et austères. Un verre de vin et un morceau de pain sur la table de la cuisine suffisent pour dire le mystère d’une église « servante et pauvre ». Les deux églises ont du mal à coexister, chacune regarde l’autre avec méfiance sinon avec mépris.
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Aujourd’hui ... le pape semble nous dire qu’il serait bon de retrouver les rites de 1950, le latin, le sacré, le silence, l’agenouillement, la bouche ouverte pour communier, les yeux dans la même direction. Est-ce un retour au point de départ ? Non, car à la différence d’hier, ces fidèles si dévots ne seront plus qu’une poignée de bons chrétiens, satisfaits de leur vertu et fiers de leur austérité. Ce serait dramatique s’ils se réservaient l’Eucharistie authentique, si le temps devait se terminer avec ce retour à la case départ.
Heureusement il n’en est rien. L’histoire d’un demi-siècle que je viens d’évoquer prouve que jamais rien n’est aussi figé qu’on peut le croire. L’inattendu est possible. Nos communautés très diverses restent grosses d’initiatives nouvelles. Les vieux grognards qui ont célébré l’Eucharistie sous des formes si différentes sourient quand on leur parle de la messe de toujours. Même si parfois ils souffrent de tant d’efforts gâchés, de tant de rêves anéantis, ils continuent à célébrer l’Eucharistie comme la promesse d’un monde nouveau.

Jacques Noyer est évêque émérite d’Amiens
Témoignage Chretien du 3 juillet 08