... sur les relations entre les juifs et les chrétiens. Document exceptionnel et inédit, reproduit sur l'Avvenire du 29 avril. Traduction (7/5/2009)

Voir aussi: Son quatrième voyage en Terre Sainte



C'est peut-être là qu'il faut chercher, pour avoir une idée de ce qu'il dira "à nos frères aînés" dans la foi. Et pas dans les spéculations des journalistes, qui n'attendent qu'une nouvelle polémique fondée sur des considérations au ras du sol.

On verra qu'il y a déjà dans ce discours prononcé en 1994 à Jérusalem la trame de son livre, à paraître plus d'une décennie après: Jésus de Nazareth.
On y trouve en particulier présenté le débat autour du Jésus historique, et surtout le refus d'une interprétation faussement romantique du Jésus-alibi des révolutionnaires (c'est moi qui le dis) ; là où "les images de l'ennemi, dans certaines luttes modernes pour la liberté, se confondent avec les images de l'histoire de Jésus et toute son histoire est au fond interprétée, dans cette perspective, comme une lutte contre la domination de l'homme sur l'homme masquée par la religion. Si Jésus devait être vu ainsi, si sa mort est comprise dans un contexte de ce genre, son message ne peut pas être la réconciliation."

On retrouvera aussi l'idée qu'"Auschwitz est la terrifiante expression d'une idéologie qui ne se limitait pas à vouloir la destruction du judaïsme, mais qui haïssait l'héritage juif aussi dans le christianisme et cherchait à l'anéantir" dans le discours qu'il a justement prononcé à Auschwitz lors de son pélerinage en Pologne, en mai 2006.

Et surtout, sa conception du dialogue inter-religieux, ici entre les juifs et les chrétiens: s'accueillir réciproquement dans une plus profonde réconciliation, sans rien enlever à leur foi et, d'autant moins, sans la renier . Et surtout, rendant témoignage à l'unique Dieu, au créateur du ciel et de la terre... devenir pour le monde une force de paix...
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Cette traduction est la mienne, et comme il est très important de ne pas trahir les intentions de l'auteur par des maladresses, voire des faux sens, je joins le texte en italien, tel qu'il a été reproduit sur le site de Raffaella:
domenica26aprile2009.pdf [27 KB]

Le catéchisme de l'Eglise catholique auquel il est fait allusion dans le texte est accessible sur le site du vatican, en français: http://www.vatican.va/archive/FRA0013/_INDEX.HTM



J. Ratzinger :
« Juifs et Chrétiens doivent s'accueillir réciproquement dans une plus profonde réconciliation, sans rien enlever à leur foi… » (1994)
Discours prononcé à Jérusalem en 1994 par le cardinal Ratzinger

« Après Auschwitz, le devoir de la réconciliation et de l'accueil s'est présenté devant nous dans toute son indispensable nécessité » : ainsi commençait le cardinal Ratzinger, en 1994, dans un discours prononcé à Jérusalem.
Indiquant quelques pistes théologiques pour le« comment »
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Eglise et Israël : une rencontre possible ?
par Joseph Ratzinger

L'histoire des rapports entre Israël et la chrétienté est mêlée de larmes et de sang, c'est une histoire de méfiance et d'hostilité, mais aussi - grâce à Dieu - une histoire toujours traversée de tentatives de pardon, de compréhension, d'accueil réciproque.
Après Auschwitz, le devoir de la réconciliation et de l'accueil s'est présenté devant nous dans toute son indispensable nécessité.
Tout en sachant qu'Auschwitz est la terrifiante expression d'une idéologie qui ne se limitait pas à vouloir la destruction du judaïsme, mais qui haïssait l'héritage juif aussi dans le christianisme et cherchait à l'anéantir, devant des évènements de ce genre, il reste la question sur les raisons de la présence dans l'histoire de tant d'hostilité entre ceux qui, au contraire, auraient dû reconnaître leur affinité dans la force de la foi en l'unique Dieu et la profession de sa volonté.
Cette hostilité proviendrait-elle précisément de la foi des chrétiens, de l'« essence du christianisme », de sorte que pour arriver à une vraie réconciliation il faudrait s'abstraire de ce noyau et nier le contenu central du christianisme ?
Il s'agit d'une hypothèse qui, devant les horreurs de l'histoire, a été formulée au cours des dernières décennies, y compris par quelques penseurs chrétiens. Mais alors, la profession de foi en Jésus de Nazareth comme fils du Dieu vivant et la foi dans la Croix comme rédemption de l'humanité, impliquerait-elle nécessairement une condamnation des juifs pour leur obstination et leur cécité, puisque coupables de la mort du fils de Dieu ? Les choses seraient-elles vraiment ainsi, comme si le noyau même de la foi chrétienne portait à l'intolérance, et même à l'hostilité envers les juifs et qu'au contraire, l’estime des juifs pour eux-mêmes, la défense de leur dignité historique et de leurs convictions les plus profondes exigeraient de la part des chrétiens le renoncement au centre même de leur foi, et donc le renoncement à la tolérance ? Le conflit serait-il inhérent à la nature la plus intime de la religion et ne pourrait être dépassé que par son abandon ?
Dans sa dramatisation aiguë, le problème se pose aujourd'hui bien au-delà du dialogue purement académique entre les religions, impliquant les choix fondamentaux de ce moment historique.
On cherche souvent à dédramatiser le problème en présentant Jésus comme un Maître juif qui, en substance, ne s'est pas beaucoup écarté de ce qui était concevable dans la tradition judaïque. Son meurtre s'entendrait alors dans le cadre des tensions entre les juifs et les romains : en effet, sa condamnation à mort fut exécutée selon les modalités que l'autorité romaine réservait à la punition des rebelles politiques.
Son exaltation comme fils de Dieu se serait donc produite par la suite, dans le cadre du contexte culturel hellénistique, et la responsabilité de sa mort sur la Croix aurait été transférée des romains aux juifs, précisément en considération de la situation politique de l'époque.
Cette interprétation des faits peut représenter un défi, qui force les exégètes à une écoute attentive et précise des textes et, ainsi, elle pourrait même avoir quelque utilité.

Toutefois, des lectures de ce genre ne parlent pas du Jésus des sources historiques, mais ils construisent un Jésus nouveau et différent ; ils relèguent dans le domaine mythique la foi historique de l'Église dans le Christ. Il apparaît ainsi comme le produit de la religiosité grecque et des intérêts politiques particuliers dans l'empire romain. De cette manière, cependant, on ne rend pas raison du sérieux de la question, simplement on se met en retrait par rapport à elle.

Reste alors la question : la foi chrétienne peut-elle, sans perdre sa rigueur et sa dignité, non seulement tolérer le judaïsme, mais l'accueillir dans sa mission historique ?
Peut-il y avoir une vraie réconciliation sans abandon de la foi ou bien la réconciliation est-elle liée à un tel renoncement ?

Pour répondre à cette question je ne veux pas exposer mes réflexions, mais plutôt chercher à montrer quelle est la position du Catéchisme de l'Église catholique édité en 1992 (lien).
Ce livre fut publié par le magistère de l'Église comme expression authentique de sa foi ; en même temps, ayant justement devant les yeux Auschwitz et le devoir laissé par Vatican II, la question de la réconciliation y est affrontée comme étant intimement liée à la question même de la foi. Voyons donc de quelle façon il se place par rapport à notre question à partir de son devoir (...).

Il n'y a rien d'aussi discuté que la question du Jésus historique.
Le Catéchisme, comme livre de la foi, part de la conviction que le Jésus des Évangiles est l'unique Jésus authentiquement historique. Ici nous nous occuperons en particulier du chapitre central sur Jésus et Israël, qui est fondamental aussi pour l'interprétation du concept de règne de Dieu et pour la compréhension du mystère pascal. Aujourd’hui, ce sont justement les thèmes de la Loi, du Temple, de l'unicité de Dieu, qui portent en eux toute la charge explosive des déchirures judéo-chrétiennes.
Est-il possible de les comprendre de manière historiquement correcte, cohérente avec la foi et dans la priorité de la réconciliation ?

Les premières interprétations de l'histoire de Jésus n'ont pas été les seules à donner une image globalement négative des pharisiens, des prêtres et des juifs.
Justement, la littérature libérale et moderne a remis à la mode le cliché des oppositions : les pharisiens et les prêtres apparaissent comme les défenseurs d'un légalisme rigide, comme les représentants de la loi éternelle du pouvoir constitué, des autorités religieuses et politiques, qui empêchent la liberté et vivent de l'oppression d'autrui.
Dans la ligne de ces interprétations, on se place aux côtés de Jésus et on estime continuer sa lutte, en s'engageant contre le pouvoir clérical dans l'Église et contre l'ordre établi dans l'État.
Les images de l'ennemi, dans certaines luttes modernes pour la liberté, se confondent avec les images de l'histoire de Jésus et toute son histoire est au fond interprétée, dans cette perspective, comme une lutte contre la domination de l'homme sur l'homme masquée par la religion. Si Jésus devait être vu ainsi, si sa mort est comprise dans un contexte de ce genre, son message ne peut pas être la réconciliation.

Il est clair en soi que le Catéchisme ne partage pas cette optique. Pour ces questions il se conforme surtout à l'image de Jésus de l'Évangile de Matthieu et voit en Jésus le Messie, le plus grand dans le règne des cieux ; en tant que tel, il se savait obligé d' « observer la Loi, en la pratiquant dans son intégralité jusqu'à ses moindres préceptes » (578).
Le Catéchisme relie donc la mission particulière de Jésus à sa fidélité à la Loi ; il voit dans lui le Serviteur de Dieu, qui porte vraiment le droit (Is 42.3) et devient donc « Alliance du peuple » (Is 42.6 ; Catéchisme 580).

Notre texte est donc très éloigné des tentatives superficielles d'harmonisation de l'histoire de Jésus, chargées de tensions. Et plutôt que d'interpréter son chemin de manière superficielle, dans le sens d'une présumée attaque prophétique contre le légalisme rigide, il cherche à faire émerger son authentique profondeur théologique.
On le voit clairement dans le passage qui suit : « Le principe de l'intégralité de l'observation de la Loi, non seulement dans sa lettre mais dans son esprit, était cher aux pharisiens. En le mettant fortement en relief pour Israël, ils ont conduit beaucoup de juifs du temps de Jésus à un zèle religieux extrême. Et cela, à défaut de se résoudre en une casuistique « hypocrite », ne pouvait que préparer le peuple à cet intervention inouïe de Dieu, qui sera l'observation parfaite de la Loi de la part de l'unique Juste à la place de tous pécheurs » (579).
Ce plein accomplissement de la Loi implique que Jésus prenne « sur lui la malédiction de la loi » (Gal 3.13), qu'encouraient ceux qui n'étaient pas restés fidèles « à toutes les choses écrites dans le livre de la Loi » (Gal 3.10) » (580).
Sa mort sur la Croix trouve ainsi une explication théologique à partir de l'intime solidarité avec la Loi et avec Israël ; dans ce contexte le Catéchisme établit un lien avec le jour du Grand Pardon (ou Jour de l'Expiation, Yom Kippour, ndt) et interprète la mort du Christ comme le grand évènement d'expiation-conciliation, comme la pleine et complète réalisation de ce que signifient les signes du jour du Grand Pardon (433 ; 578).

Avec ces affirmations nous sommes arrivés au coeur du dialogue judéo-chrétien, au point nodal décisif entre réconciliation et déchirure.
Là où le conflit de Jésus avec le judaïsme de son temps est présenté de manière superficiellement polémique, il finit par en dériver une idée de libération qui peut entendre la Torah seulement comme une servitude à des rites et des observances extérieures.
La vision du Catéchisme porte logiquement à une perspective entièrement différente : « La Loi évangélique porte à l'accomplissement les commandements de la Loi (= de la Torah).

Le Discours du Seigneur sur la montagne, loin d'abolir ou d'enlever de la valeur à la prescription morale de la Loi ancienne, en dévoile la virtualité cachées et en fait jaillir de nouvelles exigences : il en met en lumière toute la vérité divine et humaine. Il n'ajoute pas de nouveaux préceptes extérieurs, mais il arrive à réformer la racine des actions, le coeur, là où l'homme choisit parmi le pur et l'impur, où se développent la foi, l'espoir et la charité [...]. Ainsi l'Évangile porte la Loi à sa plénitude au moyen de l'imitation de la perfection du Père céleste [...] » (1968).

Cette vision d'une profonde unité entre l'annonce de Jésus et l'annonce du Sinaï est encore une fois synthétisée en référence à une affirmation néotestamentaire, qui n'est pas seulement commune à la tradition synoptique, mais a un caractère central également dans écrits de Jean et de Paul : de l'unique commandement de l'amour de Dieu et du prochain dépendent toute la Loi et les Prophètes. Pour les peuples l'inclusion dans la descendance d'Abraham s'accomplit concrètement en adhérant à la volonté de Dieu, dans laquelle précepte moral et confession de l'unicité de Dieu sont inséparables, comme cela apparaît particulièrement clairement dans la version de Saint-Marc de cette tradition, dans laquelle le double commandement est expressément lié au "Shema'Isra'el", au oui à l'unique Dieu. À l'homme, il est commandé d'assumer comme critère la mesure de Dieu et sa perfection.

Ainsi se manifeste aussi la profondeur ontologique de ces affirmations : avec le oui au double commandement, l'homme remplit le devoir de sa nature, qui a été voulue par le Créateur à l'image et à la ressemblance de Dieu et qui, en tant que tel, se réalise dans le partage de l'amour divin. Ici, au-delà de toutes les discussions historiques et strictement théologiques, nous arrivons vraiment au coeur de la responsabilité présente des juifs et des chrétiens face au monde contemporain.
Cette responsabilité consiste précisément à soutenir la vérité de l'unique volonté de Dieu devant le monde et à placer ainsi l'homme devant sa vérité intérieure, qui est en même temps sa voie. Les juifs et les chrétiens doivent rendre témoignage à l'unique Dieu, au créateur du ciel et de la terre (...).
Avec les réflexions développées jusqu'ici, on n'a certes approfondi jusqu'au bout le thème proposé, on l'a seulement introduit. On a donc posé les bases pour affronter la question du rapport Israël-Église, dans la conscience que les tractations détaillée demanderaient une étude dont le développement irait bien au-delà des limites de cet essai. On peut encore moins, ici, affronter la grande question du devoir commun des juifs et des chrétiens dans le monde actuel.

Il me semble cependant que le noyau fondamental de ce devoir transparaît de ce qui a été dit et souligné: les juifs et les chrétiens doivent s'accueillir réciproquement dans une plus profonde réconciliation, sans rien enlever à leur foi et, d'autant moins, sans la renier, mais au contraire à partir du fond de cette même foi. Dans leur réconciliation réciproque, ils devraient devenir pour le monde une force de paix.

Au moyen de leur témoignage devant un unique Dieu, qui ne veut être adoré qu'à travers l'unité entre amour de Dieu et amour du prochain, ils devraient ouvrir largement la porte à ce Dieu dans le monde, afin que soit faite sa volonté et que cela puisse se produire sur la terre comme « au ciel » : « pour que son Règne vienne ».

© Copyright Avvenire, 26 avril 2009





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