Ce très beau texte du Père Vincent Nagle, sur le site du Patriarcat latin de Jérusalem (LPJ), est la plus parfaite synthèse du pélerinage. Elle referme la page des polémiques annoncées (11/6/2009)

(cité par ESM, sans qui il m'aurait peut-être échappé...)




Texte entier ici: http://www.lpj.org/index.

"Reconnaître en l'autre mon égal, mon frère, ma sœur"
Mercredi, 10 Juin 2009

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La visite du Pape en Terre Sainte est une poignante démonstration du courage que donne la foi chrétienne, le courage d'un père qui a la responsabilité de prendre soin de sa famille. Nombreux avaient été les avertissements, nombreuses les personnes qui avaient tenté de dissuader le Saint-Père d'entreprendre cette visite à un moment où, pour diverses raisons, les tensions étaient particulièrement fortes. De nombreux représentants de la communauté chrétienne en Terre Sainte, persuadés que le moment était mal choisi, avaient même écrit une lettre commune pour lui demander de ne pas venir. Les médias prédisaient une catastrophe.
Le Patriarche latin de Jérusalem lui-même, pourtant fervent partisan de ce voyage, avait déclaré à la presse israélienne : "Un mot déplacé, et j'aurai des problèmes avec les Juifs ; un autre, et ce sera avec les musulmans. Le Pape rentrera à Rome et je resterai ici avec tous les problèmes." De toute évidence, la pression était forte. Mais profondément conscient de sa mission, et certain d'obéir à un Autre, le Pape est parti.

Les résistances et les hésitations suscitées par sa visite sont nées d'une vision purement humaine des choses. Au centre de cette vision, on trouve une approche politique des choses qui prétend relever les défis de la société humaine grâce à des solutions purement politiques, sans avoir de réponse à proposer au drame du cœur humain. Beaucoup de prêtres ont exprimé leurs inquiétudes que les Israéliens n'utilisent le voyage du Pape comme une bénédiction à l'expansion ultra rapide des colonies de peuplement dans les territoires occupés et de leur violent mépris pour la vie des Arabes. D'autres catholiques, tel le chef du Conseil paroissial de Naplouse, ont déclaré que le Pape ne devait pas venir tant qu'il n'avait pas changé de point de vue, c'est-à-dire adopté un discours politique en phase avec celui du parti dominant. Ne voyant pas comment utiliser la visite du pape pour prendre l'avantage sur leurs adversaires politique, de nombreuses personnes, surtout chrétiennes, s'y sont opposés.

Cependant, dès que le Pape est arrivé, il est apparu qu'il apportait avec lui quelque chose qui est au-delà de tout discours politique, un regard qui ne cherche quel avantage politique il peut tirer de l'autre, mais plutôt comment exprimer aux autres un amour plus grand que celui qu'ils ont pour eux-mêmes. Cette paternité universelle, qui commence avec ses propres enfants et de là se propage pour embrasser toutes les personnes présentes, est apparue d'abord lors de la première étape du voyage en Jordanie, pays où la situation politique et sociale est beaucoup plus calme, même si, comme le Patriarche Fouad Twal l'a dit dans un discours au Pape, on note une dérive possible vers "un rétrécissement du regard et un refus de l'autre." Dans le discours qu'il a prononcé à la mosquée du Roi Hussein Bin Talal, la plus grande d'Amman, Benoît XVI a déclaré : " Je crois fermement que Chrétiens et Musulmans peuvent relever (...) le défi de développer en vue du bien, en référence à la foi et à la vérité, le vaste potentiel de la raison humaine." Plus d'une fois, et sous différentes formes, il a répété ces mots, montrant que son regard n'est pas dirigé seulement vers les chrétiens, mais vers l'avènement d'un dialogue ouvert et la possibilité d'une co-existence entre tous.
Le Père Luigi Giussani, fondateur du mouvement "Communion et Libération", disait souvent que le monde pense en termes d'exclusion : "soit... soit", tandis que l'Eglise pense en termes d'inclusion : "et... et."
(ndr: c'est le thème récurrent de Messori...)
Du côté des Chrétiens et des autres Arabes, on a très souvent entendu la critique que le pape venait seulement visiter les Juifs. Du côté des Juifs, quand le Pape a parlé des aspirations légitimes du peuple palestinien, une personnalité israélienne a dit: "On croirait entendre Arafat." Les divisions de cette terre rendent difficile même de concevoir qu'une personne puisse être capable d'embrasser les deux peuples. Et pourtant, quiconque a été attentif a pu percevoir que c'est à tous que le Pape a lancé un défi pour un surcroît d'humanité. Au président Peres, il a fait remarquer que "en hébreu, la sécurité - batah - naît de la confiance, elle ne fait pas seulement référence à l'absence de menace, mais aussi au sentiment de quiétude et de confiance." Par ces mots, il a poussé les Israéliens à regarder au-delà de l'aspect militaire et à comprendre que la véritable sécurité a besoin d'une nouvelle relation avec les autres, qui ne soit pas fondée sur la force. De même, au camp de réfugiés de Aida, dans le faubourg de Bethléem, au pied du fameux mur de séparation, le Pape a dit : " De part et d'autres du mur, un grand courage est nécessaire pour dépasser la peur et la défiance, pour résister au désir de se venger des pertes ou des torts subis. Il faut de la magnanimité pour rechercher la réconciliation après des années d'affrontement. (...) Il faut de la bonne volonté pour prendre des initiatives imaginatives et audacieuses en vue de la réconciliation". Benoît XVI n'a pas adopté la ligne d'un parti ou d'un autre, mais il a embrassé les angoisses et les espoirs de tout, les provoquant à accomplir de nouveaux pas en avant dans leur humanité.

Au cœur de la visite, c'est la sollicitude envers le troupeau toujours plus petit de l'Eglise en Terre Sainte qui a été la priorité du Pape. Celui-ci a pleinement reconnu et adopté leurs souffrances et leurs peurs, rencontrant par exemple pendant plus d'une demi-heure les membres de la paroisse de la Sainte Famille à Gaza, qui avaient obtenu la permission de venir à la messe à Bethléem. Au cours de cette messe, Benoît XVI a déclaré que la présence du Christ sur sa terre et dans sa propre ville natale devait être, pour les fidèles, une provocation à "la constante conversion au Christ, qui rejaillisse non seulement sur nos actes mais aussi dans nos raisonnements : avoir le courage d'abandonner des manières infructueuses de penser, d'agir et de réagir." Le Pape a appelé le peuple chrétien à aller de l'avant, en s'appuyant sur cette réalité primordiale : la présence du Christ.
La grande paternité de Benoît XVI éclate dans ce fait de proposer la conversion au Christ comme unique moyen de régénération complète de l'homme. De la même façon, au cours de la messe à Nazareth, devant plus de trente-six mille fidèles, il a proposé de mettre au centre de tout l'éducation, en soulignant le rôle particulier des femmes dans cette œuvre fondamentale. C'est à elles d'abord qu'il appartient d'apprendre aux enfants "à aimer et à accueillir les autres, à être honnêtes et respectueux envers tous, à pratiquer les vertus de miséricorde et de pardon."
Ces messages ne sont pas passés inaperçus de tous. Ainsi le Patriarche latin veut que son Eglise tout entière s'approprie ces paroles, et demande la conversion. Lors de la cérémonie d'adieu à l'aéroport Ben Gourion, le président Peres a dit au Pape : "Vous avez personnellement renforcé la dimension spirituelle de votre séjour en appelant à la paix et en augmentant l'espérance et la compréhension entre tous les habitants de cette terre."

Tout cela vient du courage né de la foi profonde et limpide du pape Benoît.
Assis devant le tombeau vide de Jésus, dans l'Église du Saint-Sépulcre, reprenant les mots de saint Pierre, il a déclaré : "En dehors de Jésus, que Dieu a fait Seigneur et Christ, il n'y a pas sous le ciel d'autre nom donné aux hommes par lequel nous soyons sauvés."
C'est de cette certitude que provient le courage paternel du Pape, un courage qui lui permet de se rendre sur une terre qui se bat et se divise, pour apporter à tous la possibilité de faire de nouveaux pas, pour apporter un regard humain neuf. C'est le sens de ses paroles au président Peres : "La sécurité durable repose sur la confiance, elle s'alimente aux sources de la justice et du droit, et elle est scellée par la conversion des cœurs qui nous pousse à regarder l'autre dans les yeux et à reconnaître le « Toi » comme mon égal, mon frère, ma sœur."

Père Vincent Nagle





Fin d'un pélerinage politique L'hommage de Christian Vaneste