Dans La Vie, le bilan du voyage par un dominicain qui vit en Terre sainte (20/5/2009)



Décidément, La Vie nous aura réservé quelques belles surprises, à l'occasion de ce voyage.
Après le carnet bord de l'envoyé spécial Jean Mercier (voir par exemple Un message politique ), dont j'ai déjà parlé en bien, je trouve ce texte (très, très beau, et d'une grande élévation) signé du Fr. Olivier-Thomas Venard, dominicain, théologien, professeur de Nouveau Testament à l’École biblique et archéologique française de Jérusalem, membre de la Commission sur les relations avec les juifs au Patriarcat latin.

Avant le voyage, en avril, il en avait déjà tracé les perspectives, mettant l'accent sur l'enjeu crucial de la survie de l'Eglise en Israël (voir: les vrais enjeux d'un voyage de Benoît XVI en Israël) .
Et il concluait:
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(..) il y a une « alchimie » humaine et spirituelle spéciale autour de la personne du Saint-Père – c’est le « mystère » de la papauté. Depuis plusieurs décennies, nos amis Juifs tiennent particulièrement à l’estime du Pape. Un peu comme si le successeur de Pierre avait retrouvé, à notre époque, quelque chose du ministère primitif de Pierre, apôtre de la Circoncision. Bref, au-delà des craintes qu’on peut avoir à l’avance, la présence du Pape en Terre sainte peut produire « du neuf ». C’est avec cette espérance que les chrétiens s’y préparent à l’accueillir: il feront tout pour que ce voyage contribue profondément à la paix, dans l’Église, entre l’Église et Israël, entre Palestiniens et Israéliens, et dans le monde.
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Aujourd'hui, son bilan, sous le titre inspiré Benoît au nom du Seigneur, fait en quelque sorte écho au texte du mois dernier.
"Au terme du voyage à très hauts risques de notre Pape en Terre sainte, écrit-il en effet, il faut reconnaitre que Benoit XVI a su déployer en toute simplicité son charisme de successeur de Pierre.

Texte sur le site de La Vie:



Benoît au nom du Seigneur
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par Fr. Olivier-Thomas Venard OP (ndr, et rappel: OP signifie "ordre des prêcheurs, c'est-à-dire les dominicains)

En faisant part des inquiétudes des chrétiens d’Israël et des Territoires Palestiniens occupés par Israël, il y a quelques semaines, nous placions notre espoir dans l’ « alchimie humaine et spirituelle bien particulière autour de la personne du Saint-Père », capable de « produire du neuf ». Au terme du voyage à très hauts risques de notre Pape en Terre sainte, il faut reconnaitre que Benoit XVI a su déployer en toute simplicité son charisme de successeur de Pierre.

Les enjeux pour les chrétiens locaux
La présence du Pape, ses encouragements à demeurer les pierres vivantes de l’Église au pays de Jésus, ont causé une joie perceptible et rendu un peu de courage. Dans une belle complémentarité avec le Patriarche latin, le pasteur universel a convaincu ses brebis qu’il connait bien l’âpreté de leur vie et que l’Église est à leurs côtés. Certes, quant aux enjeux fiscaux, diplomatiques et économiques de la vie de l’Église en Israël et dans les territoires annexés, la visite n’a guère obtenu de résultats. Les négociations entre Israël et le Saint-Siège reprises à la hâte avant la visite ont abouti, le 30 avril, à un communiqué à la rhétorique lénifiante, presque identique à deux ou trois autres communiqués publiés ces dernières années, fixant… la date d’une prochaine rencontre. Dans une démonstration de bonne volonté, Shimon Peres a demandé au gouvernement d’offrir au Saint-Siège la souveraineté sur quelques lieux saints comme la Basilique de l’Annonciation ou le Cénacle: le ministre de l’intérieur du parti Shas (le même qui fait tant de difficultés pour les visas des chrétiens) l’a refusé. Six membres de la Commission des Lieux saints du Grand-rabbinat, ont même publié à l’occasion un communiqué prohibant tout transfert de souveraineté de la terre d’Israël à qui que ce soit – marquant bien la dimension religieuse de ces discussions économiques et diplomatiques. Bref, on ne semble pas près de conclure !
Pourtant, il y a lieu de rendre grâce pour la visite du Pape. Car Benoit a pris les choses de plus haut et de plus profond, en touchant délicatement les zones sensibles qui peuvent expliquer de telles raideurs. On pouvait craindre que le Pape ne se laisse impressionner par les polémiques sur ses interventions passées, par son origine allemande, pour ne pas avoir de discours exigeant pour Israël ou pour le monde arabe. Il n’en a rien été.

Bilan politique

Il a rendu témoignage à la justice. Ses quelques jours en Israël ont été encadrés par deux appels nets à la création d’un État palestinien, et centrés autour d’une journée dans les Territoires sous occupation israélienne, à Bethléem. Sans user de discours inflammatoires, tout en reconnaissant le droit d’Israël à la sécurité, le Pape a souligné dès son arrivée que la « sécurité » n’est pas une idole à laquelle on doive tout sacrifier, mais une situation qui se construit sur la confiance en autrui. Tout en condamnant la tentation du terrorisme, le Pape a apporté aux Palestiniens le soutien du Saint-Siège sur la route vers une indépendance nationale. La situation économique et politique des Palestiniens sous occupation ou sous blocus israéliens est si catastrophique que la seule reconnaissance de leur souffrance apporte déjà un soulagement… (La seule question – terrible – que nous nous posons est la suivante : la solution à deux États est-elle physiquement possible, quand des centaines de milliers de colons israéliens morcellent les Territoires palestiniens et que toute démonstration culturelle ou même journalistique de l’Autorité palestinienne à Jérusalem-Est est interdite par la force, comme ce fut le cas durant la visite du Pape ?)

Bilan religieux

Benoit XVI a relancé le dialogue avec l’Islam. Un journal palestinien relatait la présence de 20000 musulmans à la Messe de Nazareth : même s’il a exagéré, la présence de milliers d’entre eux montre combien le témoignage rendu par Benoit à la justice a su toucher le cœur des Arabes au-delà des barrières confessionnelles. Il a poursuivi et approfondi le dialogue avec le Judaïsme. Il a redit, dès qu’il a aperçu Israël depuis le Mont Nébo, l’unicité de la relation qui unit l’Église et le Peuple Juif. Tout en condamnant toute forme d’antisémitisme ou de négationnisme de la Shoah, il a refusé d’enfermer l’identité juive dans ce « chapitre épouvantable de l’histoire ». Il n’a pas réduit sa signification à un horizon ethnique : sa déploration des victimes, à Yad Vashem, s’est élargie de chacun de leurs visages et de leurs noms, reconnu comme un absolu en lui-même, à « tous les hommes », donnant ainsi à ce drame sa valeur universelle pour la conscience humaine engagée « à prier et à œuvrer sans cesse pour faire que cette haine ne règne plus jamais dans les cœurs des hommes ». De même sa prière au « Dieu de tous les âges », au Mur des Lamentations a-t-elle eu pour horizon « tous ceux qui appellent son nom ». Cet horizon universaliste, s’il n’a pas plu à tel Grand-rabbin, est sans doute très bienvenu pour les dizaines de rabbins qui ont publié dans Ha’aretz un communiqué de bienvenue au Pape en Israël, et par les musulmans. On gardera mémoire de la ronde improvisée par les chefs religieux de Galilée avec le Pape, au son des « Salam, Shalom, Peace, Pax » fredonnés par l’ami Alon Goshen-Gottstein.

Bilan spirituel

Enfin, Sa Sainteté Benoit XVI a joué pleinement son rôle de maitre spirituel. Tant en Jordanie au milieu des Musulmans, qu’à Jérusalem ou à Bethléem au milieu des Juifs et des Chrétiens, il a insisté sur la nécessité religieuse de cultiver la raison critique comme un des plus grands dons du Créateur aux hommes. À cultiver la volonté à entrer dans l’ascèse spirituelle pour purifier sa mémoire de tout esprit de vengeance et pour entrer dans le pardon sans lequel aucune paix ne sera possible, une fois la justice rétablie. En rappelant doucement l’universalité des principes moraux de la justice, enracinée dans l’universalité de la requête de vérité, en invitant à cultiver la raison critique contre tout fanatisme national pseudo-religieux, Benoit XVI, sur les pas de Jésus, a rendu à notre région un très grand service. Grâces en soient rendues au Dieu unique et trois fois saint !





Du grand Benoît XVI Une très belle leçon d’humanité