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EN ATTENDANT 'JÉSUS DE NAZARETH'
 

Dans l'Avvenire un forum de discussion est ouvert pour recueillir les impressions de lecture.




 

John Allen a lu le livre de Benoît XVI, et il en livre une première analyse.
J'ai traduit une partie de son article, paru hier dans National Catholic Reporter.
Ce sont les passages qui donnent des pistes sur les intentions du saint-Père telles que comprises par un journaliste qui connaît le sujet à fond, et surtout envie de lire le livre, sans rentrer dans le détail du mot-à-mot, pour lequel il vaut mieux attendre une lecture personnelle indispensable.
Bref, c'est un appel à ce "prérequis de sympathie sans lequel aucune communication n'est possible" que nous réclame notre Saint-Père
Sur ce sujet, voir aussi:

Les medias français et (ou contre) le Pape (Le pape cite Karl Marx!)
Attaque contre "Jésus de Nazareth"
Une "Enquête sur Jésus" contre l'Eglise
Le card. Schönborn présente "Jésus de Nazareth"
Le livre du Pape lu par S. Magister
Le livre sur Jésus

Et aussi:
Un extrait du blog de Luigi Accatoli ('chacun est libre de me contredire')
Et bien sûr: la préface du Saint-Père



Le point-clé, c'est le Christ

Le nouveau livre du Pape aborde le point-clé de ce Pontificat: c'est le Christ, qui est la clé.

Quand les gens ouvrent un journal, ou allument la télévision pour regarder les nouvelles, en général, ils ne sont pas à la recherche d'une leçon de cathéchisme. Cela constitue un défi pour les journalistes chargés de couvrir les faits et gestes des leaders religieux, puisque la plupart de leurs discours sont consacrés soit à exposer leur foi, soit à pousser les gens à se comporter correctement. Les journalistes se tirent d'affaire en recherchant dans ces discours, des déclarations supposées avoir une portée large, sans sectarisme, en général parce qu'elles s'appliquent à des sujets politiques et ou culturels.

Le résultat est que les vrais sujets de préoccupation de ces leaders religieux, et la priorité qu'ils leur assignent, émergent difficilement -- non parce que les reporters ne font pas leur travail, mais à cause du mode de fonctionnement du 'media-business' dans un monde sécularisé.
La récente couverture du nouveau livre de Benoît XVI, 'Jésus de Nazareth', en offre un bon exemple.

La première vague de commentaires se focalisait sur l'Afrique et le capitalisme, même s'il s'agissait de simples apartés dans un traité de 448 pages sur l'Evangile. (ndr: Le livre sur Jésus )
D'autres présentaient le livre comme une réfutation du Da Vinci Code (cette fausse piste fut encouragée par une allusion indirecte au roman alimentaire de Dan Brown par l'archevêque de Vienne, le Cardinal Schönborn, lors d'une conférence de presse au Vatican) (ndr: voir ici Le card. Schönborn présente "Jésus de Nazareth" ).
D'autres, encore, semblaient charmés par le fait que le pape ait écrit que, puisque son livre n'est pas un acte du magistère, "chacun est libre de me contredire".
Au-delà de ces points de vues, il y avait peu d'intérêt à creuser davantage, essentiellement parce qu'un Pape discutant de Jésus-Christ [frappe autant la plupart des gens que le dernier épisode de la série parodique sur le monde de l'information "Dog bites man" ("C'est arrivé près de chez vous", voir ici sur Wikipedia) ] constitue pour la plupart des gens le fin du fin du 'dog bites man' -- c'est-à-dire la chose au monde la plus naturelle!.(*)

Lorsque quelqu'un aura vraiment lu les 448 pages de Jésus de Nazareth, le moment d'une analyse plus poussée sera passé. Passé, en fait, partout, sauf ici, où les analyses sur le Pape restent constamment d'actualité.

Je suis à Rome, cette semaine, et, entre autres choses, je me suis imposé la tâche d'étudier Jésus de Nazareth. La question-clé est "pourquoi ce sujet, et pourquoi maintenant?".
Oui, parler de Jésus, pour un Pape peut difficilement passer pour un coup de tonnerre, mais c'est la même chose pour un Pape parlant de prière, ou de moralité.
Etant donnée la fascination de Benoit pour la liturgie, on aurait pu s'attendre à ce qu'il prenne sa plume sur ce thème, s'il s'était agi seulement de céder à ses passions, ou mettre au point des notes sur d'anciens sujets d'étude. Pourtant, le pape lui-même souligne que quelque chose de plus urgent s'accomplit dans l'écriture de Jesus de Nazareth, à laquelle il a consacré "tous ses moments de liberté", après l'élection, pour finir le livre.
Pour être honnête, c'est un peu une "fausse piste" ('misdirection'): un pape n'a jamais réellement de "temps libre", et, de toutes façons, la manière dont il passe son temps, en dehors de ce qui est formellement planifié sur son agenda, est un bon indicateur de ses priorités réelles. Ainsi, le choix d'écrire sur Jésus, s'efforçant de mettre à nouveau côte à côte le Jésus de l'histoire, et le Christ de la foi, ne peut guère être dû au hasard.

Ce qui semble clair, c'est que le sujet de ce livre émerge comme le coeur de la doctrine de son pontificat: la Christologie. En un mot, la thèse de Benoît sur Jésus de Nazareth est qu'il ne peut y avoir ni ordre social humain, ni vraie morale, à l'écart d'une juste relation avec Dieu; un monde organisé 'etsi Deus non daretur' (comme si Dieu n'existait pas"), ne marcherait pas, et finirait par être inhumain. Benoît insiste: "Jésus-Christ est le signe de Dieu pour les êtres humains". Présenter à l'humanité le vrai message du Christ est par conséquent, selon Benoît, la plus haute forme de service public que l'Eglise puisse offrir.

L'édition en anglais de Jésus de Nazareth sera en vente le 15 mai, un extrait sera publiée dans l'édition du 11 mai de Newsweek (ce qui devrait rendre le Pape un peu moins "invisible", ainsi que Newsweek l'a décrit le 16 avril!). Jésus de Nazareth est le premier épisode de ce que Benoît prévoit comme une oeuvre plus importante; il a décidé de publier les 10 premiers chapitres "parce que Je ne sais pas combien de temps et de forces me seront encore accordés".

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Intellectuellement, le but de Jésus de Nazareth est principalement de défendre la crédibilité des récits des Evangiles; et en second lieu d'argumenter que les Evangiles présentent Jésus comme Dieu lui-même, et non comme un prophète, ou un réformateur moral.
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Au premier niveau, Jésus de Nazareth se lit comme une conversation avec des exégètes ... qui prétendaient que le Jésus des Evangiles n'est pas encore "le Christ", et que sa transformation en un Dieu a été l'oeuvre d'une théologie chrétienne ultérieure.
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Le livre contient aussi des "fulgurances" littéraires caractéristiques de Joseph Ratzinger, par exemple lorsqu'il suggère qu'on peut voir un modèle de la création rachetée dans la beauté des monastères bénédictins, tandis que les horreurs d'un monde enveloppé par "l'obscurité de Dieu" transparaît au travers de Tchernobyl.
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Pourtant, Jésus de Nazareth n'est pas un simple exercice intellectuel, ou une tentative pour fournir du grain à moudre en vue de la rédaction d'homélies (bien qu'il contienne aussi cela). Finalement, le motif du livre semble être la profonde inquiètude au regard de ce que le pape considère comme les conséquences dommageables de la faillite de la Christologie.

Tout au long du livre, Benoît critique nombre de modernes et populaires interprétations de Jésus: Un prêcheur de morale libérale, un social-révolutionnaire, un prophète inspiré ou un sage, à l'image d'autres fondateurs de mouvements religieux. Le Pape est conscient que ces interprétations procèdent généralement de motifs nobles, qu'il partage -- affirmer la primauté de l'être humain sur la loi, le combat contre la pauvreté et l'injustice, la tolérance envers les autres religions. En fin de compte, Benoît estime que de telles interprétations mettent la charrue avant les boeufs. Selon Benoît, au-delà de l'impatience de voir des résultats sociaux, ces christologies révisionnistes subvertissent la source unique de tout humanisme, qui est de croire en Dieu, et en une vérité transcendante qui vient de Dieu, et dépasse tout pouvoir humain.

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Bien que Benoît soit une personne aimable (gracious) au cours des exercices académiques de parade-riposte (terme d'escrime: 'thrust and parry'), on peut sentir la main de fer dans le gant de velours. Il y a des passages, dans Jésus de Nazareth, où sa frustration envers les exégètes qui mettent en doute la crédibilité des Evangiles est particulièrement claire.
Le meilleur exemple en est peut-être la discussion de Benoît sur les tentations du Christ. Dans le récit des Evangiles, Satan appuie ses offres en citant les Psaumes, et Jésus répond en citant le Deutéronome. Benoît dit que l'échange se lit comme un débat entre deux experts des Saintes Ecritures, et cite approbativement un passage de Vladimir Soloviev, un philosophe russe du XIXème siècle, dans son livre sur l'AntéChrist. Soloviev écrivait que L'antéchrist avait reçu un diplôme honoris causa de théologie, de l'Université de Tubingen. C'est un grand expert de la Bible.
"Avec ce conte", écrit Benoît, Soloviev voulait exprimer de façon drastique son scepticisme envers une certaine exégèse érudite de son temps. Il n'est pas question de rejeter l'étude scientifique de la Bible en tant que telle, mais plutôt de donner un avertissement sain et nécessaire, concernant les chemins erronées que cette étude pourrait emprunter. Les interprétations de la Bible, en fait, peuvent être des instruments de l'Antéchrist. Soloviev n'est pas le seul à le dire, c'est affirmé implicitement dans le récit de la tentation lui-même. Les livres les plus destructeurs de la figure de Jésus , qui démantèlent la foi, sont entremêlés de résultats présumés de l'exégèse"
(ndr: voir Le livre du Pape lu par S. Magister )
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Finalement, quiconque connaît la pensée de Benoît réalise à quel point il récuse l'accusation que le Catholicisme faisait fausse route en "héllénisant" la foi de la Bible.
En fait, l'argument de Benoît est que la rencontre entre le Christianisme et l'univers de la pensée gréco-romaine de l'antiquité, fut providentielle, et que la Chrétienté ne pouvait se contenter, telle un serpent, de dépouiller une vieile couche de peau, sans perdre quelque chose d'essentiel (c'était un de ses arguments lors de la désormais fameuse conférence à l'Université de Ratisbonne, que peu ont remarqué, à cause de la controverse née de son commentaire sur l'Islam).

Dans cet éclairage, il est intéressant de remarquer que le tout dernier paragraphe de Jésus de Nazareth tend à exonérer l'Eglise de l'accusation selon laquelle, en adoptant les concepts de la philosophie grecque, elle trahissait le message de l'Ecriture. Au contraire, d'après lui, les concepts grecs ont aidé l'Eglise primitive à expliquer plus clairement la revendication implicite dans la Bible que "Jésus est le Fils de Dieu", et à empêcher ces revendications d'être mal interprétées.

Il écrit: "Il était nécessaire de clarifier avec succès cette nouvelle signification, au travers d'un processus complexe et ardu de différentiation, afin de la protéger d'interprétations mythico-polythéistes et politiques. C'est la raison pour laquelle le premier concile de nicée (325) emplya l'adjectif 'homoousios' (de la même substance). Ce terme n'hénellisait pas la foi, il ne chargeait pas la foi d'une philosophie étrangère, mais plutôt, il fixait précisément l'incomparable nouveauté, l'élément différent qui apparaissait dans la Bible, sur le rapport de Jésus avec le père. Dans le Credo de Nicée, l'Eglise, une fois encore, disait avec Pierre: "Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant".


 

(*)
La phrase d'origine est: Beyond those angles, there was little interest in follow-up, in large part because a pope discussing Jesus strikes most people as the ultimate in "dog bites man" developments -- that is, the most normal thing in the world.


"Dog bites man" (littéralement: "un chien mord un homme") m'a intriguée, et résisté assez longuement à ma traduction. J'avais pensé à notre expression "chiens écrasés". Je sens bien que ma traduction initiale (entre crochets) constitue un faux-sens.
Catherine m'écrit pour m'éclairer:
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"dog bites man" est une expression journalistique pour désigner des évènements qui sont dans l'ordre des choses, et que les journalistes ne prennent pas la peine de citer. Ce qui commence à les intéresser est inversement "man bites dog", qui sort vraiment de l'ordinaire. Il est possible par ailleurs que "dog bites man" ait été utilisé comme titre de livre ou d'émission télévisée, mais je pense que Allen fait allusion à l'expression en tant que tel. "

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