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LE SAINT-PÈRE ET LA QUESTION TURQUE
 

Voici un article paru dans LA CROIX d'aujourd'hui (4 janvier).
Je recopie en entier la partie en relation avec cette question "cruciale", car il va disparaître bientôt, et c'est un document intéressant.
Notons que l'annonce de cette interview du Cardinal Bertone publiée par la Documentation catholique n'est pas un scoop, Yves Daoudal, que cela avait rendu perplexe en a déjà parlé il y a une dizaine de jours, en publiant un billet intitulé "Curieux propos attribués au cardinal Bertone".

Par ailleurs, j'avais déjà dans ces pages reproduit certains propos de Mgr Bertone.

Lire ici l'article de LA CROIX ..... Ce n'est pas tout à fait la même chose.


 

C'est vrai que, dans une première lecture, cela peut laisser perplexe.

Notons pour commencer que c'est le Cardinal Bertone qui s'exprime. Le fait-il à titre personnel, ou en tant que porte-parole du Pape? On ne le sait pas. Après tout, il est arrivé au Cardinal Ratzinger, au poste-clé qu'il occupait, de s'exprimer sans qu'on attribue nécessairement ses idées à Jean-Paul II

Je ne cherche en aucun cas à défendre le Saint-Père, qui n'en a pas besoin, et surtout pas de moi, et qui sait ce qu'il fait: à ceux qui m'en feraient reproche, je répondrais que de tous bords et quoiqu'il dise ou fasse, il est guetté et attaqué en permanence, on peut donc imaginer à l'inverse que des gens lui accordent leur confiance, quoiqu'il dise ou fasse, et c'est mon cas.

Mais cette interview peut fort bien rapporter des propos approximativement tenus par le Cardinal Bertone, dans une masse d'autres sujets abordés (et bien entendu, c'est LE point sur lequel on met le focus), tout en leur donnant, grâce aux sous-titres, aux extraits choisis, aux commentaires, bref, toutes les ficelles journalistiques, la tonalité voulue par le journal. On ne peut pas tout à fait exclure non plus l'intention de faire plaisir à des hôtes, dont on sait ce qu'ils attendent...
Sans rentrer dans les détails, deux phrases éveillent ma méfiance:
1. "Oui à la Turquie en Europe, même si elle pourrait n’appartenir qu’à un « second cercle »". C'est typiquement du langage diplomatique, c'est très vague, et interprétable à volonté. C'est quoi, au juste, un second cercle? Et en plus, ce n'est pas fondamentalement opposé aux idées exprimées par Joseph Ratzinger (et non par le Pape, qui n'est plus libre de penser en tant qu'individu)
2. "Cette interview, recueillie après le voyage de Benoît XVI en Turquie (28 novembre-1er décembre 2006), a l’avantage de clore un débat quant à la position précise de l’Église catholique sur ce dossier épineux". Eh bien non, justement, la position de l'Eglise sur ce point n'est pas du tout précise, et n'a pas à l'être...

Si l'on y regarde de près, rien de ce qui est dit là ne contredit les propos tenus par le Père Lombardi, directeur de la Salle de presse du Vatican, après l'entrevue du Pape avec Erdoggan.
Il serait d'ailleurs intéressant de savoir en quelle langue l'entretien s'est déroulé: l'article parle de "sa première interview en français"... qui n'est évidemment pas la langue dans laquelle il pense; on sait par ailleurs que les traductions sont les terrains propices de toutes les trahisons. Et, évidemment, il est très difficile au saint-Siège, à cause de sa position morale, de faire des mises au point, comme cela avait déjà été le cas après les commentaires d'Erdogan..


"Colombey-les-deux-mosquées"

Enfin, il faut aussi se poser la question: ne devrons-nous pas évoluer, nous aussi, sur ce problème? La réponse n'est pas forcèment "oui", mais on peut y réflèchir. A ceux qui disent "nous aurons une Europe musulmane, ou au moins un déferlement de populations musulmanes dans nos pays", on peut répondre "nous avons une Europe athée, sans aucun point de référence, qui devient l'otage des communautés, ce qui n'est guère mieux, et le déferlement est déjà là, sera-t'il pire?" (méditons les propos attribués au Général De Gaulle pour justifier l'abandon de l'Algérie française: "Voulez-vous donc que nous ayions Colombey-les-deux-mosquées?". Eh bien, nous n'avons plus l'Algérie, mais nous risquons d'avoir un jour quand même Colombey-les-deux mosquées!!)

Il semble, que le Saint-Père, en tous cas, n'a fait aucune concession sur le rappel des racines chrétiennes de l'Europe.


L'avis de Joseph Ratzinger

On lira avec intérêt ce résumé d'une interview du Cardi nal Ratzinger, accordée en 2004 à un quotidien suisse, et reproduit sur le site Liberté Politique.com
Lire ici: Non à la Turquie en Europe
Deux choses attirent l'attention, là aussi:
1. "La Turquie doit être respectée dans ses valeurs identitaires", car elle a "une autre mission à accomplir". Cette mission, c'est celle de "pont culturel", entre l'Europe et le monde arabe.
Cette option n'est pas en désaccord avec celle des cercles concentriques évoqués par Tarcisio Bertone.
2. Énigmatique, le prélat suggère d'attendre les résultats "des différents référendums".
Tout est là, en effet. Ce n'est pas au Saint-Siège de décider...et le Cardinal Bertone ne dit rien d'autre.
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Dans le "Dizionario di Papa Ratzinger" (Marco Tosatti), l'avis du cardinal est un peu plus développé que dans l'article cité sur LibertéPolitique.com. C'est très clair, et je crois qu'il n'y a pas une chance sur un million que le SaintPère ait changé d'avis...
(ma traduction):


 

L'Europe est un continent culturel, et non géographique. C'est cette culture qui lui donne une identité commune. Les racines qui ont formé, et permis la formation de ce continent, sont celles du christianisme...
En ce sens, la Turquie a toujours représenté au cours de l'histoire, un autre continent, en contraste permanent avec l'Europe. Il y a eu les guerres avec l'Empire Byzantin, la chute de Constantinople, les guerres balkaniques, la menace pour Vienne et l'Autriche. Voici donc ce que je pense: ce serait une erreur d'identifier les deux continents. Cela signifierait une perte de richesse, et la disparition de la culture au profit des bénéfices économiques. La Turquie, qui se définit comme un Etart laïc, mais fondé sur l'Islam, pourrait essayer de faire naître un continent culturel avec des pays arabes voisins, et devenir ainsi le protagoniste d'une culture qui possède sa propre identité, mais qui soit en communion avec les grandes valeurs humanistes que nous devrions tous reconnaître. Cette idée ne s'oppose pas à des formes d'association et de collaboration étroite et amicale avec l'Europe, et permettrait l'émergence d'une force commune qui s'opposerait à toute forme de fondamentalisme.
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Historiquement et culturellement, la Turquie a peu à voir avec l'Europe: pour cette raison, ce serait une erreur de l'englober dans l'Union Européenne. Il vaudrait mieux que la Turquie serve de pont entre l'Europe et le monde arabe, ou forme avec ce dernier un continent culturel.
... C'est un fait que l'Empire Ottoman a toujours été en opposition avec l'Europe. Même si Kemal Atatürk dans les années 20 a construit une Turquie laïque, elle reste le noyau de l'ancien Empire Ottoman, elle a un fondement islamique, elle est donc très différente de l'Europe qui est un ensemble d'Etats laïcs, mais avec des racines chrétiennes, même si aujourd'hui, ils semblent injustement l'oublier. C'est pour cela que l'entrée de la Turquie dans l'Europe serait anti-historique.


D'autres réflexions

Pour compléter cette réflexion, voici le bloc-notes d'Ivan Rioufol écrit le 5 décembre dernier, c'est-à dire au lendemain du retour du Pape de Turquie.
Ce qu'il écrit me paraît très juste, il n'est pas toujours aussi bien inspiré.
Lire ici:
Le bloc-note de Rioufol sur la "question turque"

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Un article sur le blog, toujours remarquable, de Patrice de Plunkett:
Dialogue chrétiens-musulmans - c'est l'heure des idées claires

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Et aussi sur le site http://lescatholiques.free.fr/ , dont le directeur, Pierre-Charles Aubrit Saint Pol a déjà écrit une analyse pour moi mémorable du discours de Ratisbonne, ce court billet:


 

Benoît XVI en Turquie !
Théodulfe Soplataris
Il n’a manqué aucune espérance, aucun soupir de la part des médias. Ils espéraient un échec, un accident… Ils en bavaient de gourmandises ! Dépités, voici qu’ils compensent leur manque de biberon en mentant : le pape soutient la Turquie pour son entrée dans l’Union Européenne ! faux ! Le pape a dit : « la Turquie doit se rapprocher de l’Europe ! »

Le pape a réaffirmé l’urgence de la liberté religieuse, de toutes les libertés qui soudent la dignité de l’homme.

Ils ont dit encore : « Le pape a prié à la mosquée bleue ! » Faux !

Le pape n’a pas prié à la mosquée bleue, il ne sait pas soumis à l’islam ! Il a prié in petto, le Dieu de sa foi !

Et encore une fois, il n’y a pas eu de gaffe à Ratisbonne ! Et le pape en Turquie ne s’est pas excusé. On ne s’excuse pas de dire la vérité !

Le plus grand danger actuellement, ce n’est pas les religions mais une certaine presse sans honneur, dépourvue de l’intelligence du cœur, profondément malhonnête, dans une effarante indigence morale. Vivement sa ruine ! Dans cet ordre d’esprit, elle n’est utile pour personne. C’est un monstre froid. Elle est l’excellence de la médiocrité.


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Janvier 2007